Voix d'Afrique N°45
Burkina Faso.

"Le baobab est tombé..."

photos du centenaire

Centenaire de l'Eglise du Burkina Faso
La cathédrale de Ouagadougou.
A gauche: Paul Zoungrana 1917-2000 : Un cardinal simple et bon avec les plus petits comme avec les plus pauvres.


" Il a toujours cru aux valeurs de l'Afrique et maintenu l'espérance contre toutes formes d'adversité. Fils et filles d'Afrique, à l'exemple du cardinal Zoungrana, résistez à la fatalité ! … Il est resté, malgré toutes les vicissitudes, les agitations et les crises, l'homme du dialogue qui permettait, comme disait un de ses confères africains, de marcher sur les œufs. Il est le sage qui a su rassembler, unir et animer dans la fermeté et la communion.…

Le Cardinal Paul Zoungrana étonne par sa générosité et son indifférence pour la richesse matérielle. Son rang social et ecclésial aurait pu lui permettre d'accumuler des richesses pour lui-même et sa famille, mais il a vécu, il est mort, sans rien laisser. Voici un modèle qui pourrait servir à plusieurs responsables d'Église et dirigeants politiques et administratifs. Le baobab est tombé… Il est tombé à un moment où tout semble vaciller en Afrique. Mais le siècle qui se termine a représenté cent ans d'un développement prodigieux pour l'Église de ce continent. Des 2 millions de baptisés, en 1900, les catholiques africains sont aujourd'hui 110 millions. Le clergé autochtone qui n'existait pas, compte aujourd'hui 26 000 prêtres. Et les séminaires comptent environ 20 000 candidats au sacerdoce.… La foi du patriarche, celle des missionnaires, des catéchistes comme Diban Alfred Ki Zerbo, est le secret de votre fécondité et de votre jeunesse à travers les âges, dans l'imitation de Jésus-Christ… "


(Extraits du discours du cardinal Tomko, Préfet de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, lors des funérailles du Cardinal Zoungrana)



Paul Zoungrana est né le 3 septembre 1917, à Ouagadougou. Il sera l'aîné de 8 enfant : 7 garçons et une fille. Très jeune, il entre à l'école primaire de Ouagadougou dirigée par les Sœurs Blanches. Pendant 6 ans, il y travaille avec succès. Il entre, en 1926, au Petit séminaire qui venait d'être ouvert à Pabré, à 17 km de la capitale. Paul Zoungrana, qui aimait l'étude, était en général parmi les premiers de sa classe. À la fin de ses études secondaires, il reste encore 2 ans à Pabré pour y étudier la philosophie, en attendant l'ouverture, en 1935, du Grand séminaire régional de Koumi, près de Bobo-Dioulasso où il va poursuivre ses études de philosophie et de théologie jusqu'à la prêtrise.

Les premières ordinations
Le 2 mai 1942, les cloches sonnent comme jamais à Ouagadougou : pour la première fois une ordination sacerdotale doit avoir lieu ; Mgr Thévenoud ordonne 3 prêtres du pays, dont l'abbé Paul Zoungrana. Après son ordination, il est nommé vicaire à Ouagadougou. Il va y rester pendant 6 ans, avec un grand zèle et une grande bonté. C'est après ces 6 ans qu'il exprime le désir d'entrer chez les Missionnaires d'Afrique Pères Blancs, une nouvelle orientation longuement mûrie dans la prière.


Le Père Paul Zoungrana, professeur
au Grand séminaire de Koumi.

Un jour, je me suis décidé
En 1998 (il avait alors 81 ans), dans une interview qu'il avait accepté d'accorder au Bulletin de liaison de l'Amicale des Anciens Séminaristes de Pabré, alors qu'on lui avait posé cette question : " Nous savons que vous êtes Père Blanc. Qu'est-ce qui vous a amené à enter dans cette congrégation ?", il fit alors cette confidence : "… Nous avions à l'époque des missionnaires zélés qui nous enthousiasmaient. Parmi eux, il y en avait un qui tranchait : il s'appelait Sabatier, il était zélé. Il avait une barbe brune et longue et lors des cérémonies du Jeudi saint, on s'amusait à le regarder. Alors, c'est à cause de ce Père que j'ai demandé à enter chez les Pères Blancs ; parce qu'un beau jour, on nous a appris qu'il avait quitté la congrégation. Quand on est enfant, on est émotif ; cela m'a profondément ému et je me suis dit qu'il fallait trouver un remplaçant pour le père-là. Alors, un jour je me suis décidé…" En septembre 1948, il fait son noviciat à Maison Carrée, en Algérie. Deux ans après, il fait son serment missionnaire ; il est alors nommé à Rome, à l'Université Grégorienne.

Étudiant à Rome et à Paris

À Rome, il va passer son doctorat en Droit Canon sur La liberté du consentement matrimonial chez les Mossi, avec la mention "Summa cum laude". L'abbé Lazare Sobgo, son compatriote, qui lui avait succédé comme étudiant à Rome, lui apporta à Paris la médaille d'argent que lui offrait l'Université Grégorienne. Dans un petit discours de circonstance, l'abbé Lazare lui dit, entre autre : "…C'était un plaisir (à Rome) d'entendre parler du Père Blanc noir si intelligent, qui savait allier une science peu ordinaire à une modestie et à une affabilité encore moins ordinaires.". Ces quelques mots expriment tout à fait ce qu'a été la personnalité du Père P. Zoungrana durant toute sa vie.
Après Rome, il va passer encore deux ans à Paris pour y faire des études sociales à l'Institut Catholique, où il passera la Licence.

Retour en Afrique
Il retrouve l'Afrique en 1954 pour y être nommé professeur de Droit Canon au Grand séminaire de Koumi, tout en ayant la charge de la paroisse de Koumi-Nasso, au pays bobo-fing. Là, comme tout Père Blanc, il commence par apprendre la langue et étudie les coutumes. Il s'intéresse déjà de près à l'inculturation du christianisme et se penche sur le problème de la participation des chrétiens à l'initiation bobo-fing. Des vieux de Koumi se souviennent encore du Père Paul allant en moto, visiter ses catéchumènes. En février 1959, les évêques lui confient la direction d'un Service d'Informations sociales. Il organise aussitôt ce nouveau service à Bobo-Dioulasso, étudiant les problèmes sociaux du pays, aidant clergé, religieuses et membres de l'Action catholique à faire face à leurs responsabilités dans un pays en pleine évolution.

Archevêque et Cardinal
C'est là que viendra le trouver, le 12 avril 1960, sa nomination d'archevêque de Ouagadougou. Commence alors un long épiscopat de 35 ans, où son action va s'étendre bien au-delà des limites de l'Église du Burkina, surtout à partir du moment où il est nommé Cardinal, le 25 janvier 1965. Si Mgr Thévenoud fut le Père fondateur du diocèse de Ouagadougou, le Cardinal Zoungrana en fut le Père bâtisseur. De 1960 à 1976, il sera Président de la Conférence épiscopale du Burkina-Niger, Président du Symposium des évêques d'Afrique de 1969 à 1978 et de 1981 à 1984.


Réception du Cardinal Zoungrana,
lors de son retour à Ouagadougou, en 1965.


Très apprécié à Rome

Il était membre de 3 Congrégations : la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, celle des Religieux et Instituts séculiers, et celle du Culte divin. Il était également membre du Conseil Économique du Saint Siège, membre du Synode des évêques en 1969, 1972 et 1980. Il était aussi membre de la Fondation Mondiale Catholique pour l'Apostolat de la Bible ; Les 16 et 17 mai 1992, il a eu la joie de fêter son jubilé d'or sacerdotal à Ouagadougou, entouré de tout son clergé et d'une foule de chrétiens. En septembre de la même année, 75 ans jour pour jour après sa naissance, il envoyait au pape Jean-Paul II sa démission comme archevêque de Ouagadougou, ainsi que le demande le Droit canon à tout évêque ayant atteint sa 75ème année. Mais il devra attendre encore 3 ans pour être libéré de sa charge.
Sa vue diminuait, ses forces aussi. Il s'est éteint le dimanche 4 juin 2000, après une vie bien remplie pour la gloire de Dieu et le rayonnement de l'Église africaine.

Des funérailles nationales

Le samedi matin 10 juin, les obsèques solennelles ont eu lieu dans le stade municipal de Ouagadougou, qui avait de la peine à contenir toute la foule. Plus d'une vingtaine d'évêques, d'archevêques du Burkina, d'Afrique et d'Europe, le P. Eugenio Baïcacoa représentant le Supérieur général des Pères Blancs, et plus de 200 prêtres ont célébré la Messe. Le Président du Burkina Faso et les Corps constitués ont tenu à rendre un dernier hommage à l'illustre disparu.

L'Église-Famille du Burkina a voulu organiser un vrai kuure (cérémonie traditionnelle de funérailles chez les Mossi), alliant foi chrétienne et identité culturelle noire et burkinabé, digne du Cardinal Zoungrana qui fut un des initiateurs de l'inculturation de la foi chrétienne.

Pendant la procession d'offrandes, en plus du pain et du vin, une femme a porté le kupéogo du Cardinal. Le kupéogo chrétien, qui devait contenir quelque chose pour sa route vers Dieu, était composé de son bréviaire, de son calice, de son rosaire de Père Blanc et de ses armoiries. Le Cortège était composé des membres de sa famille tenant un cierge et des gerbes de fleurs. Dans la tradition africaine, et moaga en particulier, quand un patriarche venait à mourir, on sortait tous ses attributs qu'on mettait dans un panier (péogo).

C'est également dans cette perspective culturelle qu'après les honneurs traditionnels, la chorale Naaba Sanam fit danser laïcs, prêtres et évêques autour du cercueil : des pas de danse (Warba) bien esquissés sous les kili li li des femmes et les salves des mousquets. Du stade municipal, le cercueil, posé sur un véhicule militaire, fut conduit, avec tous les honneurs, à travers les rues de la capitale jusqu'à la cathédrale où il repose désormais, à côté de Mgr Thévenoud, premier évêque de Ouagadougou, et du P. Templier, premier curé de la cathédrale.