Voix d'Afrique N°67

Guy Vuillemin
est revenu d'Afrique. Il s'est installé à la maison provinciale, rue Roger Verlomme, où il a été nommé comme assistant provincial.
“Voix d'Afrique” l'a rencontré. Il partage son aventure missionnaire, qui a été marquée par la rencontre avec l'Islam.

 

De l'Alsace au Mali.

La camionnette brinqueballe sur la piste boueuse, zigzague entre flaques d'eau et bosses, traverse quelques marigots en faisant surgir des gerbes d'eau jusque sur le pare-brise ; de chaque côté, les champs de mil alternent avec la savane ; de loin en loin, des épineux étendent leurs ombres, des baobabs trapus jalonnent l'immense étendue. Kilomètre après kilomètre, d'un tournant à l'autre, pendant des heures, Guy Vuillemin découvre l'Afrique. "On est loin de la France !" pense-t-il ; il l'avait imaginée, il avait rêvé devant des photos, mais maintenant c'est la réalité. Un missionnaire lui montre et lui explique le paysage. Au détour du chemin, surgissent quelques villages aux maisons cubiques en banco autour d'une humble chapelle ou d'une petite mosquée avec son minaret. De temps en temps, ils dépassent un âne qui trottine péniblement, tête basse, un sac ou un fagot sur le dos. Des femmes en pagne coloré portent un panier ou une grande cruche sur la tête, un enfant sur le dos écarquille les yeux par-dessus l' épaule de sa mère ou dort doucement, le sommeil rythmé par le pas de la femme comme pour une danse.

Mandyakuy

Guy pose mille questions, puis préfère regarder en silence le paysage et le monde africain qui défile sous son regard. Elle est loin, l'Alsace ! Il découvre un nouveau monde, celui dont il avait rêvé ; il se sent comme pris, immergé dans ce monde nouveau. Après des heures de piste, le missionnaire pointe du doigt : " On arrive ! tu vois là-bas, les deux flèches ? c'est la mission. C'est Mandyakuy. "

En haut : Le Niger aux environs de GaoL'église est impressionnante, surprenante après des heures à travers la brousse. Tout autour, des maisons en dur, toits de tôle ou de chaume, la maison des pères, celle des sœurs, l'école, le dispensaire, les maisons du personnel de la mission ; des allées contournent quelques buissons, quelques arbres de brousse. C'est tout un village qui s'est formé autour de l'église. La camionnette s'arrête enfin dans la cour, derrière la maison des pères. Un missionnaire bronzé et barbu vient à la rencontre des arrivants, quelques garçons nus pieds viennent les saluer, prennent les sacs et les valises du nouvel arrivant. "Bienvenu à Mandyakuy ! Viens par ici, je vais te montrer ta chambre et la maison ; installe-toi. La douche et les toilettes sont à côté… Tu as ta lampe à pétrole sur la table. Non, il n'y a pas encore d'électricité, mais ça viendra !" Guy ouvre sa valise, vide son sac à dos et commence à remplir les étagères. "Viens, Guy ! tu dois avoir soif, on va arroser ton arrivée !"

Guy est venu ici pour faire son service national comme enseignant. Le collège est à côté. Sans tarder, le directeur lui montre son bureau et les classes. Les élèves le reçoivent avec un regard curieux, certains osent s'approcher, s'enhardissent à lui serrer la main avec un sourire timide. "Tu enseigneras le français dans les grandes classes ; tu trouveras tout ce que tu veux comme livres à la bibliothèque."

Un appel à aller ailleurs.

Ils sont loin, le lycée Kleber de Strasbourg et l'église St. Pierre le Jeune où il a servi comme enfant de chœur puis comme grand clerc, et la troupe scoute, le cercle d'amis qui se réunissait autour de l'aumônier pour discuter et prier. Guy et quelques amis pensaient sérieusement à leur avenir : "Je pense que je serai prêtre, mais ailleurs qu'en Alsace." Son père, ouvrier dans l'industrie chimique, rêvait pour lui d'une carrière militaire, mais il n'a pas d'objection. Et pourquoi pas devenir missionnaire ? La liste des congrégations et sociétés est longue. En Alsace, ils sont près de 2000 missionnaires en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine. Un peu au hasard, il choisit Pères Blancs ; leur cordialité, leur simplicité, leur sens de l'humour lui plaisent bien. Il pose sa candidature, commence ses études de philosophie en Bretagne, continue avec l'année spirituelle à Gap. Petit à petit, la mission devient plus qu'un rêve : c'est un désir profond qui germe. Et lorsqu'il est question de remplacer le service militaire par un temps de coopération en Afrique, il part pour le Mali, avec un peu d'appréhension, mais avec confiance.

Premières rencontres

Le 5 août 1996. Gabriel Coulibaly (catéchiste) et sa famille (avec ma cousine)Mandyakuy, à l'est du Mali, non loin du Burkina Faso, est comme un îlot chrétien dans un pays musulman. Les missionnaires côtoient l'Islam, sans vraiment le connaître, car ils sont très occupés par le catéchuménat et la jeune communauté chrétienne formée de convertis de la religion traditionnelle. Guy interroge, s'informe, réfléchit et prie, et très vite se lie déjà d'amitié avec quelques musulmans. Il soupçonne déjà ce que sera plus tard son engagement missionnaire.

Après deux ans au Mali, il est envoyé au Canada pour terminer ses études de théologie. Il termine ses études à Rome, au PISAI (Institut Pontifical d'Etudes de l'Islam) pendant deux ans. Il s'engage définitivement pour la mission, prononce son serment missionnaire chez lui, et est ordonné prêtre dans la cathédrale de Strasbourg, en 1975. La nomination arrive sans surprise : il repart au Mali, et c'est pour de bon.

Apprentissage

Première étape : la langue Bambara. C'est la rencontre d'une culture nouvelle, pas seulement une grammaire et un vocabulaire nouveaux, mais une sagesse, un art de vivre ensemble, une relation à la nature et à l'histoire. La "langue à tons" demande une oreille musicale, mais surtout des heures d'exercice, de pratique patiente, de beaucoup d'humilité et d'humour, car les Maliens n'ont pas peur de rire de ses fautes et le reprennent, pour se réjouir lorsqu' enfin il réussit à s'exprimer comme un vrai bambara. Chaque semaine, il prend sa mobylette et quelques petits bagages pour aller vivre trois ou quatre jours dans un village. Il partage totalement la vie des gens : il court dans la brousse pour des battues de chasse, il manie la houe dans les champs, dès le lever du soleil, quand il fait encore frais, passe des heures à décortiquer les arachides, s'assoit autour du feu pour la veillée ; il écoute, essaye de comprendre, interroge beaucoup, s'assure de bien comprendre les réponses. Les gens l'adoptent comme un des leurs, et Guy ajoute à son nom celui de Konaré, celui de ses hôtes. De retour au centre d'étude de la langue, il collationne tout ce qu'il a ramassé, il étudie et approfondit sa connaissance du bambara.

Dans la boucle du Niger

Après quelques mois d'apprentissage, Guy est fin prêt pour voler de ses propres Dans la région de Nionoailes. Il est envoyé à Niono, dans la boucle du Niger, dans une zone rizicole. Les missionnaires sont trois. Ils s'occupent des quelques chrétiens, cultivateurs venus d'ailleurs pour la mise en valeur des rives du Niger ; le tout petit troupeau est perdu dans la masse musulmane, la petite pincée de sel de la parabole, des étrangers à la région. L' Islam, on y baigne dedans, un Islam très ouvert, tolérant. Son compagnon, son ami est Gabriel Koulibaly, le catéchiste : il le guide, pas seulement sur les pistes, mais à travers le nouveau monde où il est immergé. Il lui raconte l'histoire du pays, de chaque village, et de chaque famille qu'il s'apprête à rencontrer. Gabriel le conseille fraternellement, suggère tel sujet de conversation, remarque ce qu'il aurait fallu faire ou dire. Ensemble, ils prient, tout simplement, car ils savent que le Seigneur est au milieu de ceux qui l'invoquent ensemble.

Le centurion

Au cours des rencontres, le Christ est présent dans son cœur. Le passage favori de l'évangile revient souvent : la rencontre de Jésus avec le centurion qui n'ose pas l'approcher. "Seigneur, ne te donne pas la peine de venir dans ma maison ; je n'en suis pas digne. Mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri !" Et Jésus est rempli d'admiration devant l'humble foi de ce païen.

Après quelques années en France pour l'animation missionnaire, Guy repart pour Gao ; la rencontre avec l'Islam continue ; c'est dans cette direction que Guy se sait appelé. Il redynamise la Commission des relations avec l'Islam, pour le diocèse d'abord, puis pour tout le Mali. Il organise des sessions de réflexion pour les couples mixtes. Il lance une troupe scoute pour les jeunes chrétiens, mais les jeunes musulmans ne tardent pas à frapper à la porte ; on ne peut pas les laisser sur la touche. C'est alors qu'il faut imaginer, créer, car il n'y a aucun modèle prévu pour cette rencontre. Les rares imams ne peuvent pas répondre à l'attente de ces jeunes. Il se lance dans l'inconnu, car il ne s'agit pas de les "convertir", mais de leur faire réaliser leur vocation propre, à travers leur vie de jeunes maliens, et de leur relation à Dieu. Il invite les jeunes musulmans, garçons ou filles… (à moins que ce ne soit eux qui l'invitent) à discuter sur le thème : "Quel Dieu ? Quel homme ?" Vaste programme ! Dans le partage, l'écoute mutuelle, les jeunes maliens découvrent en eux-mêmes les richesses de leurs traditions et de leur vocation de jeunes Africains.

Une immense espérance

La mission de GaoCe qui anime Guy ? Une immense espérance, celle du voyageur qui ignore quels horizons il découvrira demain. Une certitude : le Royaume de Dieu se lève chaque matin pour une aurore nouvelle. Cela devient de plus en plus clair : faire grandir l'homme en vérité, c'est évangéliser. Puisque que Dieu s'est fait homme dans le Christ, les sentiers de l'homme sont le chemin vers Dieu. Humaniser, éveiller l'homme à la liberté, c'est déjà évangéliser.

Approfondissement

Une nouvelle étape s'ouvre alors. Guy est appelé à partager son expérience malienne de la rencontre. Il est nommé à Rome, au PISAI, qu'il a déjà fréquenté pendant sa formation. Animé par les Missionnaires d'Afrique, dans la continuité avec l'Institut des Belles Lettres Arabes de Tunis, cet institut étudie en profondeur l'Islam. Des missionnaires y travaillent quelques années pour se préparer à la rencontre avec le monde arabe.

Gao 1998. Avec des Bellas et le P. Laurent BalasLes études sont organisées autour de trois axes : d'abord, la connaissance de l'Islam, le Coran et les commentaires traditionnels. Puis, on se pose la question : quel regard chrétien sur l'Islam, le credo musulman, la foi au Livre, le Prophète Mohamed ? Que disent-ils sur Jésus ? Quelle parole peut être crédible pour dire notre foi chrétienne. Enfin, quelle attitude prendre dans les rencontres quotidiennes avec l'Islam : les mariages mixtes, l'éducation des enfants de familles musulmanes dans nos écoles et collèges, comment accueillir ceux qui demandent le baptême, comment exercer un véritable discernement qui respecte l'autre… Comment ouvrir la communauté chrétienne à un dialogue fécond avec l'Islam, sans préjugé ? Le dialogue interreligieux est un appel à la conversion adressé à chaque église, à chaque chrétien ; c'est l'aventure de la foi : on n'a jamais fini de se convertir, on n'a jamais fini d'aimer. Ainsi, la priorité missionnaire n'est pas de convertir, de ramener l'autre croyant à soi, mais plutôt de semer, d'attendre avec confiance que germe le grain de blé, de rendre grâce pour la lente croissance, d'écouter "ce que l'Esprit dit aux églises" ; la mission commence avec le "vivre - avec" dans la charité qui "prend patience… ne jalouse pas, ne plastronne pas, ne s'enfle pas d'orgueil,… qui trouve sa joie dans la vérité, qui excuse tout, croit tout, espère tout, endure tout." (1 Corinthiens, ch.13).

Au Kenya,
pour une Eglise de la rencontre

Un tel cheminement, une telle aventure doit entraîner toute l'Eglise. L'expérience qui est faite à Rome doit être partagée avec l'Afrique. Aussi Guy refait ses bagages et reprend l'avion pour le Kenya, à Naïrobi ; c'est en 2002. Le Tangaza College est une université catholique qui dispense des cours de théologie et de pastorale à des étudiants, séminaristes, prêtres, religieuses et laïcs venus de toute l'Afrique anglophone. Au début, l'aventure paraît folle : manque de moyens, manque d'intérêt pour un monde étranger, voire hostile. Les cendres de l'incendie de l'église paroissiale d'un quartier populaire de Nairobi sont encore chaudes. L'enthousiasme n'est pas encore au rendez-vous. Mais le grain de blé germe et pousse avec obstination.

Après Pâques 2002. Dans la région de Sotik (Kenya) avec Samuel

L'admiration du missionnaire

A quand la moisson ? "Il ne vous appartient pas de savoir le jour et l'heure… " (Actes des Apôtres, ch.1) L'important, ce n'est pas le rêve, mais l'attention au présent, à la rencontre d'aujourd'hui, où Il se révèle comme le Dieu d'Amour. Guy a refait ses cantines ; à nouveau il a pris l'avion pour Paris ; il a été choisi comme assistant du supérieur provincial. Il garde au cœur le souvenir des centurions qu'il a rencontrés, au Mali, au Kenya, sur les rives du Niger ou au pied du Kilimanjaro. Comme le Christ, il a admiré leur foi. "Jésus fut plein d'admiration et dit à ceux qui le suivaient : “En vérité, je vous le déclare, chez personne en Israël je n'ai trouvé une telle foi”

 

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