Voix d'Afrique N°57

" Ouvrez vos portes "
Au Burkina Faso, des vocations missionnaires.

Après 40 ans au Burkina Faso, Bernard Laur est rappelé en France pour faire partie de l'Equipe animatrice de la Province. Il est né en 1934 en Aveyron. Au Burkina Faso, il a été une cheville ouvrière de l'ouverture de la Société aux jeunes africains. Il explique quel est le cheminement de jeunes africains qui désirent devenir missionnaires.

" Ouvres vos portes " :
Ce n'est pas une invitation, ni un conseil ; venant de Jean Paul II au début des années '80, c'était un ordre. Jusque là, les Pères Blancs préféraient que les jeunes africains qui avaient le désir de service l'Eglise aillent former un clergé diocésain solide ; ce n'était que par exception, et avec dispense spéciale, qu'ils étaient acceptés dans la Société. Après Vatican II, la question se posait de changer de politique ; le débat était très animé : certains pensaient que les Pères Blancs avaient fait leur temps, liés qu'ils étaient au mouvement colonial ; et puis, les jeunes maliens ou ougandais seraient-ils à l'aise dans une communauté en majorité européenne ou américaine. D'autres acceptaient de prendre le risque : au delà de la colonisation, il faut s'ouvrir à l'aventure du dialogue entre les religions et les cultures. C'est dans cette direction que Jean-Paul II nous demandait de nous avancer et, pour des raisons évidentes, les Pères Blancs revenaient à leur nom d'origine : les Missionnaires d'Afrique.

 

Jeunes Burkinabé et Mission

Au Burkina Faso, il n'en fallait pas plus pour prendre le risque. Après quelques années d'essais, de tâtonnements et de discernement, nous nous sommes lancés. Pour éviter tout malentendu, nous nous engagions à respecter la vocation des petits et grands séminaires à former le clergé diocésain. La jeunesse est très nombreuse et ne demande qu'à se laisser interpeller. Depuis 1993, c'était ma " mission " à Bobo Dioulasso ; deux autres missionnaires ont la même mission à Ouagadougou, la capitale du Burkina, et à Koudougou, la troisième ville du pays.

A Bobo-Dioulasso


Au coeur de Bobo-Dioulasso

Bobo-Dioulasso, ce sont soixante mille jeunes qui fréquentent soixante sept collèges ou lycées ; l'agglomération compte 700.000 habitants. La ville est un pôle d'attraction pour toute la partie ouest et sud-ouest du pays, et les jeunes qui désirent continuer leurs études viennent y chercher des diplômes et un avenir.
Un tiers de ces jeunes sont chrétiens ; ils aiment le football ou la basket ; ce sont des fans d'Alpha Kondé, le chanteur populaire et connaissent tous la production cinématographique Burkinabé. Pour étudier à Bobo, il faut trouver non seulement les frais de scolarité mais surtout un toit et une table ; certains ont la chance d'avoir un oncle ou un cousin qui travaille en ville ; d'autres doivent trouver une case à louer, une chambre à partager.
Certains ont pris l'habitude de venir à notre communauté et forment un bon groupe d'habitués. Ce sont des jeunes à partir de la 3ème jusqu'en terminale: ils ont entre 16 et vingt ans.

Lucien, Jacques, Augustin et les autres

Lucien vient d'une famille très engagée : maman catéchiste, papa au conseil paroissial, enfants de chœur (appelés ici les " Samuel ") ; Augustin a été baptisé l'an dernier, son père est musulman et sa mère suit la religion traditionnelle ; Jacques a été confirmé cette année.. Ce n'est qu'un échantillon. Par le bouche-à-oreille, ils ont entendu parler du groupe de jeunes qui se réunissent pour parler de la vie missionnaire et ils se rencontrent une fois par mois ; nous commençons par une sorte de conférence sur un sujet qui touche les jeunes : qu'est-ce qui donne valeur à ta vie ? comment tu vois ton avenir, l'affectivité et la sexualité, la vie de l'Afrique, la vocation missionnaire. La vocation de Pierre : " Seigneur, à qui irions-nous ? ", celle de Paul : " Juif avec les juifs, grec avec les Grecs… " ou de Lavigerie : " J'ai tout aimé dans l'Afrique… ". Suit un temps de réflexion silencieuse, la messe et puis un partage de questions et discussions. Le repas de midi clôt la rencontre.
En plus, chacun est invité à venir me rencontrer personnellement dans le mois ; ainsi ce sont une bonne vingtaine de jeunes que j'ai la joie d'accompagner. Jean-Marc vient me voir avec sa " copine " : il veut que je l'aide à comprendre sa vocation ; Barthélemy veut discuter de sa façon de prier ; Maurice voudrait bien que je prenne les décisions à sa place, mais je ne suis pas un guide mais un ami qui accompagne.

 

Première décision

Ce n'est qu'en terminale qu'ils prennent une décision : " c'est d'accord, je voudrais bien essayer de commencer la formation de missionnaire " ; ou bien " je ne me sens pas encore mûr pour cet engagement ; je vais d'abord étudier à l'université " ; ou bien " non, mon désir est de fonder ici une famille. " Chaque réponse est exprimée franchement sans aucune timidité. La décision n'a rien d'un coup de tête : il s'agit de se lancer dans un cycle de formation qui dure neuf ans ! Qu'est-ce qui les motive à entrer " chez nous " ? La vie de communauté internationale sans doute : ils savent que la patrie du missionnaire, c'est toute l'Afrique ; mais aussi le désir du Royaume qui donne un sens à leur avenir. En fin de Seconde et de Première, ils sont invités à participer à un camp missionnaire de 8 jours à Ouagadougou avec les candidats des autres diocèses. En cours de Terminale, les candidats du Burkina vivent une retraite de trois jours à Ouagadougou qui veut les aider à s'acheminer vers une décision ; ceux qui décident d'entrer au séminaire peuvent alors écrire leur demande officielle.

Chaque mois pendant trois ans, des liens d'amitié se forment, très forts et durables ; certains ont passé des diplômes à l'Université, d'autres travaillent, ils ont fondé un foyer, d'autres sont déjà en Tanzanie ou au Kenya, au Congo ou en Algérie…missionnaires d'Afrique.

Bernard Laur.