Voix d'Afrique N°92.

Comment vont
les vieux en Afrique ?


Parler des “vieux” en Afrique n’est pas un sujet très porteur. Qui peut s’inquiéter de ces gens ? Et pourtant, la réalité est là : en Afrique, comme dans le reste du monde, la population vieillit. Plus nombreuses, les personnes âgées sont moins bien traitées par leur famille que le voulait la tradition. Selon des chiffres déjà anciens de l’Onu (2002), le nombre de “ vieux “, en Afrique, passera de 5 % de la population, la moyenne actuelle, à 10 ou 15%, voire 20 %, dans certains pays, à l’horizon de 2050… Mais, contrairement aux pays riches, qui se sont développés avant de vieillir, les pays pauvres vieilliront avant de se développer !
A l’heure où nos sociétés du Nord s’inquiètent de la dégradation des conditions de vie des seniors, il est peut-être bon de regarder ailleurs, là où d’autres sont moins bien lotis.

Un ‘mythe’ qui s’estompe

Il existe une présentation courante de la place des vieux dans les sociétés africaines.

Premier élément du mythe : la mémoire des anciens. On cite souvent cette phrase d’Amadou Hampaté Bâ : « En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. » Il est certain que, dans des sociétés de tradition orale, la mémoire des anciens à une grande valeur. Mais aujourd’hui, des historiens de l’Afrique contestent ce rôle en voyant l’ignorance de certains vieillards.

En effet, certains ne connaissent pas car ils sont restés sourds, dans leur jeunesse, aux récits que leurs parents tentaient de leur communiquer. D’autres, qui étaient pleins de la tradition orale, sont aujourd’hui atteints d’amnésie partielle ou totale, car ils sont ruinés par l’usure du temps ou par la maladie. La disparition de tels vieillards ne peut être comparée à des bibliothèques qui brûlent ; par contre, certains jeunes, disparus prématurément, constituent dans une certaine mesure des bibliothèques qui ont brûlé.

Deuxième élément du mythe qui est en baisse continue : « En Afrique, on adore et respecte les vieilles personnes pour leur sa-gesse et leurs initiatives d’organi-sations de la vie juvénile. Elles défendent les vertus traditionnelles sur lequel sont fondées toutes les structures traditionnelles de l’Afrique : liens de fraternité, liens d’amitié et de mariage. C’est bien grâce à ces liens sacrés qu’en Afrique, aucun membre de la société n’est rejeté qu’il soit sain, malade, jeune ou vieux. La sagesse est relative à l’âge ; plus une personne est vieille, plus elle est respectée et entourée de soins. Elle est consultée et sollicitée dans chaque problème social pour que la lumière de sa sagesse illumine les ténèbres des conflits et répare le tissu social, si déchiré soit-il.

La délinquance juvénile n’a pas sa place dans nos villages ; la jeunesse est occupée toute l’année car les sages l’organisent par saison : une saison de labour, une saison de désherbage, de surveillance, de récolte, de réjouissance, d’initiations et même de voyages obligatoires, tout cela par génération d’âge. » (Cheick Oumar Camara)

Même si le ‘mythe’ s’estompe, il faut dire qu’en Afrique, la vieillesse n’est pas encore une tare. Le mot “ vieux “ est accepté comme un honneur. En beaucoup d’endroits, les privilèges tels que le droit d’aînesse, le droit à la parole et la respectabilité, sont liés à la vieillesse. Ici, le vieux, c’est l’homme d’expériences, de savoir ; c’est l’aîné, c’est le doyen, le père, le grand-père. Dans le monde rural, il assure la distribution équitable des terres, il est dépositaire de la tradition orale, il est conseiller pour l’organisation des diverses cérémonies (baptême, initiation, mariage, funérailles) et le règlement des conflits, et rien de sérieux ne s’entreprend ni ne se décide sans son accord.

Des changements de mentalité

En Occident, on les appelle les ‘retraités’. Le retraité, « c’est, à la fois, celui qui a fini son service ou celui dont on ne se sert plus.»
Dans les cultures africaines, on parle peu des retraités, mais on parle des “ vieillards ”, des “ sages ” ou des “ vieux ”. On insiste sur le fait qu’il s’agit de personnes qui ont duré sur terre, des gens de grand âge ou de plusieurs générations. Elles sont, à la fois, un patrimoine ou une ressource. Pour cela, elles deviennent intermédiaires entre les vivants et les ancêtres.

Dans les deux cultures, le troisième âge reste une classe sociale exclue ou isolée qui n’intervient plus qu’à un niveau particulier de la vie sociale, politique ou religieuse.

Mais la vision d’Amadou Ampaté Bâ déjà citée commence à battre de l’aile avec les nouvelles générations. En effet, avec l’introduction de l’école, de la révolution de la technologie en général et de celle de l’information en particulier, l’ordre social ancien est en train d’être renversé. L’aîné, le vieux ou la vieille, gardien du savoir et de l’expérience d’une civilisation basée sur l’oralité, est en déclin.

A cela s’ajoute brutalement la découverte d’un monde nouveau : la ville, l’Europe et l’Amérique. L’illusion d’un ailleurs radieux offrant plus de possibilités matérielles et de vie paisible a contribué à un dépeuplement massif des villages.
C’est pourquoi beaucoup de vieilles, de vieux, d’enfants et de femmes ont été laissés dans un désarroi total. Non préparés à cette situation, beaucoup de villages africains n’ont pas les structures efficaces pour la prise en charge des personnes âgées.

De plus, avec l’évolution, la famille de type nucléaire (le père, la mère et les enfants) tend à se substituer à celle de type élargi (le père, la mère, les ascendants, et les collatéraux). Cela se réalise surtout en ville où la nécessité de survivre conduit, dans certains cas, à un repli sur l’unité familiale restreinte.

Le changement rapide des techniques et les besoins de productivité toujours plus grands, font de la personne âgée une personne dépassée. On lui donne le statut de “ vieux “, avec une connotation péjorative et une certaine rupture se crée entre elle et les autres membres de la famille, et dans certains cas, le vieillard est considéré comme un fardeau.

Une autre réalité

Le vieillissement de la population est le résultat des progrès de la médecine et de l’amélioration de la qualité de la vie. Ainsi, l’espérance de vie s’allonge, excepté dans les pays très touchés par le Sida. La conséquence, à court ou long terme, en est la marginalisation sociale de ceux qui avancent en âge.

« Au Burkina Faso, explique le ministre de l’Action sociale, les personnes âgées représentent 8 % de la population. Elles ont généralement des problèmes de revenus, d’accès au logement, à la santé et à des loisirs adaptés. Une enquête nous a même permis de dresser le portrait-robot de la personne âgée dans notre pays : le plus souvent, ce sont des femmes ou des hommes démunis du monde rural, sans enfants ou qui vivent éloignés de ces derniers. On a noté aussi qu’il y avait plus de femmes, souvent exclues de leur village après des accusations de sorcellerie… » Outre l’exclusion, l’autre conséquence lourde est la tension que le vieillissement fait peser sur le système des retraites dont les comptes sont déséquilibrés, pour ne pas dire déficitaires.

En Afrique, les pensions, lorsqu’elles existent et sont payées, ne dépassent guère 50 000 F CFA par trimestre (77 euros). Et ces pensions ne concernent que les anciens salariés. Il n’y a rien pour les vieux paysans. Le manque de revenus est le problème le plus crucial pour les personnes âgées. Pas de moyens, pas d’accès aux soins. Pas de logement non plus. De là à penser qu’il faudra, un jour, mettre les vieilles et les vieux Africains dans des hospices, comme dans les pays riches, le pas est vite franchi. Cette perspective choque les Africains peu habitués à traiter ainsi leurs parents. Pourtant, la question est désormais à l’ordre du jour.

Il faut donc renoncer à l’idée mythique d’une société traditionnelle sans maison de retraite, sans SAMU, sans ventilateur ni climatisation. Bref, une société traditionnelle où il ferait bon vieillir, naturellement.
« Est-ce possible ? S’éteindre au milieu des siens, dans sa maison, sans moyen artificiel de prolongation de la vie ? »
Peut-être. Mais les difficultés sont nombreuses. Certes, une société a besoin de ses vieux, symboles de sa continuité en tant que mémoire du groupe et condition de sa reproduction. Mais il faut faire face aux problèmes qui se posent :

D’abord, les problèmes de santé vu l’importance des maladies et l’absence ou l’insuffisance des soins, surtout quand surviennent de nouvelles maladies pour lesquelles les soins semblent inefficaces.

Ensuite, vient la sous-alimentation, liée à la pauvreté, difficulté de pouvoir se nourrir ou de s’offrir les repas suivant ses besoins. Il y a aussi, parfois, l’alimentation malsaine, quand la personne âgée est nourrie d’aliments impropres à la santé, soit par manque d’hygiène ou de repas sans vitamines. L’alimentation malsaine conduit souvent à l’intoxication alimentaire qui, même traitée, laisse se déclencher plus tard des maladies.

L’accès aux médicaments, même génériques, est aussi souvent difficile pour beaucoup de ces vieillards qui se replient alors et s’orientent vers l’automédication ou encore vers les tradipraticiens qui leur semblent plus proches par nature et par leur mentalité.
Les paysans de la campagne ne connaissent pas la retraite. On en rencontre un bon nombre qui effectuent des travaux champêtres jusqu’à un âge très avancé, tant que l’état de santé le permet, forçant un corps chargé de multiples maux que la vieillesse amplifie.

Mais la situation change lorsque ces anciens paysans viennent en ville. Ils se trouvent dans la précarité et la vulnérabilité qui réduisent l’espoir de «vieillesse joyeuse». Le principal facteur est la perte des terres, et de ce fait, de la source de leur survie en nourriture et argent. La réorganisation sociale met à l’épreuve la solidarité entretenue dans les familles au sens étendu. Les vieillards sans propriété foncière disent se trouver plus pauvres que jamais à cause du développement de l’individualisme et de la séparation d’avec les anciennes relations.


Les rapports se relâchent du fait de l’intégration des nouvelles personnes au sein des communautés. Les liens classiques de solidarité avec la famille au sens étendu se perdent au profit de la création d’une nouvelle organisation sociale qui ne favorise pas toujours le vieillard. La mendicité et le déplacement sur de longues distances pour la recherche de la nourriture restent alors la seule porte de sortie pour certains vieillards affaiblis, pris au piège de la modernité. Un autre mode de vie s’impose: Le vieillard doit s’adapter ou décrocher, intégrer le mode de vie en milieu urbain qui exige des potentialités nouvelles tant sur le plan physique qu’intellectuel, dans un corps où la vieillesse a entamé son travail destructeur.

Que faire ?

« Rares sont les pays, comme le Burkina Faso, qui commencent à prendre conscience de la marginalisation des seniors et de la nécessité de trouver des solutions.

Le débat sur la prise en charge des personnes âgées sur le continent est loin d’être tranché, malgré les nombreuses réunions sur le sujet. Le 1er octobre de chaque année, l’Afrique célèbre la journée internationale des personnes âgées. C’est l’occasion d’organiser des campagnes de sensibilisation et des plaidoyers en faveur de leur prise en charge. Mais il n’existe pas encore de politique spécifique. Aujourd’hui, les solutions aux problèmes des personnes âgées se confondent avec les plans nationaux de lutte contre la pauvreté. Le Burkina Faso, pour sa part, a mis en place un Conseil national des personnes âgées, des associations de vieux « bénéficiant du soutien de l’État, et également la création de centres de gériatrie. De telles initiatives coûtent de l’argent que les États n’ont pas toujours. »

« Lors du sommet de Madrid (2002), le plan d’action international contre le vieillissement recommande la création d’une société où les personnes âgées auraient “ tous les droits. “ Mais, chaque gouvernement devra s’occuper de ses propres vieux. En fin de compte, si l’idée de création “ d’une société pour tous les âges “ a été perçue par certains comme “ la consécration du modèle de société à l’africaine “, elle a aussi sonné comme un avertissement pour l’Afrique. Loin, en effet, de tirer leçon de l’expérience des pays du Nord, qui regrettent la marginalisation des personnes âgées, le continent, plus préoccupé par l’avenir de ses jeunes, dérive vers les mêmes erreurs.

Peut-on espérer qu’avec un mieux être matériel l’Afrique conservera ses valeurs traditionnelles (toujours présentes, mais parfois avec beaucoup d’hypocrisie ou de sacrifices) ?
Là où l’Occident l’a précédée et regarde en arrière son folklore et ses traditions qui ont été sacrifiés sur l’autel du développement et de la consommation, l’Afrique ne peut-elle pas inventer une autre voie préservant ses valeurs ? »


Voix d’Afrique
d’après des sources diverses

Histoires à méditer

Un vieil homme vivait avec son fils, sa belle-fille et son petit-fils. Le fils et sa femme le considéraient comme un fardeau et ne voulaient plus dans leur foyer d’une personne âgée et physiquement diminuée. Ils décidèrent de se débarrasser du problème. Le fils installa son père handicapé dans un panier et s’enfonça dans la forêt, où il comptait abandonner le vieillard. Le petit-fils, observant son propre père, lui dit : « Père, n’oublie pas de ramener le panier. » « Pourquoi? », demanda le père. « Parce que j’en aurai besoin quand tu seras vieux », répondit l’enfant. (Conte populaire bengali)

Dans une cité industrielle du nord de l’Angleterre, un vieillard devint un jour une charge pour sa famille. Incapable de s’en occuper, son fils décida de l’emmener à l’asile. Le père ne pouvant marcher, il le chargea sur son dos. Comme ils gravissaient la colline, le fils fit une pause pour reprendre son souffle. Le vieillard lui dit alors: « Quelle coïncidence, c’est précisément ici que je me suis reposé lorsque j’ai amené mon père à l’asile il y a 40 ans! » Le fils fit demi-tour et rentra à la maison. (Folklore industriel, Grande-Bretagne, XIXe siècle)



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