Voix d'Afrique N°72...
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Nos lecteurs se souviennent de ce missionnaire Burkinabé, de son cheminement et de son apostolat au Rwanda (cf. n° 69 de Voix d'Afrique et n°70 ainsi que 71).
Du Caire, où il étudie la culture arabe, il nous envoie une circulaire.
Nous reproduisons sans modification ce récit de son voyage qui l'a amené du Rwanda au Caire en passant par Paris.

Rencontre avec l'Islam

Récemment des tensions entre chrétiens et musulmans ont éclaté dans la 2ème ville du pays. Le Président Moubarak a appelé au calme en insistant sur le fait que l'unité et la paix entre chrétiens et musulmans en Egypte sont essentielles et font partie de l'histoire de ce pays. Et cette unité doit être préservée à tout prix. La force des armes a ramené le calme. Nous prions pour que la force de l'amour installe la paix dans les cœurs.

Les richesses de l'Egypte

Le vieux Caire Mosquée El HakimL'Egypte est un véritable musée. J'espère bien visiter quelques sites historiques. J'ai déjà nagé dans la Mer rouge, la mer que le peuple juif a traversée, la mer de la libération de l'esclavage ! J'ai été surpris de voir qu'elle n'était pas profonde, du moins en certains endroits. J'ai escaladé le Mont Sinaï, le mont de Moïse, la montagne des Dix Commandements. Nous avons commencé la montée à 2 h. du matin et nous sommes arrivés au sommet à 5.30?h : c'est impressionnant. Le lever du soleil est féerique. Nous aurions voulu avoir un moment spirituel, mais il y avait des centaines de touristes sur le sommet, attendant le lever du soleil. Très peu pensaient à la signification de cette montagne. Tout ce qui les intéressait, c'était le spectacle du lever de soleil et le jeu des lumières. Il y a une église orthodoxe au sommet de cette montagne. Malheureusement elle était fermée. Nous avons pu malgré tout célébrer une messe.

Au pied de la montagne de Moïse j'ai visité le monastère de Sainte Catherine. C'est un des plus anciens monastères chrétiens. C'est un monastère grec orthodoxe. On peut y visiter la chapelle, le puits de Moïse, le buisson ardent qui a fleuri, et la bibliothèque, où se trouvent des manuscrits très anciens, des icônes très anciennes et nouvelles… c'est très impressionnant et très beau.

J'ai aussi visité les trois pyramides qui sont en dehors du Caire. Quelle architecture ! Mais on reste perplexe devant ces blocs de pierre et la perfection des mesures. Comment des êtres humains ont-ils pu tailler des pierres pareilles et aussi tailler des statues dans le rocher ? Un guide nous disait qu'il y a environ cinq à sept mille personnes qui visitent les pyramides par jour. L'entrée coûte 7 dollars et l'entrée dans chaque pyramide coûte 4 dollars. L'Egypte vit du tourisme. Heureusement d'ailleurs, sinon le pays n'est qu'un vaste désert traversé par un fleuve.


Vallée des Rois
Temple de la Reine Atchepsut

Dans le désert et les mosquées

J'ai passé trois jours et deux nuits dans un désert. La première nuit, c'était dans un désert rempli de rochers tout blancs. Nous étions en compagnie de bédouins. La deuxième nuit, ce fut le désert de sable, des dunes de sable. C'est du sable fin. C'est très beau. Nous avons aussi visité des oasis.

L'Institut organise de temps en temps des visites de sites historiques. Nous avons récemment fait le tour de certaines mosquées historiques du Caire. Ça nous a permis de mieux comprendre l'histoire de l'Islam, avec ses différentes périodes et styles de construction. Il paraît qu'il y a 2500 mosquées au Caire et environ 60.000 mosquées dans tout le pays. Ça doit être vrai. Il y a des mosquées partout. Le Caire s'appelle à juste titre la ville aux mille minarets.

Dans un monastère chrétien

Récemment nous avons visité les premiers monastères chrétiens de l'Eglise. Les monastères de Saint Antoine le père de la vie monastique et celui de Saint Paul, ermite. J'ai admiré la simplicité, la pauvreté des lieux. Malgré les nombreux touristes qui y vont, les moines gardent la simplicité et la pauvreté de leur consécration. Je suis rentré dans la cave de Saint Antoine. C'est un trou dans la montagne. Il a passé là des années dans l'union avec Dieu. Quand on est à l'intérieur on est tout de suite pris par le sens du sacré. Soit on a peur (un parmi nous a avoué avoir eu peur) ou on est envahi par la Présence. Ce fut mon expérience. J'ai alors baisé la pierre devant moi et demandé à Saint Antoine d'intercéder pour moi afin que je sois ce prêtre selon le cœur de Dieu. J'aurais tellement voulu rester là, mais une file attendait pour voir. Voir quoi ? Cela dépendait de chacun de nous ! Je pense avoir vu avec mon cœur.

Etude de l'arabe

Je ne passe pas tout mon temps à faire du tourisme ! Mais il faut bien visiter les beaux endroits de l'Egypte puisque j'y suis. La grande partie de mon temps, j'étudie l'arabe. Hélas, il me faut bien passer par là pour connaître l'Islam.

Nous sommes environ quarante étudiants en 1ère et 2ème année. Nous sommes de nationalités différentes et d'églises différentes. On vit donc l'œcuménisme. L'arabe est une belle langue. Nous avons 21 heures d'arabe par semaine. Ce sont des cours intensifs. C'est très bien organisé, mais c'est difficile ! L'arabe que j'apprends est pour lire le Coran, les écrits anciens et modernes d'écrivains arabes et les journaux. Personne ne parle l'arabe classique ici. Chaque pays arabe a une langue arabe dialectale. En Egypte ils parlent l'arabe dialectal égyptien différent de l'arabe dialectal libyen, différent de l'arabe dialectal algérien et ainsi de suite.

Au début, l'arabe était un charabia. Ma première préoccupation, quand je suis arrivé, était d'apprendre les chiffres pour connaître le prix des choses. J'ai vu une cabine téléphonique et j'ai recopié les équivalences des signes que je voyais. Bien que 01234… soient des "chiffres arabes", en Egypte ils utilisent d'autres caractères… d'origine perse ou indienne.

Des cours intensifs

Le 5 septembre nous avons commencé les cours. Ils nous ont bombardé pendant deux semaines de mots et de phrases en arabe. J'étais perdu. Les professeurs sont des Egyptiens. Ils refusent de parler anglais ou toute autre langue. Après deux semaines nous avons commencé les cours proprement dits. Alors ils ont ralenti le rythme. Ils prennent le temps pour nous expliquer la langue. Ils utilisent de temps en temps un peu d'anglais. Mais l'essentiel des cours est donné en arabe. Nous sommes dans des petits groupes de 4 à 6 étudiants. Ça donne l'occasion à chacun de nous de parler, lire …

Chaque leçon est un texte. Un professeur nous explique le texte. Un autre vient nous expliquer des points de grammaire. Un autre approfondit un point de linguistique. Un autre nous fait lire le texte, puis il nous fait une dictée. Un autre professeur nous pose des questions sur le texte étudié et il faut répondre en arabe. Ils se succèdent après une heure.

C'est passionnant, tout cela, mais c'est difficile, surtout la grammaire. L'analyse des mots d'une phrase est un casse-tête chinois, je préfère dire maintenant, un casse-tête arabe !
Un autre professeur nous apprend la messe et les prières chrétiennes en arabe. Puis un autre nous apprend l'Islam en arabe : la profession de foi, la prière, le jeûne, l'aumône, le pèlerinage. Le tout en arabe. J'espère ne pas devenir musulman après avoir appris tout cela en arabe. Je trouve ça génial !

La panique est surmontée !

Voilà, je fais ce que je peux. Je me sens plus confiant qu'au début. J'ai paniqué au début. C'était trop intense. Et puis il fallait s'installer à la maison, acheter ceci ou cela. Maintenant, ça va, je me sens installé. Nous préparons nos repas nous-mêmes et je dois avouer que c'est un stress pour moi. Je suis nul en cuisine. Et je dois préparer deux fois par semaine. C'est deux après-midi de perdus. Heureusement que mes deux autres compagnons sont de bons cuisiniers.

L'arabe commence à ne pas être difficile. Il y a un peu trop de choses (des mots) à mémoriser par semaine. Mais ça vaut la peine de vivre cette expérience.


St Marc
Icône de la Cathédrale d’Alexandrie

Dialogue

Evidemment nous avons aussi des cours d'Islam et de dialogue interreligieux, donnés en anglais. Le cours d'Islam est donné par différents professeurs. Nous sommes actuellement sur l'histoire de l'Islam. Le cours de dialogue interreligieux porte sur l'histoire des relations entre chrétiens et musulmans. J'adore ce cours, qui est donné par un pasteur luthérien américain. Il est superbe. Nous découvrons comment le fondamentalisme musulman ne date pas du siècle passé. C'est la résurrection de certains auteurs musulmans anciens en polémique avec des chrétiens.

Je trouve que je fais trop d'arabe au détriment de l'Islam et du dialogue interreligieux. Je ne vois pas pourquoi je dois apprendre tant d'arabe alors que je ne vais pas vivre dans un pays arabe. Le programme de l'Institut où j'étudie est en effet conçu pour préparer ceux qui vont vivre leur mission dans un pays arabo-musulman. Mais en parcourant le programme de l'université grégorienne où je suis supposé aller étudier l'an prochain je me rends compte que cette année au Caire est une très bonne préparation. J'aurai l'occasion d'approfondir à la Grégorienne ce que j'étudie ici. Je pourrai tout en étudiant le dialogue interreligieux approfondir mes connaissances en Islam.

Vie de prière…

Sur le plan spirituel j'ai été un peu dérouté au début. Je n'arrive pas à trouver un rythme pour ma méditation personnelle. Notre communauté a un rythme de prière normal. Nous avons la prière du matin et du soir ensemble. Du lundi au samedi nous célébrons la messe dans notre maison, au salon, devant la télévision (éteinte, bien sûr !). Au début, c'était difficile de trouver du pain et du vin pour célébrer l'eucharistie. J'ai quémandé à droite et à gauche dans les communautés religieuses. Les salésiens fabriquent du vin, mais pour les hosties, il faut peiner pour en trouver. Maintenant je connais beaucoup d'endroits où je peux en trouver. Le dimanche nous allons à la messe à l'église paroissiale. Les vendredis, nous avons la messe à l'Institut. Cette messe est supposée être en arabe, mais pour le moment nous la célébrons en anglais ou en français.

…et liturgie

J'ai été surpris que les messes à l'église paroissiale ne soient pas en arabe. Essayez de comprendre ceci?: du lundi au jeudi, la messe est en français ; le vendredi, la messe est en anglais ; le samedi, la messe est en italien. Le dimanche, la première messe, à 8 h, est en arabe ; la deuxième, à 11 h., est en français ; la troisième, à 18 h. en anglais ; la quatrième, à 19 h. en français. Je n'y comprends rien. Enfin, je comprends que nous vivons dans un quartier de l'élite. Le curé me disait récemment qu'il y a 52 nationalités dans la paroisse. Il y a beaucoup d'ambassades dans l'île, même celle du Vatican y est. Et beaucoup de chrétiens catholiques de rite latin parlent français, car le français est la langue de la haute classe en Egypte et la langue des premiers missionnaires catholiques de rite latin. Jusqu'à présent on parle français dans beaucoup de communautés religieuses. Et cette haute classe se trouve sur notre île. Nous sommes en pleine option (préférentielle ?) pour les riches. Chaque fois que je dis à quelqu'un que j'habite à Zamalek, il me regarde deux fois comme pour dire : "Toi, tu es de la haute classe ? "

La paroisse est tenue par les pères comboniens. Ils sont bien installés ici, au Caire. Ils ont 4 paroisses, dont une paroisse pour les réfugiés soudanais. Les églises sont solides. Je n'ai vu des églises comme cela qu'en France. Les franciscains et les jésuites sont aussi bien installés en Egypte. Le curé de la paroisse m'a demandé de l'aider pour les messes en français. Pour les autres langues il assez de vicaires. Je célèbre donc une messe en français le dimanche. J'aime bien célébrer à la paroisse ; ce ministère me permet de rencontrer des gens ; sinon, nous sommes trop isolés, entre nous dans notre maison, plongés dans l'étude de l'arabe.

Et je sens le désir d'être davantage proche des chrétiens égyptiens. Le curé m'a dit que des chrétiens lui ont demandé de me donner plus de jours pour célébrer, car ceux qui ont participé aux messes que je célèbre trouvent que je les aide à approfondir et fortifier leur foi. C'est de cela qu'ils ont besoin. Et c'est ce que j'essaie de faire. Au début je me demandais ce que les prêtres faisaient dans un pays arabo-musulman. Effectivement la quantité de travail est différente. Il n'y a pas beaucoup de chrétiens dans les églises. La rencontre avec des musulmans est une pastorale essentielle qui va avec l'affermissement de la foi des chrétiens qui vivent dans ces milieux.

Serge Traoré
Missionnaire d'Afrique.




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