Voix d'Afrique N°99.


Quinze ans de mobilisation de millions de gens à travers le monde, de la société civile, de célébrités et de Prix Nobel de la Paix pour aboutir à un texte de 15 pages : le traité sur le commerce des armes (TCA) a été voté le mardi 2 avril 2013 par 154 des États membres de l’ONU (seules la Corée du Nord, l’Iran et la Syrie ont refusé.) 23 se sont abstenus, dont la Russie, l’Inde et des États arabes.
Les transferts d’armes irresponsables, qui tuent une personne chaque minute, vont désormais pouvoir être contrôlés. Les ventes, achats et transferts d’armes seront strictement subordonnés aux risques liés à la violation des droits humains et du droit international humanitaire.


Le siège de l’ONU à New-York

Nairobi, La marche vers le traité

Depuis les années 1990, Amnesty International milite en faveur d’un traité international qui établisse des règles pour une stricte régulation du commerce international des armes. « Chaque année, des centaines de milliers de gens sont tués, torturés, violés ou déplacés de force parce que des armes sont utilisées de manière abusive », déclarait Irène Khan, son secrétaire générale.

Le footballeur Lilian Thuram s’est personnellement  investi dans la campagne « Control Arms »En 1997, des lauréats du prix Nobel de la Paix réclament, avec le soutien d’ONG, un Code de conduite sur les transferts internationaux d’armes. Trois ans plus tard, des ONG élaborent, avec l’aide d’experts juridiques internationaux, le premier “projet de convention cadre sur les transferts internationaux d’armes”. Cela deviendra la base des principes généraux régissant les transferts d’armes.

Octobre 2003, une coalition d’un grand nombre d’ONG, avec à sa tête Amnesty International (droits humains), Oxfam (développement) et le Réseau d’action internationale des ONG sur les armes légères, lance la campagne mondiale « Contrôlez les armes » dans plus de 70 pays. C’est un grand combat qui s’annonce alors pour convaincre les États de la nécessité d’adopter un traité qui permettrait de réguler le commerce des armes –un traité international sur le commerce des armes classiques (TCA). Cette année là, en effet, seuls six États y sont favorables (le Brésil, le Cambodge, le Costa Rica, la Finlande, la Macédoine et le Mali). L’Union Européenne les rejoint en octobre 2005 quand elle annonce son soutien à l’adoption d’un texte juridique visant à réglementer le commerce des armes. La même année la France rejoint le mouvement en cours.

Juin 2006, trois ans après le lancement de la campagne, la pétition du « Million de visages », rassemblant les photographies d’un million de personnes du monde entier est remise au secré-taire général des Nations Unies Kofi Annan. Et en décembre, l’Assemblée générale des Nations Unies vote pour la première fois en faveur d’un processus onusien d’élaboration d’un TCA. Un vote obtient une majorité écrasante : 153 États lui ont apporté leur soutien, pour 24 absentions et 1 seule voix contre, celle des États-Unis.

Fin 2009, le principe du TCA est définitivement validé par 151 Etats. Les États-Unis se positionnent favorablement et rejoignent enfin le processus d’adoption. Une vingtaine d’États (dont la Russie, la Chine, l’Égypte ou encore l’Inde) restent sceptiques et se sont systématiquement abstenus. Seul le Zimbabwe se positionne alors contre.
En juillet 2010, les États démarrent au siège des Nations Unies le premier cycle de négociations en vue de l’adoption d’un TCA efficace, une adoption prévue pour l’année 2012.

2012, après deux sessions du comité préparatoire du traité, c’est la conférence de l’ONU pour un traité sur le commerce des armes qui, malheureusement, n’aboutira pas.

Mars 2013 marque l’aboutissement de tout ce travail.

Ce qui est en jeu

Campagne d’Amnesty International  pour le contrôle des armes« Chaque jour, des milliers de personnes sont tuées, blessées, violées et déplacées par des forces de sécurité officielles, des groupes armés, des bandes criminelles ou d’autres individus armés. Cette situation est favorisée par les nombreux transferts irresponsables d’armes classiques. L’accès facile aux armes n’encourage pas seulement les violations du Droit international humanitaire et des Droits de l’Homme, il a également des conséquences désastreuses sur le développement économique et social puisque les achats en armement de certains gouvernements dépassent les besoins légitimes de la défense nationale, détournant des montants importants des budgets de la santé et de l’éducation, et engendrant souvent des pratiques de corruption. »

Depuis plus d’un an, nous avons vu sans discontinuer des gouvernements d’Afrique du Nord et du Moyen Orient réprimer des manifestations pacifiques par les armes et causer des centaines de morts et de blessés parmi la population civile. Ces souffrances doivent cesser.

Chaque semaine, en Syrie, des dizaines d’enfants sont tués par les “forces de l’ordre”.

Le commerce des armes représente environ 80 milliards de dollars par an. Les cinq membres permanents du Conseil de sécuri-té (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France) et Israël représentent 90% des exportations mondiales d’armes neuves.

Il était crucial que le traité comporte :
* des règles strictes qui protègent les droits humains et empêchent que des armes soient envoyées à ceux qui sont susceptibles de les utiliser pour violer gravement ces droits ;
* une liste de contrôle incluant tous les types d’armes et de munitions ;
* des règles claires à appliquer et un système de surveillance pour faire en sorte qu’elles soient respectées.

Les 193 pays membres de l’ONU n’avaient pu se mettre d’accord par consensus, à New York, sur ce texte de quinze pages censé moraliser les ventes d’armes, un marché de 80 mil-liards de dollars par an. L’Iran, la Syrie et le Corée du Nord avaient bloqué le texte à l’issue de dix jours de négociations.

Une centaine de pays, dont la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, ainsi que de nombreux pays africains et latino-américains, ont alors proposé à l’Assemblée d’adopter une résolution reprenant le projet de traité et l’ouvrant à la signature. Chaque pays est libre de signer ou non le traité et de le ratifier. Il entrera en vigueur à partir de la 50e ratification, ce qui pourrait prendre deux ans, selon des diplomates. La Russie, un des acteurs majeurs du marché, a indiqué qu’elle pourrait ne pas le signer.

La Chine et la Russie, deux des principaux exportateurs d’armes, se sont abstenues, de même que Cuba, le Venezuela, la Bolivie et le Nicaragua.

Que contient le traité
sur le commerce des armes ?

Le principe de ce traité de quinze pages est que chaque pays évalue désormais, avant d’autoriser une transaction, si les armes vendues risquent d’être utilisées pour contourner un embargo international, commettre des “violations graves” des droits de l’homme, ou être détournées au profit de terroristes ou de criminels. Sont couvertes les armes conventionnelles (y compris les armes légères et de petit calibre), du pistolet aux avions et navires de guerre, en passant par les missiles. Il s’applique à tous les types de transferts - entre autres les importations et les exportations, les réexportations, les transferts temporaires et les transbordements, qu’il s’agisse d’opérations sanctionnées par l’État ou commerciales, de transferts de technologies, de prêts, de dons et d’aide. De façon générale, toute forme de transfert de biens matériels, de crédit ou de compétence.

Il s’applique à toutes les transactions - notamment celles effectuées par les concessionnaires/courtiers, et celles fournissant l’assistance technique, les formations, le transport, le stockage, les finances et la sécurité.

Pour que le texte entre en vigueur, il lui faut désormais être ratifié par 50 États, ce qui pourrait prendre un an ou deux. Il sera ouvert à signature et à ratification le 3 juin 2013 lors de l’Assemblée générale des Nations unies. Saluant une “avancée majeure pour le droit humanitaire international et les droits de l’Homme”, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius a encouragé au nom de la France les États membres “à signer et ratifier rapidement ce traité”.

Malgré son abstention, Pékin a laissé la porte ouverte à une ratification du traité, sur laquelle «la Chine prendra une décision en fonction des réalités sur le plan intérieur et de la situation internationale en la matière», conclut Hong Lei.

Quelles conclusions retenir ?

Une reconnaissance des souffrances des populations
Ce vote marque d’abord une reconnaissance des souffrances des populations. Elle est, en effet, longue la liste des pays où les civils ont payé ou paient encore le prix fort de la circulation irresponsable des armes.

La victoire de la société civile
Même si ce traité n’est pas parfait, il comporte des éléments pour lesquels les organisations de la société civile se sont mobilisées depuis plus de 15 ans. En réalité, ce qui est couronné de succès aujourd’hui ce sont les nombreuses pétitions signées par des millions de citoyens à travers le monde. Ce sont aussi les nombreux rapports d’enquête, les centaines d’heures du plaidoyer des ONG auprès des hauts fonctionnaires ou des décideurs politiques dans les couloirs de l’ONU ou dans les capitales.

Le triomphe du multilatéralisme
Avec ce traité, c’est aussi le triomphe du multilatéralisme qu’il faut célébrer. Les commentaires sur l’impuissance de l’ONU souvent entendus sont heureusement balayés par ce vote clair. Que le TCA ait finalement été adopté dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU est un symbole fort. Pendant la séance, ce n’est pas le PIB et la puissance militaire qui ont été déterminants. Chaque État avait droit à un seul vote et c’est la majorité qui l’a emporté.

Les États membres de l’ONU ont massivement voté en faveur du Traité international sur le commerce des armes. C’est sans conteste la plus grande avancée du droit international depuis le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI).
Aujourd’hui, les seigneurs de la guerre, les dictateurs qui utilisent les armes contre les populations, mais également les acteurs du commerce mondial des armes ont enfin une épée de Damoclès qui plane au-dessus de leurs têtes. C’est un évènement unique qui mérite qu’on se réjouisse.

 

Le dormeur du val

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent; où le soleil de la montagne fière,
Luit; C’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font plus frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.

Arthur Rimbaud

 

D’après des sources diverses
Voix d’Afrique


.............. Suite