Voix d'Afrique N°68

La Tournée

 
Une longue habitude

C'est la routine : tout au long des mois et des semaines, le calendrier du missionnaire de brousse est rythmé par "les tournées", les fameuses tournées ! C'est tout simple : le missionnaire ou bien prépare sa tournée, ou bien il est en tournée, ou bien il revient de tournée. En Afrique de l'Est, c'est "le safari" ; au Malawi et en Zambie (au Malawi où j'ai vécu et travaillé de 1960 à 1998), c'était le "ulendo" ; en Afrique de l'Ouest, c'est tout simplement “la tournée”. Dans chaque poste de mission, régulièrement les trois missionnaires de réunissent pour faire le programme de ces sorties, et s'assurer que toutes les communautés chrétiennes sont visitées régulièrement.

Une paroisse pas comme les autres

Une paroisse en Afrique n'a rien à voir avec une paroisse de France. De la taille d'un grand diocèse, elle est divisée en secteurs, avec des succursales et des cases chapelles. Les plus proches sont à une vingtaine de kilomètres, les plus éloignées peuvent être jusqu'à 150 kilomètres. Pour rejoindre ces succursales, la route asphaltée est encore une rareté. Le plus souvent, il faut prendre les pistes de terre ou les chemins de brousse. Exceptionnellement, il faudra faire quelques heures de marche, parce qu'il n'y a pas encore de pont sur une rivière, parce qu'il a plu et qu'un éboulement a barré un escarpement.

Selon les pays et les périodes de l'année, la tournée dure trois ou quatre jours. Il peut arriver, dans la boucle du Niger, au Mali, par exemple, qu'on parte pour trois ou quatre semaines pour faire étape d'un village à l'autre. Du jeudi ou vendredi au dimanche ou lundi, trois semaines sur quatre, c'est "la tournée".

Les bagages

La préparation des bagages, c'est important. Tout d'abord, la caisse chapelle : elle comprend calice et patène, vin (un minimum) et hosties, livres et vêtements liturgiques. Chaque missionnaire a sa caisse chapelle qu'il entretient et nettoie régulièrement. Il vérifie que tout y est. Il m'est arrivé, je le confesse, de payer cher une distraction. Pendant le temps de carême, j'avais dans une boite en plastic les cendres pour l'imposition liturgique. Quelques semaines après Pâques, j'arrive dans la succursale, après 80 km. de piste. Au moment de préparer la messe, et de mettre les hosties sur l'autel, surprise ! la boite où je pensais garder les hosties ne contient que des cendres ! Il faudra se contenter de toutes petites parcelles de la grande hostie !...

On n'oublie pas le rasoir et la brosse à dent, quelque linge de rechange, quelques boites de corned-beef et de lait condensé ou en poudre, du thé ou du café soluble, une couverture et un matelas pneumatique. Certains missionnaires sont capables de dormir sur des nattes locales. Mon expérience personnelle a été concluante : j'ai toujours eu besoin d'un matelas de mousse, si mince soit-il. Il est prudent de se munir d'un tube de nivaquine, en cas de crise de palu, et de quelques remèdes contre la diarrhée ou pour faciliter la digestion. Et tout cela est empaqueté, ficelé, tassé sur le porte bagage de la bicyclette ou de la moto. Aujourd'hui nombreux sont les missionnaires qui ont une camionnette : cela facilite le rangement. Il est vrai que le Seigneur envoyait ses disciples avec le conseil de voyager léger… mais c'était il y a 2000 ans et le Mali ne ressemble pas à la Galilée !

Les pistes

Et c'est parti, pour une heure ou deux de piste, parfois plus. Selon les saisons, c'est le sable ou la boue, la "tôle ondulée" traditionnelle, les rivières à traverser à gué, les escarpements. Un pont a été emporté par une crue, il faudra faire un long détour. En chemin, les rencontres sont courantes : une femme va au marché avec un lourd panier sur la tête, un enfant sur le dos doucement bercé par l'allure de sa mère : "Bonjour, la mère ! où vas-tu ? … monte ! tu seras arrivée plus vite." Un homme pousse sa bicyclette, un gros sac de mil ou de maïs sur le porte bagage : "allez ! monte toi aussi !" au bout de quelques kilomètres, la camionnette est pleine !

Bienvenue

Enfin, après mille contours, virages et bifurcations, voilà la case chapelle, pas loin du village. Les enfants ont été les premiers à entendre le bruit du moteur : ils accourent en criant, pieds nus, culottes mille fois rapiécées, chemises volant au vent. "Le père est arrivé ! le père est arrivé !" Ils tiennent à me saluer personnellement : les mains sont déjà calleuses mais le geste est chaleureux. Chacun prend quelque bagage et le transporte dans la case qui sera ma maison pour quelques jours. Une jeune fille m'offre une gourde d'eau fraîche ; çà fait du bien ! Elle déploie une natte et je peux m'asseoir et étendre les jambes.

Mille
rencontres

Jean Baptiste arrive : c'est le catéchiste. "Comment çà va ? … et ta famille ? … le village ? - comment vont les pères et les gens de la paroisse ? " Il y a toujours des nouvelles à partager. Et puis, le programme est mis sur pied : visites à faire, un chef à saluer, une famille endeuillée, des malades à soutenir. Quelques rencontres sont prévues : le conseil local des chrétiens, les catéchumènes, les catéchistes bénévoles, les jeunes de la chorale, des parents qui demandent le baptême pour leur bébé, des fiancés ou des couples déjà formés qui demandent le sacrement de mariage, ou tout simplement un ami qui vient passer un moment. L'un d'eux m'apporte un poulet, une vieille grand-mère m'offre quelques œufs, des épis de maïs frais qu'on fera rôtir sur le feu de bois, ce soir, sous les étoiles.

Vivre avec

Pendant trois au quatre jours, le missionnaire vit avec les hommes et les femmes des villages. Visites, rencontres, palabres, repas partagés, boule de mil lentement pétrie au creux de la main, calebasse de bière circulant de l'un à l'autre, paroles de joie et larmes de deuil, mains rugueuses serrées, embrassades fraternelles, rires et sourires droit dans les yeux, marches dans la poussière, au grand soleil, repos à l'ombre maternelle du manguier… Le long pèlerinage continue, commencé il y deux mille ans, là-bas, dans les collines de Galilée, non loin d'un lac : "Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement… En entrant dans la maison, saluez-la… que votre paix vienne sur elle."

Et la tournée continue, jusqu'aux plus pauvres de la terre.

G.Guirauden
Missionnaire d'Afrique

Photos de P. Gérard Guirauden pendant ses tournées au Malawi

 

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