Voix d'Afrique N°52
Regard

Les Poèmes de Soumia lamri

Suite à l'article du P. Cominardi sur la compassion, des lecteurs nous ont écrit et téléphoné pour nous dire leur regret de n'avoir pas pu lire l'un ou l'autre poème de Soumia, puisque l'article en parlait. Voici donc ses trois poèmes présentés par le P. Cominardi (Extrait de la revue Hayat).

P. Fr Cominardi PB.


Soumia Lamri


1er Poème
2ème Poème
3ème Poème
Lettre du médecin à Soumia


Soumia, 17 ans et demi, lutte depuis trois ans contre un cancer des os. Malgré trois opérations le mal se généralise. Elle se sait condamnée à brève échéance et, bien que croyante, elle redoute la montée de la souffrance : "Plutôt mourir que de souffrir autant". Elle est hospitalisée et toute une équipe médicale l'entoure de soins affectueux, en soutenant son courage et sa foi, en veillant à ce qu'elle ne manque pas de calmant pour atténuer ses douleurs. Parfois cela va mieux, elle veut écouter de la musique, lire Hayat, faire des mots croisés, regarder la télé...Parfois on la trouve prostrée, engourdie par les drogues...Souvent elle gémit, et même crie sa douleur. Estomac, foie, poumons, le mal est partout.

Un matin, je la trouve au plus mal. Elle se sent mourir. Je la reverrai toujours prononçant de toutes ses lèvres sa profession de foi, sans qu'aucun son ne sorte de sa bouche, ses grands yeux tournés vers le ciel, avec une concentration et une solennité extraordinaire. Je lui tiens la main, accompagnant sa prière : "Soumia, Dieu, le Miséricordieux, plein de tendresse, t'attend, il est prêt à t'accueillir". Elle approuve d'une pression des doigts.
Le 25 mars 1999, Soumia est partie vers son Créateur : Foule énorme au cimetière. Huit jours après, sa maman me confie le petit cahier sur lequel elle avait transcrit trois poèmes, écrits depuis qu'elle se savait condamnée (voir encadrés).Ce sont ces poèmes qui tracent en filigrane tout le parcours spirituel extraordinaire de cette jeune fille. Mais essayons de pénétrer, avec ce qu'elle nous a laissé par écrit, dans le mystère de ce qu'elle a vécu au plus profond d'elle-même. À 15 ans une jeune fille a la vie grande ouverte devant elle : elle rêve de son avenir, de l'amour d'une famille. Dans son corps et dans son cœur il y a des énergies nouvelles et elle est naturellement toute penchée vers le futur. C'est la nature des choses...
Pendant son adolescence, Soumia fait par contre une expérience très différente : atteinte d'une maladie très grave, un cancer des os, qui se répand vite dans tout son corps, elle connaît bientôt la crainte, l'angoisse, les va-et-vient vers l'hôpital, les soins douloureux, l'interrogation sur l'avenir.

La plupart des adolescentes algériennes ont un cahier ou un album, où elles conservent documents, photos, lettres, textes, etc. qui leur sont chers. Soumia ne fait pas exception. Elle se confie à son cahier, comme l'on se confie à une amie intime, à qui on livre ses sentiments et ses pensées les plus secrètes : "Le temps a changé ma ressemblance et a dispersé mon savoir. Il m'a fait perdre ma beauté et ma jeunesse. - O temps tu m'as trahi." Il faut dire que Soumia avait confiance en l'équipe médicale qui s'occupait d'elle. Il lui arrivait peut-être de laisser sortir un mot, un soupir, quelques phrases qui révélaient son état d'âme, le désespoir qui s'était emparé d'elle. Peut-être même a-t-elle fait lire à I'un ou à l'autre ces réflexions sur le cahier. Un médecin lui répond par écrit : "Ce que tu as appris dans ton épreuve, les autres mettent de nombreuses années de leur existence à le comprendre".

Sur le papier, des traces de larmes nous révèlent que cet écrit a dû faire une grande impression sur Soumia. Est-ce là que commence la remontée vers l'espérance ? Peut- être. Dans le deuxième poème, le ton change : Soumia semble regarder en face sa maladie, et même la mort inéluctable devant elle, mais : "Ma douleur ne vient pas d'un amour éperdu, ni d'une passion, mais du Seigneur des mondes". Et plus loin : "C'est toi Seigneur, notre berger, notre bienfaiteur, celui qui nous fait vivre et mourir".
Plus le physique cède devant le mal qui avance, plus l'esprit se ressaisit : lucidité, courage, douleur acceptée, foi, jusqu'à "L'éclat de mon espoir", comme elle a voulu titrer son dernier poème : "Dieu m'a donné ma suffisance de foi…Sois la bienvenue, ô mort ! Je n'ai pas peur de toi, mais de la rencontre de mon Seigneur".

C'est dans ces dispositions que Soumia est partie à la rencontre de son Seigneur. L'impact de ces longues semaines de souffrance et de courage de Soumia a été très fort sur tous ceux, parents, amis, personnel hospitalier qui l'ont accompagnée jusqu'au bout.

Soumia, nous garderons le souvenir de ton douloureux sourire au cours de ton épreuve et de ta foi lumineuse. Puissent ces quelques poèmes que tu nous as laissés, nous aider à affronter la vie avec plus de courage... tant il est vrai que ce sont ceux qui vont mourir qui nous apprennent à vivre.



Le premier poème de Soumia

Au nom de Dieu, le Tout Miséricorde,
le Miséricordieux,
Au nom de la Cause première de tout, de l'lnspirateur de la poésie, de celui qui parle aux amis,
moi, Soumia Lamri, j'écris pour la première fois avec la plume bleue sur la feuille blanche, pour donner libre cours à mes sentiments et relater mes pensées.
Ma première idée, c'est :
"Ce qui me vient à l'esprit" ou bien "Le temps"
Passe le temps, s'écoulent les jours,
mais trompeur est le temps.
Tu ne sais ni ce qu'il cache, ni ce qu'il se propose,
mais l'amertume du temps
fond sur toi à l'improviste.
Il y a des jaloux, il y a des généreux, il y a
des porteurs de cadeaux, il y a des injustes.
Cependant le temps ne change ni mon destin
ni mes jours, et il n'allège pas la douleur.
La douleur du temps était pour moi constante,
c'était une dévastation douloureuse.
il m'a fait perdre tout discours pour ma peine, il a
porté à son comble ma douleur et ma souffrance.
Le temps a changé ma ressemblance
et a dispersé mon savoir.
Il m'a fait perdre ma beauté et ma jeunesse.
Ah! Temps, tu m'as trahie.
Ce qui était doux pour moi, tu l'as rendu amer,
mon adolescence a été livrée à la médecine.
Ô temps, l'étonnant, l'extraordinaire, toi qui
assombris famille et amis.
Toi en qui est lésé le malade innocent
et en qui est loué l'oppresseur orgueilleux.
Ô temps durant lequel le frère devient un ennemi
pour son frère, et le fils injuste pour son père.
Ô temps durant lequel on vend la conscience,
et on achète avec son prix le lait du nourrisson.
Et comment le veux-tu, ô temps, injuste ou mortel ?
Temps qui te moques des nations.
Toi qui disperses une famille et mènes à leur fin de petits enfants, semence de chagrin et de souffrance,
si tant est qu'on récolte ce qu'on a semé. Plaise à Dieu,
ô temps, que tu reviennes en arrière.
Et que tu me fasses oublier ce qui m'est arrivé.

 

Le deuxième poème de Soumia :

"Que sont difficiles les instants que je vis!"
Ah! Mille soupirs venant de ma douleur, ma douleur
qui n'a pitié ni de mon cœur, ni de mon corps.
Une douleur qui a été décrétée pour moi,
dans le livre de ma destinée.
Une douleur qui n'est pas comme les désirs ardents de mon cœur,
ni comme le tourment de mon âme,
Une douleur qui a jeté dans la stupéfaction
ma raison et déchiqueté mes artères.
Ô cette douloureuse souffrance, combien m'a-t-elle fait souffrir
et interdit à mon corps le sommeil.
Souffrance dans mon cœur et dans mon
intelligence, souffrance au plus profond de mes profondeurs.
Souffrance que nul médecin ne guérit,
et que ne panse le temps.
Ma douleur ne vient pas d'un amour éperdu, ni d'une passion,
mais du Seigneur des mondes.
Une maladie a été décrétée pour moi,
en elle pas d'espoir pour moi.
Une maladie s'est assise sur mon âme,
mon pied se dérobe à mon mouvement.
Une maladie qui m'a fait perdre le souffle de la jeunesse,
et a tué à l'intérieur de moi tous mes rêves.
Mes rêves en tant que jeune fille,
rêves de quiétude et de tranquillité.
Une maladie qui m'épouvante le jour,
et hante mes nuits des tourments du lendemain.
Y aurait-il peut-être quelque guérison, Seigneur,
une guérison venant de Toi,
pour moi et pour tous mes frères ?
C'est Toi Seigneur, notre Berger,
notre Bienfaiteur,
celui qui nous fait vivre et mourir, Seigneur.
Seigneur, réponds à ma prière,
et à la prière de tous mes frères.
Ô Seigneur des mondes.
Ô Créateur de la création tout entière.


Troisième et dernier poème de Soumia :

"La lueur de mon espoir "
Interroge l'ensemble des temps,
ils te parleront de mes douleurs.
Interroge tous les humains sur ma souffrance
et sur ma peine.
Je suis malade et j'endure mes douleurs,
mais dans tous les cas je suis forte.
Dieu m'a donné ma suffisance de foi.
Je n'ai pas peur de mon sort,
mais des fatigues du chemin.
Mon chant, c'est ma prière,
Ô Seigneur, ma guérison.
Je dis et je redis, du plus haut de ma voix:
"Sois la bienvenue, ô mort!".
Je n'ai pas peur de toi,
mais de la rencontre de mon Seigneur.


 

La lettre du médecin à Soumia

Au nom de Dieu, le Tout Miséricorde, Le Miséricordieux.
A Soumia.
O ma pauvre fille, désespères-tu de la miséricorde de Dieu?
Tout ce qui vient de Dieu est miséricorde, même si c'est la maladie et la souffrance.
Nous autres, nous ne voyons ni ne savons le fond des choses et ce que veut le Créateur.
Loue Dieu de ce qu'il a apporté à tout mal un remède.
Ce que tu as appris dans ton épreuve, les autres mettent de nombreuses années de leur existence à le comprendre.
"Il est possible que vous n'aimiez pas une chose, alors que c'est pour vous un bien".
Cherche donc à ton épreuve son utilité. Car dans ta souffrance, il y a la miséricorde et tu trouveras la sagesse de Dieu.
La patience et la guyérison, si Dieu veut. Salut
Ton médecin.


P. Cominardi P.B

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