Reçu de P. Vincent Feroldi
Secrétaire général du GRIC
http://www.gric.asso.fr
Robert Caspar (1923-2007)
Co-fondateur du GRIC, Robert Caspar est décédé
le 10 janvier 2007. Ses obsèques ont lieu le vendredi 12 janvier
2007 à 11h15 dans la chapelle des Pères Blancs, à
Tassy, 83440 Tourrettes.
Sa carrière
Né en 1923, R. Caspar a été ordonné prêtre
en 1951 dans la société des Missionnaires dAfrique
(Pères-Blancs). Nommé en Tunisie, il a étudié
larabe et lislam à lInstitut des Belles Lettres
Arabes (IBLA) de Tunis, puis la théologie catholique à
Rome. Il se spécialise dans létude comparée
des deux religions lors dun séjour en Egypte, au Caire,
de 1955 à 1958.
Il commence alors une longue carrière de professeur à
lInstitut dEtudes Arabes de la Manouba (Tunisie) qui déménage
à Rome en 1964 pour devenir lInstitut Pontifical dEtudes
Arabes (IPEA), connu actuellement sous le titre dInstitut Pontifical
dEtudes Arabes et dislamologie - PISAI.
A partir de 1969, il séjourne alternativement à Rome,
où il enseigne, et en Tunisie, où il entretient de nombreux
liens damitié avec les élites tunisiennes et exerce
son ministère sacerdotal auprès de diverses communautés
chrétiennes.
En 1995, malade, il est contraint de rentrer en France et vit ses dernières
années à Tassy (Var) dans une maison de missionnaires
âgés.
Ses cours
R. Caspar commence sa vie active au moment du concile Vatican II (1962-1965).
Actif, dans les coulisses comme théologien à la disposition
des évêques dAfrique du Nord, il en commente les
grandes orientations dans le domaine de louverture aux religions
non-chrétiennes. Cest ainsi quil commente le document
Nostra Aetate dans la collection Unam Sanctam N°61 (Paris, Cerf,
1966) et quil prend part à la rédaction dun
gros document publié à Rome sur limpulsion du nouveau
« secrétariat pour les religions non-chrétiennes
», Religions, thèmes pour une compréhension dialogique
(Rome, Ancora, 1967), où sont traités les thèmes
du péché et du salut selon les grandes religions.
Sa tâche principale, cependant, reste lenseignement. Il
donne des cours de théologie et de mystique musulmanes aux étudiants
du PISAI. Cet institut, qui reçoit surtout des étudiants
religieux destinés à entrer en dialogue avec les musulmans
dans toutes les régions du monde, donne des cours intensifs de
langue arabe, menant à la licence ou au doctorat, et une formation
exigeante à la connaissance des sources religieuses islamiques.
Robert Caspar, chargé denseigner la théologie produisit,
en 1967, un « Cours de théologie musulmane » en 2
volumes (119 p. + 103 p.). Le premier décrit la genèse
historique du Coran et des écoles théologiques, le second
en étudie les grands thèmes classiques : Dieu, les anges,
les prophètes, les Livres sacrés, la notion de prédestination
et le Dernier Jour. Lislam ainsi présenté est celui
de la grande période classique. A lépoque, tous
les commentateurs - et tous les auteurs musulmans - tiennent pour évident
que lislam - lislam immuable - est celui quont transmis
les grands penseurs du Moyen-Age. Cet ouvrage a servi de manuel de base
à des générations détudiants. Peu
à peu, cependant, R. Caspar prend conscience, grâce à
ses contacts tunisiens, mais aussi grâce à son étude
constante des parutions théologiques en islam et en christianisme,
que les religions sont en constante évolution. Son séjour
au Caire, déjà, avait attiré son attention sur
les auteurs récents. Il avait écrit un article pour lInstitut
dominicain détudes orientales du Caire (IDEO) : "Un
aspect de la pensée musulmane moderne le Renouveau du Motazilisme",
in MIDEO, 4 (1957), p.141-202.
Au fil des années, il va donc tenter de comparer, en permanence,
ce quil y a de plus moderne en théologie chrétienne
et ce quil y a de plus novateur dans lévolution religieuse
du monde musulman. Une telle entreprise lui impose, évidemment,
un labeur acharné qui le mène même à explorer
lislam indien et ce que lon commence à appeler aujourdhui
« les nouveaux penseurs » de lislam. Cette étude
le conduit, en 1987, à publier une version remaniée et
augmentée de son cours de théologie : le Traité
de théologie musulmane (Rome, PISAI, 1987, 485 p.). Le second
volume ne paraît quen 1999. La nouveauté de ce traité,
par rapport au cours primitif, est quil prend en compte lextraordinaire
bouillonnement des dernières années et quil tente
den discerner les grandes lignes. Le lecteur ne peut plus croire
quil nexiste que lislam « classique »,
supposément immuable.
Lenseignement de Caspar comporte un autre sujet majeur : la mystique.
Dès 1968, il publie un Cours de Soufisme : Mystique musulmane
(Pisai, Rome, 148 p.) accompagné dune série de fiches
polycopiées présentant des textes de mystiques, en arabe
avec leur traduction en français. De nombreux articles de revue
(il en a publié plusieurs centaines) présentent au grand
public divers aspects de la mystique et de la spiritualité musulmane
qui connaît un regain de nos jours. Ainsi : « la mystique
musulmane, recherches et tendances » (IBLA, 104/2, p. 271-289),
« mystique musulmane, bilan dune décennie 1963-1973
» (IBLA, 133/1 p. 69-101 & 135/1 p.39-111).
Ses recherches
Ces recherches ont donné lieu à de nombreux articles
plus techniques dont les sujets nous éclairent sur ses préoccupations
principales. Mentionnons :
= « Foi en Dieu et service de lhomme (Colloque de Tunis,
CERES, 1974)
= « Foi et raison dans le Munqid de Ghazâlî »
(IBLA, 124/2, 1969)
= « Lexégèse scientifique du Coran daprès
le Cheikh Amîn al-Khûlî » (MIDEO 4, 1957, p.269-280)
= « LHomme selon le Coran » (Studia Missionalia, 19,
1970, p. 255-268)
= « La foi en marche - les problèmes de fond du dialogue
islamo-chrétien (Crislam, PISAI, Rome, 1990)
= « La rencontre des théologies » (Lumière
et Vie, N° 163, p. 63-81)
= « Le vide idéologique dans un essai de lalgérien
Abd al-Magîd Mizyan » (Oriente Moderno 51, 380-388)
= « Parole de Dieu et langage humain en christianisme et en islam
» (Islamochristiana 6, 1980, p. 33-60.
= « Philosophie et révélation selon Avicenne »
(IBLA, 125/1, 1970, 103-122).
Son ouverture au dialogue
Cette recherche sur la rencontre des théologies a mené
R. Caspar à sintéresser à létude
scientifique du dialogue islamo-chrétien tel quil sest
déroulé au cours des âges. Le PISAI publie une revue
annuelle appelée Islamochristiana. Faisant partie de léquipe
de rédaction, il sest chargé de préparer,
chaque année, une « bibliographie du dialogue islamo-chrétien
» recensant tous les auteurs, et tous les manuscrits reflétant
ce dialogue depuis les origines de lislam jusquà
nos jours. Pour ce faire, il était entouré dune
équipe de chercheurs de renom, dont le P. Samir Khalil Samir
sj, de luniversité St Joseph de Beyrouth.
Létude de ces auteurs anciens a donné jour à
des articles spécialisés :
- « La vision de lislam chez Louis Massignon et son influence
sur lEglise » (Louis Massignon, Cahiers de lHerne,
1970, p. 126-147)
- « Les versions arabes du Dialogue entre le Catholicos Timothée
I et le Caliphe Al-Mahdî », in Islamochristiana, 3 (1977),
p. 107-175.
- « Textes sur le Tahrîf des Ecritures », in : Islamochristiana,
6 (1980), p. 61-104.
Mais luvre la plus intéressante de R. Caspar dans
ce domaine demeure la conception et la fondation du GRIC (Groupe de
recherche islamo-chrétien, http://www.gric.asso.fr/).
En 1975, en effet, germe lidée de fonder un groupe où
des penseurs, chrétiens et musulmans, tenteraient de dialoguer,
non pour camper leurs positions respectives face les uns aux autres,
mais pour entreprendre ensemble une recherche convergente, en se servant
des mêmes outils scientifiques, et dans une perspective de fidélité
croyante.
Autour de R. Caspar se rassemble alors un groupe damis. Une charte
sélabore dont la rédaction doit beaucoup à
R. Caspar et aux discussions quil eut avec ces amis. Publiée
dans Islamochristiana 4 (1978), celle-ci définit lesprit
et la méthode du groupe :
« Si parfaite que soit la Parole fondatrice de notre foi, nous
ne pensons pas que la connaissance que nous en recevons épuise
les richesses de cette Parole et du mystère de Dieu. Cest
pourquoi, nous pensons que, dune part, notre certitude de foi
implique nécessairement une recherche sans fin de la vérité,
à laide et à la lumière de Dieu, et que,
dautre part, dautres approches de la vérité
que la nôtre, à partir dune autre Parole que celle
qui fonde notre foi, sont légitimes et peuvent être fécondes
pour nous. Autrement dit, le Musulman reconnaît la validité
et la fécondité de la foi et de la recherche chrétiennes,
et le Chrétien reconnaît la validité et la fécondité
de la foi et de la recherche musulmanes. Dans cette ligne, chacun de
nous reste fermement attaché à lessentiel de sa
foi et à la vision du monde quelle implique, et cest
dans cette lumière de foi que nous voulons situer la religion
des autres. Mais nous nexigeons pas deux quils adoptent
les catégories liées à notre propre vision de foi.
Nous avons, les uns et les autres, à élargir notre vision
et nos catégories, pour rendre compte de la valeur religieuse
de lautre tradition... Convaincus que les convergences entre nos
visions de foi sont plus nombreuses et plus importantes quon le
croit généralement, nous pensons que les mettre en valeur,
cest aussi mettre en lumière les divergences réellement
fondamentales ».
Les membres du GRIC se veulent fidèles à leurs traditions
respectives sans en être des représentants officiels. Ils
tentent den étudier le contenu à la lumière
de la critique de lautre tradition mais en adoptant une approche
résolument scientifique. Rapidement, le GRIC sest composé
de plusieurs groupes basés à Tunis, Paris, Rabat et Bruxelles.
Actuellement, dautres groupes se forment à Beyrouth ou
Barcelone. R. Caspar a joué un rôle capital dans la structuration
du GRIC et dans la formulation de ses productions : Ces Ecritures qui
nous questionnent : la Bible et le Coran (Centurion, Paris, 1987, 159
p.) ; "Etat et Religion", in : Islamochristiana, 12 (1986)
p. 49-72. ; Foi et justice - Un défi pour le Christianisme et
pour lIslam (Centurion, Paris, 1993, 325 pp.) ; Pluralisme et
laïcité - Chrétiens et musulmans proposent (Bayard/Centurion,
Paris, 1996, 265 pp.).
Son ministère à la base
Ces activités universitaires, ces recherches savantes risquent
de faire oublier le ministère quotidien de R. Caspar en Tunisie
auprès de petites gens, chrétiens ou musulmans, auprès
de couples mixtes ou auprès de petites communautés religieuses.
Un petit groupe de ces chrétiens, vivant en Tunisie, lui demanda
de les aider à répondre aux multiples questions que leur
posaient leurs voisins musulmans au sujet de la foi chrétienne.
De nombreuses réunions de ce groupe conduisirent R. Caspar à
élaborer un petit guide, publié ensuite au PISAI : Pistes
de réponses aux questions quon nous pose (Rome, 1987, 113
p.) et traduit, plus tard, en anglais .
Pendant dix ans (1984-1994), il anima aussi, chaque année, en
France, une session organisée par le secrétariat des évêques
pour les relations avec lislam (SRI) et destinée à
des chrétiens vivant en contact avec des musulmans. Ce souci
de donner au chrétien une connaissance « à la fois
réaliste et positive » de lislam donna naissance
à un livre : Pour un regard chrétien sur lIslam
(Centurion, Paris, 1990, 206 p., réédité par les
éditions Bayard en 2006). Sous une forme accessible au grand
public, il y décrit les grandes nervures de la foi musulmane.
Ce livre a servi à de nombreux groupes de réflexion qui
lont étudié, chapitre par chapitre. Y sont abordés
les thèmes de la naissance de lislam (Mohammed et le Coran),
la foi et la théologie musulmanes, le culte, Dieu, les anges
et les Ecritures révélées, les prophètes,
Marie et Jésus dans lislam, lacte humain (la toute-puissance
de Dieu et la liberté de lhomme), leschatologie musulmane,
la mystique musulmane. En conclusion, il propose une « vision
chrétienne de lislam » et une bibliographie sommaire.
De la vulgarisation à lérudition, des humbles «
pistes de réponses » au monumental « traité
de théologie musulmane », luvre de R. Caspar
tente de jeter, entre lislam et le christianisme, une passerelle
que peut emprunter le croyant ordinaire ou le chercheur. Ses livres,
ses articles, et surtout, sa participation à des entreprises
aussi irremplaçables que le PISAI, le GRIC ou lIBLA donnent
à Robert Caspar un rôle de premier plan dans lévolution
des relations islamo-chrétiennes dans la deuxième moitié
du 20ème siècle.
Père Jean-Marie Gaudeul
Missionnaire dAfrique
11 janvier 2006