Voix d'Afrique N°54

JETER DES PONTS

Le Père Etienne Renaud,
Ancien supérieur Général
des
"Missionnaires d'Afrique"
témoigne
de son engaement Missionnaire

Le Père Etienne vient d'être rappelé au Seigneur le 20 Juin 2013

J'appartiens à une famille où l'on est ingénieur des Ponts et Chaussées de père en fils. Après mon bac, par fidélité aux chromosomes familiaux, je suis entré à l'école polytechnique et j'aurais pu continuer la tradition, mais le Seigneur avait d'autres vues. Lui qui a dit au pêcheur qu'était Saint Pierre : " je te ferai pêcheur d'hommes ", avait en tête de m'orienter vers d'autres ponts, des ponts à construire entre les hommes. Mais je ne mesurais pas la portée d'un tel appel. Après le service militaire en Algérie, comme tous ceux de ma génération, et qui fut l'occasion d'un premier contact avec l'Islam, je suis entré au séminaire diocésain de Paris à Issy-les-Moulineaux. D'emblée j'imaginais bien que ce ne serait qu'un passage pour sonder un possible départ vers des horizons plus vastes. Et de fait, deux ans plus tard, après mes études de philo, je me retrouvais au noviciat des Pères Blancs à Gap, vêtu d'une gandourah blanche et un rosaire autour du cou. Puis ce fut la théologie partagée entre Vals-près-le-Puy et Totteridge près de Londres, et enfin l'ordination à Notre Dame de Paris le 26 Juin 1966.

Au moment du serment missionnaire, on demande à chacun d'indiquer dans quel coin de la vigne du Seigneur il aimerait œuvrer : suite à l'expérience du service militaire en Algérie, j'avais mentionné entre autres l'Afrique du Nord, sans bien me rendre compte que l'Islam allait devenir une composante essentielle de ma vie missionnaire. Et c'est au PISAI (Institut Pontifical d'Etudes Arabes et islamiques) qui venait tout juste de s'installer à Rome, que j'ai commencé à me coltiner avec la langue arabe. Un petit souvenir cuisant lors de mes premières vacances en Tunisie : d'un brave quidam auquel j'essayais de balbutier quelques mots d'arabe, j'ai essuyé cette réponse : " Sorry , I don't speak English ! " Cette mésaventure aurait pu mettre un terme à mes tentatives d'apprendre la langue du Prophète, mais heureusement, après deux ans à Rome, j'ai pu consolider mon arabe par un séjour d'un an à Damas comme auditeur libre à l'Université. Ma première nomination sur le terrain fut pour Tunis, avec mission d'établir des liens avec le milieu des ingénieurs. J'avais à peine commencé à nouer quelques belles amitiés, dont certaines durent encore, que je recevais l'appel du Yémen.


P. Etienne Renaud sur le terrain avec des Yéménites

A Saana, blottie entre les montagnes au cœur de l'Arabie Heureuse, il s'agissait d'accompagner une communauté de Sœurs Blanches appelée à travailler dans les hôpitaux du gouvernement. J'ai moi-même assez vite trouvé une embauche à la compagnie d'électricité, à l'époque très folklorique. Pour illustrer le sens de notre présence au Yémen, c'était bien l'image d'un pont qui me venait à l'esprit : essayer de construire un pont entre la petite communauté chrétienne fort " catholique " par sa diversité et la population yéménite qui avait encore peu l'expérience des étrangers. Eveiller les paroissiens aux valeurs spirituelles de l'islam, donner des cours d'arabe yéménite et d'initiation à la culture locale aux diverses organisations de volontaires, et à l'inverse faire comprendre aux Yéménites que l'Occident était un peu plus que la société de consommation. D'abord seul, puis les deux dernières années avec un compagnon, je partageais la vie d'une petite famille qui m'hébergeait. Je garde de ces huit années au Yémen un grand souvenir, et je dois dire que mes diverses casquettes de prêtre, ingénieur et artisan islamologue s'harmonisaient bien.


Pont sur le Zambèze

Mais tous les chemins mènent à Rome, même en passant par l'Arabie et je fus appelé à venir enseigner au PISAI. Occasion de réfléchir sur ces années en terre d'Islam et d'approfondir les bases théoriques de la rencontre entre les religions. En même temps je gardais contact avec le terrain car j'étais coordinateur des Pères Blancs pour la Corne de l'Afrique et le Moyen-Orient; au chapitre de 1996, je fus appelé à présider aux destinées de notre Société et ce furent six ans d'une grande richesse : avec les membres du conseil, - une très chaleureuse équipe ! - j'ai pris mon bâton de pèlerin pour visiter les communautés disséminées en 25 pays et 100 diocèses, et j'ai pu acquérir une vision des diverses dimensions de la mission alors en pleine mutation.


Jeune yéménite

En 1992, après vingt ans d'absence, je retrouvais la Tunisie pour deux petites années, renouant avec des amitiés vieilles de vingt ans. Mais vite, le supérieur général me rappelait pour prendre en charge le PISAI. J'aurais bien sûr préféré rester de l'autre côté de la mer, mais par ailleurs, je crois en cette vocation du PISAI de donner une formation sérieuse à ceux et celles qui veulent consacrer le meilleur d'eux-mêmes à la rencontre avec l'Islam. Et après tout, il s'agit d'un institut " pontifical ", ce qui veut dire étymologiquement " qui fait le pont ". Même à Rome, je restais donc dans ma vocation.

Enfin, après six ans de service romain, j'obtenais ma feuille de route, cette fois-ci pour l'archipel de Zanzibar. Mais il en sera question au prochain numéro.

E. Renaud. M.Afr.

Le Père Etienne vient d'être rappelé au Seigneur le 20 Juin 2013