Voix d'Afrique N°47

BURUNDI : Mission chez Les Pygmées...





Missionnaire d'Afrique, le Père Élias Mwebembezi,
originaire de l'Ouganda, a été ordonné prêtre en 1989,
après avoir fait ses études en Ouganda, son Noviciat en Zambie,
son stage pastoral au Nigeria et la théologie à Londres…
Un vrai parcours de Père Blanc.
Nommé au Burundi, il doit commencer à apprendre
le Français et, évidemment, le Kirundi…
Dès le départ, il s'intéresse à ce peuple très peu touché
par l'évangélisation : les Pygmées.

Dès mon arrivée au Burundi, je suis entré en contact avec les Pygmées qu'on appelle ici les Batwa. J'étais attiré par eux parce que je les avais déjà rencontrés chez moi, en Ouganda. Et ils avaient pratiquement les mêmes problèmes qui tournaient autour de leur pauvreté et de leur mise à l'écart.
En faisant ma thèse sur le problème des Batwa, à l'Institut Catholique de Paris, j'ai eu la chance de pouvoir visiter le Cameroun et le Congo pour aller voir dans ces deux pays ce qu'on faisait, au point de vue pastoral, auprès de cette population. Lorsque, après un séjour en Ouganda, j'ai pu être nommé de nouveau au Burundi, j'ai pensé que travailler avec les Batwa devait être ma tâche missionnaire. C'est ainsi que je vais, chaque matin, chez les Batwa, et souvent aussi dans l'après midi, simplement pour être avec eux. Il faut gagner leur confiance, c'est la première chose que j'essaie de faire, les visiter le plus souvent possible. Je vais les voir, je commence petit à petit à les connaître, à connaître les parents, les enfants, leurs soucis, leurs problèmes. Je peux maintenant entrer dans leurs maisons, dans leurs cases. Et là, on parle. Quand ils ont confiance, ils sont à l'aise, et parlent plus facilement. Il faut commencer à zéro. Il y a tout à faire.

Un peuple méprisé
Ce sont des gens qui ne fréquentent pas les églises parce qu'ils sont méprisés. Ils ne fréquentent pas les écoles parce qu'ils n'ont pas les moyens d'aller à l'école, des gens souvent malades. Ils sont méprisés, écartés par les autres peuples. Ici, par exemple, les autres ne mangent pas avec les Batwa. Il y a très peu de vie sociale entre les Batwa et les autres Barundi. Ils sont si écrasés, si écartés et si pauvres, dans tous les sens, que cela m' a beaucoup touché.
On ne voit pas de Batwa dans les églises, dans les écoles ou dans l'administration.
Ici, quand on parle d'apostolat chez les Batwa, tout le monde s'étonne: "Toi, un jeune homme, tu perds ton temps avec ces gens-là ? " Il y a vraiment beaucoup de préjugés. Quand on parle des Batwa, on dit que ce sont des voleurs, des gens qui ne travaillent pas. Si quelque chose disparaît, on dit que ce sont les Batwa… Ils sont complètement marginalisés, on ne se marie pas avec les Batwa... C'est vraiment très grave. Je pense souvent à l'évangile, à tous ces gens, prostituées, publicains, qui étaient méprisés par les pharisiens. Ce sont les Batwa d'ici, du Burundi.


L'habitat chez les pygmées reste rudimentaire

Une écurie à chèvres

Pauvres de tout…
Ils vivent en fabriquant des poteries en terre cuite, mais la fabrication de ces pots ne fait pas gagner beaucoup d'argent, tout juste pour avoir un peu de nourriture pour vivre, et avec cela il ne peuvent même pas s'habiller. C'est pour cela qu'ils n'ont que des loques ; ils sont presque nus, simplement parce qu'ils n'ont pas d'argent. Et, ce qui n'arrange pas les choses, avec la concurrence des récipients en plastique, cet artisanat connaît un vrai marasme. On dit : ils pourraient travailler comme tout le monde, mais ils n'ont pas de terrain pour cultiver. Avant, ils vivaient de la chasse et de la cueillette. Il y avait alors beaucoup de gibier. Mais maintenant, le pays est petit et il est très peuplé, avec 5 à 6 millions d'habitants. Il y a aussi les problèmes de santé : souvent ils sont malades, avec le paludisme, la malnutrition. Comment faire pour qu'ils en sortent ?
C'est tout un cycle de pauvreté et en sortir, c'est presque impossible. Il faudrait les aider à cultiver. Mais comme il est difficile pour eux d'avoir des terres à cultiver, on essaie alors de trouver pour eux un petit projet d'élevage pour leur donner la possibilité de gagner un peu d'argent. Ainsi, on pense que petit à petit ils pourront vivre et s'en sortir.

Des chèvres et des ruches
Les Allemands, heureusement, nous ont donné un bon coup de main pour un projet intéressant : on donne à chaque famille deux chèvres qu'ils doivent soigner. Ils sont très heureux, car ils ont des chèvres comme tout le monde. Mais on doit faire attention pour qu'elles ne soient pas vendues, si tout à coup ils ont besoin d'argent ! Souvent on dit: "Il faut que les Batwa soient intégrés dans la communauté". C'est facile à dire, mais quand on trouve un travail sur un chantier, cela les fait travailler et les aide à s'intégrer. On a également un projet avec des ruches. On a déjà 300 ruches à mettre dans les villages. Le miel est une denrée très appréciée ici, mais c'est très cher. Avec ces ruches, les Batwa pourront se faire un peu d'argent, ça se vend facilement. Cela pourra arranger beaucoup de choses pour eux.


Les poteries une fois bien pétries, sont cuites d'abord à l'extérieur

ensuite à l'intérieur avec des herbes séches enflammées

Avoir une maison, comme les autres
On essaie de construire avec eux des petites maisons. Leurs maisons traditionnelles sont très rudimentaires. Elles valent peut-être 10 FF ! Même pour eux, c'est déjà trop. Ils ne peuvent pas payer 10 FF pour une maison. Alors on commence à aider les gens pour avoir une petite maison convenable. Pourquoi ? Parce qu'on a constaté qu'une petite maison les stabilise. Dès que les Batwa ont une petite maison, ils deviennent fiers. Ils se voient comme tout le monde, et les autres ethnies commencent à les respecter, parce que eux aussi ont une maison. Pour cela, on travaille avec eux, car il ne faut pas tout faire pour eux. Il faut le faire avec eux. On leur dit: faites des briques (en terre séchée) et quand vous en aurez 3500 pour une maison, on vient avec les séminaristes, on vous aidera à construire votre maison, et on vous apportera des tuiles pour faire le toit. Avoir une maison pour une famille avec les enfants, voilà quelque chose qui change tout pour eux. Mais la condition, c'est qu'ils fassent eux-mêmes les briques.

Scolarisation
La question de la scolarisation des enfants est une grave question. C'est une nécessité si on veut qu'ils soient intégrés à la société. Ici il faut 5 FF à un enfant, pour pouvoir aller à l'école. Mais, pour eux, c'est souvent impossible ; ils n'ont même pas cet argent. Les Batwa apprennent-ils aussi bien que les autres ? Certainement. Et, ce qui est remarquable, c'est qu'ils apprennent très bien. Souvent mieux que les autres. Un instituteur me disait : "Vos Batwa sont les meilleurs".
Mais le problème, c'est que l'enfant batwa n'est pas accepté par les autres, alors souvent, à cause de cela, les enfants Batwa quittent l'école. Parfois aussi, quand il arrivent à la maison, après l'école, il n'y a plus de nourriture. Cela handicape beaucoup les enfants batwa qui vont à l'école. De plus, les parents ne sont pas très éveillés sur les bénéfices de la scolarisation. Du coup ils ne poussent pas leurs enfants. Si les enfants veulent quitter l'école, ce ne sont pas les parents qui vont leur dire : il faut continuer à l'école. Dommage, car les enfants Batwa sont très éveillés et réussissent bien.
C'est là que nous devons travailler, non seulement pour que les enfants batwa aillent à l'école, mais aussi pour qu'ils soient acceptés dans les écoles, et ni ennuyés ni méprisés. Il faut insister auprès des instituteurs pour qu'ils puissent aider les Batwa à rester à l'école. Il faut travailler aussi beaucoup auprès des parents.

L'évangélisation
On constate que lors de la première évangélisation, les batwa ne faisaient pas partie de la priorité des missionnaires. Ils se sont adressés d'abord aux ethnies les plus importantes. Or les Batwa sont des gens qui ne demanderaient qu'à avoir des relations sociales et qui ont envie d'être évangélisés. Ce qui m'a étonné, c'est que ce sont eux qui viennent demander d'aller au catéchuménat. On les met alors en relation avec une paroisse qui est prête à les accueillir. Ils suivent les instructions à l'école.
Cette année, pour Pâques, il y a eu des baptêmes de Batwa. On voit que les baptisés changent de comportement. Ils viennent à l'église et ils ont des contacts avec les autres. Il faut les encourager et ne pas se décourager.
Le problème, c'est qu'il n'y a pas encore de catéchistes batwa. Même s'il y avait un catéchiste mutwa, on ne sait pas trop quelle serait la réaction des autres Barundi s'il donnait la communion ? Même s'il y avait un prêtre mutwa est-ce qu'il serait accepté par les gens ? Il y a toujours un problème pour accepter un Mutwa. Là, il faut que les Barundi changent leur façon de les considérer. Il ne suffit pas de travailler avec les Batwa pour les faire évoluer, il faut autant travailler sur les autres Barundi pour qu'ils quittent leurs préjugés, pour qu'ils cessent de les regarder comme une race à part. C'est très compliqué, mais avec le temps, on y arrivera.
Des évêques commencent à être très conscients qu'il faut faire quelque chose avec eux, pour eux. Avant, on ne parlait pas des Batwa dans la pastorale, maintenant on commence à en parler. Au niveau de l'Église, ça bouge.

P. Élias Mwebembezi