Voix d'Afrique N°68

Raphaël Poyto,
de Béarn en Kabylie


(Le Père Raphaël Poyto est décédé le 28 Novembre 2005)

Le Père Raphaël Poyto est presque le doyen des Missionnaires d'Afrique.
A quatre vingt dix sept ans, il aime partager ses souvenirs.

A l'heure de
l'aventure coloniale

C'était au début du siècle dernier ; la France rêvait d'aventures lointaines, de découvertes sous les tropiques. Le vent des "colonies" soufflait jusque dans les vallées du Béarn où Raphaël arrivait au monde, en 1907. Son père s'était retiré après une longue carrière militaire outre-mer. L'océan Indien , Zanzibar, Madagascar et la reine Rainilaiarivony, Alger et le Sahara, peuplaient les rêves du petit Béarnais. L'ancien gendarme de la "coloniale" n'avait-il pas gardé la souveraine Malgache dans son palais de Tananarive, et ne l'avait-il pas escortée dans son exil à Alger en 1895 ? Raphaël ne se fatiguait pas d'écouter les récits remplis de soleil et de grand large. Le grenier de la maison paternelle était comme un trésor de livres et de revues racontant la vie des peuples lointains et l'aventure missionnaire. Raphaël y passait des heures de lecture passionnée et de rêve. Près d'un siècle plus tard, Raphaël Poyto est revenu dans son Béarn natal ; dans sa chambre de la maison de retraite de Billière, près de Pau, le béret béarnais sur la tête il ne se lasse pas de raconter l'aventure de sa vie.
Prêtre pour l'ailleurs

Dès l'enfance, les récits de son père font naître en lui un désir d'ailleurs. Il devait être particulièrement éveillé : le vicaire de la paroisse le remarqua et lui posa un jour la question : "Raphaël, tu ne penserais pas à devenir prêtre ?" Malgré ses douze ans, il s'est déjà fait une idée sur son avenir. "D'accord, mais pas curé de village ! je veux être missionnaire ! je veux partir ailleurs.
- C'est bien, mais il faut d'abord bien étudier et beaucoup réfléchir." Il partit donc pour le petit séminaire. C'était presque un couvent au début du 20ème siècle. Etudes austères, discipline, prière, étaient les trois piliers de la formation. Raphaël est plutôt chahuteur et turbulent, mais puisqu'il a l'intention de devenir missionnaire, les éducateurs ne dramatisent pas !

Le chemin
vers la Kabylie

Montagnes de KabylieAprès le baccalauréat, Raphaël commence donc ses études au séminaire des Pères blancs (Missionnaires d'Afrique) de Kerlois, en Bretagne. Deux ans plus tard, il passe la mer. Il découvre Alger, la ville blanche, les quais et l'immense rade au pied des montagnes que son père lui a souvent décrit. Aujourd'hui encore, quatre vingts ans après, il se souvient encore du noviciat de Maison Carrée : la discipline est souple ; le maître des novices fait confiance à ses élèves ; aucun contrôle ne vient entraver la liberté des candidats à la mission. Raphaël et ses amis ont vingt ans et un seul désir : suivre le Christ dans l'engagement missionnaire pour l'Afrique. Si le départ de France avait été une épreuve pour ses parents, Raphaël était tout à l'enthousiasme face à l'aventure qui se préparait. Après les études de théologie à Thibar et Carthage, il est ordonné prêtre et nommé … au Nyassaland. La tuile ! rappelle-t-il. De l'autre côté de l'Equateur, en Afrique anglophone, loin du monde berbère qu'il a côtoyé et appris à connaître pendant quelques années en Tunisie, pendant ses études et son service militaire. "Quelle déception ! raconte-t-il . Je partais plus par devoir que par enthousiasme ! Je bredouillais un peu d'anglais et essayais d'apprendre le chichewa, la langue locale." Raphaël et ses supérieurs en sont convaincus : sa place est ailleurs. Après cinq ans en Afrique orientale anglophone, il est rappelé à Alger et nommé en Kabylie.

Chez les Berbères

Il part pour Ouaghzen, et pendant deux ans s'initie à la culture et à la langue berbère, en compagnie de cinq autres jeunes missionnaires. Ce sont deux ans de cours, d'études où la mémoire est mise à rude épreuve et les premières rencontres avec les Kabyles. Exercices de grammaire, mémorisation de vocabulaire, répétitions des conjugaisons, apprentissage de la prononciation, et aussi initiation à une nouvelle mentalité, une nouvelle culture, ancrée dans une histoire très ancienne : vaste programme ! Raphaël ne se décourage pas, au contraire. Chaque jour il rencontre des Kabyles et met en pratique ce qu'il a appris. Déjà il se fait des amis : auprès d'eux il apprend à apprécier et aimer ces montagnards, rudes et sincères comme ses ancêtres béarnais.

La guerre

C'est alors que la guerre est déclarée, la 2ème guerre mondiale. Raphaël est mobilisé dans un régiment de Zouaves et part pour la Lorraine, près de la fameuse ligne Maginot. "J'en ai gardé un souvenir ", me confie-t-il en me montrant le vieux casque d'acier qui trône sur une étagère de sa chambre. "Tiens ! regarde ! La balle ennemie n'a pas voulu de moi !" De fait, le blindage est percé profondément sur deux centimètres. "C'est ainsi que j'ai évité d'avoir mon nom sur la liste des ‘morts pour la France’ du monument aux morts !" commente-t-il dans un grand éclat de rire. Démobilisé, il part pour Marseille et prend le premier bateau pour l' Algérie. Stupéfaction de ses confrères : "Mais on te croyait mort !". De fait, ils s'étaient déjà partagé ses livres, sa moto, sa bicyclette et ses effets personnels en priant pour le repos de son âme !

L'évangile chez les montagnards

De retour en Haute Kabylie, Raphaël reprend ses tournées de visites dans les villages de montagne. A dos de mulet, avec un minimum de bagage, il escalade les montagnes, passe les cols, longe les vallées, se repose avec les villageois, fréquente les marchés, se laisse accueillir dans les pauvres foyers. Il écoute la vie des Berbères. Elle est rude, mais ils sont courageux. Sécheresse et famine sont fréquents, le typhus fait parfois des ravages jusque dans les rangs des missionnaires.

Tôt le matin, il célèbre la messe, tout seul, avec un âne et un mouton comme enfants de chœur ! Spontanément, il partage l'Evangile avec ceux qui veulent bien l'écouter. Un chef de village l'invite un jour à s'adresser à sa population. Il raconte : "Nous arrivons à la mechta et il réunit toute la population, une cinquantaine d'habitants. Les femmes d'un coté, les hommes de l'autre et il dit : ‘Voila le Père, voila ce qu'il dit de Dieu !’ et il se tourne vers les femmes : ‘Race de chèvres, écoutez ce que dit le père : N'ayez pas peur ! Tous vos cheveux sont comptés. Le Père prend soin des oiseaux du ciel : pas un seul de vos cheveux ne tombe sans qu'il le voit… Regardez les fleurs des champs… Vous avez une valeur infinie et Dieu prend soin de vous !’ "

Raphaël se sent bien pauvre, impuissant à faire quoi que ce soit pour les soulager. "Je n'ai ni or ni argent, mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus, lève-toi et marche !" La tradition religieuse musulmane est très forte : le missionnaire ne cherche pas des prosélytes ; l'heure n'est pas encore venue. Mais il répond à l'attente des pauvres en leur annonçant déjà que Dieu est Père.


Maison des Pères à Tizi Ouzou

Au cœur de tout homme, l'aspiration à la liberté.

Le souffle d'indépendance s'éveille en Algérie, comme sur toute l'Afrique après la guerre. à Sétif, une manifestation est durement réprimée. Dans toutes les conversations, dans toutes les rencontres dans les bourgs et les villages, les aspirations se font jour. Raphaël connaît trop les Berbères pour ne pas voir où tout cela conduit, et la guerre ne le surprend pas en 1954. Patiemment, il rencontre les notables kabyles et les pauvres comme les militaires et les fonctionnaires français. Il écoute beaucoup, et il sait se faire écouter. "Mais vous êtes du côté des fellagas !" l'accuse-t-on du côté de l'administration. Et il répond : "Je suis du côté de l'homme, de tout homme , quelle que soit sa race , sa langue ou sa religion ; c'est au cœur de tout homme qu'est ancré le désir de liberté !" Un de ses amis Kabyles a participé au maquis dans le Vercors, un autre a perdu un bras à Cassino. Oui, tous les hommes sont frères.


Dans les rues de Tizi Ouzou

Prudent comme un serpent, doux comme une colombe.

La situation est très délicate, car chaque parti voudrait le voir rejoindre son camp. Il est Français, les militaires et l'administration le consultent ; mais il est Berbère, parle leur langue, connaît leur vie et leur culture, leurs souffrances et leurs espérances . Pendant des années, on le voit en ville et dans les mechtas, à la table des grands et sur la natte des pauvres. Sans se lasser il parle et écoute, essaye de comprendre et de faire comprendre les événements, les affrontements, les recherches de dialogue : c'est la tâche du missionnaire, sa raison d'être.
"Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups… soyez rusés comme des serpents et doux comme des colombes…"

N'ayez pas peur ! C'est moi.

"Qu' est -ce qui te fait tenir au milieu de ces tensions ?" à la question, Raphaël répond sans hésiter : "C'est la promesse du Christ : je suis avec vous… n'ayez pas peur !" Aujourd'hui, sereinement et sans nostalgie, il égrène ses souvenirs avec un inlassable sourire. Il porte dans sa prière ses amis de Tizi Ouzou, de Bou Noh, d'Ighil Ali, d'Ouaghzen et des villages dans les montagnes de Kabylie. "Père, que ton règne vienne !"

Voix d’Afrique
à partir d'un entretien réalisé par Madame A. Merceron

Précédente Suite