Témoignages

Avec Pierre Gruiec M.AFR, 60 ans de serment

Professeur et broussard

Un panorama complet de ces 60 ans demanderait pour être honnête que je mentionne non seulement les actions mais les omissions, ce qui serait fâcheux ! Je m’en tiens donc à quelques anecdotes.

D’abord 3 traits
qui me relient aux origines.

Je me sens relié à l’origine même de la mission au Burkina Faso ( Haute Volta ) par le fait que lors de notre retraite d’ordination sacerdotale (nous étions assermentés depuis 6 mois), nous avons fait les funérailles du Père Ménet, un des 4 qui ont commencé l’évangélisation du pays en janvier 1900 ; et justement à Koupéla, diocèse où j’ai ensuite été nommé.

On reconnaît Pierre à gauche en grand cérémoniaire lors de l’ordination de Mgr Dieudonné Yougbaré, le 8 juillet 1956, à Koupéla. Pierre avait 31 ans. Je me sens relié à la naissance de l’Église autochtone du Burkina par ma présence active à l’ordination épiscopale de Mgr Yougbaré, 1er évêque de Koupéla, le 8 juillet 1956. Les cérémonies étaient assurées par les séminaristes du grand séminaire de Koumi où j’étais professeur et cérémoniaire ; j’ai conduit la cérémonie avec un professionnalisme certain. Je me porte même garant de la validité de cette ordination, grâce, par exemple, au petit fait suivant : je me tenais aux côtés du cardinal Gerlier, principal « consécrateur » (comme on disait alors ; je ne sais si on dit maintenant : ordinateur !) ; à un moment il a omis un mot du texte ; j’ai mis la main sur le livre et l’ai invité à reprendre ; ce qu’il a fait sans problème !

Je me sens même relié à notre fondateur grâce au minuscule fait suivant : à Carthage (où j’ai été élève en 49 et 50 et professeur de 59 à 63) le P. Herbaux a, le 26 novembre 1949, inauguré la coutume d’ouvrir la crypte le jour anniversaire de la mort du Cardinal, pour qu’on puisse se recueillir devant son cercueil. Une année (en 62, je crois) je suis allé m’y recueillir muni d’un couteau et, profitant d’un instant où j’étais seul, je me suis permis de prélever un morceau du bois du cercueil que je garde toujours, précieuse relique !

2 anecdotes concernant les 2 volets de mon existence missionnaire.
1er volet : professorat à Koumi, au Burkina, de 52 à 56, Carthage, de 59 à 63 ; Vals, 63 et 64. Cette péripétie ne tient pas la première place dans mon cœur ! Juste un trait : quand je suis entré chez les PB, je me suis dit : « Avec ces missions toutes à l’intérieur de l’Afrique, je ne reverrai plus la mer ! » Et voilà qu’au 2e étage du scolasticat de Carthage, j’ai vécu 4 ans avec la vue magnifique sur le golfe de Tunis (et, en prime, je ne sais quelle année, une éclipse totale de soleil sur le dit golfe) L’Esprit souffle où il veut !

Pierre Gruiec : “Ma chevelure de Celte ayant été souvent mentionnée, j’ai sélectionné cette photo où elle est bien visible. C’était le baptême de Gyato, baptisée Thérèse.”2e volet : paroisses de brousse, tantôt vicaire, plus rarement curé ; une fois vicaire là où j’avais été curé ! On connaît le principe de base : pour enseigner l’Évangile à John, il faut bien sûr connaître l’Évangile, il faut aussi connaître John . Donc connaître les diversités pour en tenir compte (cf. 1 Co 12-14) ; c’est ce que j’ai dû faire notamment dans la paroisse où j’ai été le plus longtemps (17 ans en 3 tranches) et où il y avait des gens de deux ethnies différentes : les uns, (appelons-les X), ethnie réputée “policée”, tradition patriarcale (à l’homélie) : « fils de mon père » était la traduction du «mes frères » ; les autres, (appelons-les Y), à l’allure nettement “plus décontractée”, tradition matriarcale, ici « mes frères » se dit «fils de ma mère » !

Une petite illustration des diversités : un jour je prends ma voiture ; au 20e km, un jeune X me fait un timide signe pour que je l’embarque ; ce que je fais ; au bout de 20 km, il me demande de le descendre ; en sortant il me demande poliment combien il me doit ; rien évidemment ! Au retour, 3 jours après, à peu près au même endroit, je vois un autre jeune qui me fait de grands gestes impératifs pour que le prenne ; je reconnais un de mes paroissiens ; je l’embarque ; il ferme la porte, se tourne vers moi et me dit : « Donne-moi une cigarette ! » : ça y est : je suis arrivé chez les Y !

Et alibi aliorum !

Pierre Gruiec,
Billère