Voix d'Afrique N°77.....

 

Pierre Féderlé, actuellement en poste à la maison provinciale de la rue Roger Verlomme, nous fait partager son parcours missionnaire, assez atypique.


A Mulhouse. Pourquoi pas moi ?

Sa première école, c'est la rue. à Mulhouse pendant la guerre, les gamins se côtoient, se bagarrent, se réconcilient et se bagarrent de nouveau. Pierre Féderlé est bien bâti, costaud. Il n'a pas peur des coups ! " Il y a plus de joie à donner qu'à recevoir "… des coups, bien sûr. C'est son premier contact avec l'évangile. Il a quatorze ans lorsqu'il assiste à la projection d'un film sur le Rwanda, le pays des mille collines, le pays où le St. Esprit soufflait en tornade. (Cinquante ans plus tard, on s'est aperçu que les tornades peuvent être très dévastatrices !). " Et pourquoi pas moi ? " se demande-t-il ? Il est envoyé au petit séminaire d'Altkirch où il apprend le français, car toute son éducation avait été en allemand pendant la guerre (Mulhouse faisait partie de l'Allemagne). Il est doué pour les langues comme pour le sport. Après un passage à Bonnelles où il passe son baccalauréat, il entreprend les études de philosophie scolastique à Kerlois. études, sport, travaux d'entretien de la maison, longues sessions dans la bibliothèque, tel est le résumé de sa vie pendant deux ans. Il manie avec autant d'énergie la pioche et les agrès, il se dépense autant sur le terrain de football que dans le jardin ou la bibliothèque, avec l'Afrique en vue.

" Tu attrapes le ballon et tu cours ! "

Après un an de formation spirituelle au Noviciat de Maison Carrée, il est envoyé au Pays-Bas pour ses études de théologie en anglais, dans une communauté internationale d'étudiants venus de tous les horizons. Après le service militaire, il part près de Londres pour continuer ses études théologiques. C'est là que l'attendait une autre expérience : le rugby. " Tu attrapes le ballon et tu cours ! " Aussi simple que cela. Jusque là, il avait l'habitude de taper le ballon avec ses pieds, mais là, c'est différent ! Le football c'est un jeu de gentlemen joué par des voyous ; le rugby, c'est un jeu de voyous joué par des gentlemen. Pierre impressionne aussi bien par la rapidité de sa course que par son énergie. Il court le 100 mètres en 11,5 secondes ! Allez essayer de le rattraper ! Il marque de nombreux essais et l'équipe des "London French " de Londres se fait une réputation redoutable. Après une bonne douche et une cordiale "troisième mi-temps", il se plonge à nouveau dans la bible : c'est son domaine préféré, si bien qu'après son ordination, en 1961, il est appelé à Rome pour continuer ses études en théologie et écriture Sainte.

La soutane et le short de rugby

A l'ombre du dôme du Vatican, Pierre ne tarde pas à se faire remarquer. D'autres étudiants lui proposent une place dans l'équipe de rugby de Rome. Le seul problème : convient-il à un jeune prêtre étudiant de laisser tomber son col romain et sa soutane pour prendre short et maillot afin de courir après un ballon pour l'envoyer entre deux poteaux ? Le Cardinal Préfet de la Propagande, de qui dépendaient tous les étudiants missionnaires, est consulté : après mûre réflexion, il donne la permission, et Pierre peut à nouveau chausser les crampons.

Capitaine des " London French "

Remise du trophée au meilleur joueur des Français de Londres (1958-1973) :
un ballon, un maillot et un écusson du club

Muni de son diplôme de professeur d'Ecriture Sainte et fort de son expérience au rugby, Pierre est envoyé de nouveau à Totteridge, dans la banlieue de Londres pour assurer la formation des étudiants missionnaires. Il communique sa passion pour la Bible comme pour le Rugby. Il part souvent en fin de semaine avec quelques étudiants pour un match amical. Il est capitaine de l'équipe des Français de Londres. Son engagement sportif n'enlève rien à son enthousiasme à étudier la Bible. Il reste huit ans dans les brumes britanniques : ça commence à bien faire ! Il est missionnaire d'Afrique et demande à partir enfin. Il demande le Malawi, et c'est là qu'il va poser ses valises.

Enfin la Mission !

L'étude de la langue, le chichewa, ne pose pas de problème. Pendant deux ans, il travaille dans un quartier populaire de la capitale, Lilongwe. C'est une expérience d'enracinement parmi les pauvres. Ouvriers, mendiants, enfants des rues sont ses amis. Au marché, dans les ruelles boueuses, dans les humbles cabanes de tôle, il écoute, essaye de comprendre. Mais l'expérience ne durera pas?: on a besoin de Pierre pour enseigner l'Ecriture Sainte au nouveau grand séminaire. Et c'est parti pour un nouvel essai à transformer ! Zomba est encore la capitale administrative du Malawi, peuplée d'africains diplômés, de britanniques expatriés, de fonctionnaires originaires du pays : de quoi faire une bonne équipe. Pierre insuffle l'enthousiasme, la rage de gagner. Les gentlemen reprennent goût au jeux de voyous ! Il a été plusieurs fois sélectionné dans l'équipe nationale des "Léopards". Peu importe, après tout, les scores, les comptes de victoires et de défaites : ce qui compte, c'est la course, la poursuite, les placages, les chutes, les bleus et les bobos vite guéris?! " Il y a plus de joie à donner qu'à recevoir ". Lorsque la partie est terminée, au vestiaire, la fraternité reprend tous ses droits.

" Si tu pries pour la pluie, ne te plains pas de la boue "

Le proverbe africain enseigne que " si tu pries pour la pluie, ne te plains pas de la boue " ! Pierre enseigne l'écriture Sainte, mais il doit remplacer le recteur rapidement, et ensuite l'économe. Il n'a pas le temps de s'ennuyer ! Après trois ans dans un autre Grand Séminaire, à Kachebere, il est rappelé en France. On a besoin de lui à Strasbourg, pour redonner du souffle à l'animation missionnaire dans sa région natale. La revue "Voix d'Afrique" - l'ancêtre de notre magazine - se répand et gagne jusqu'à 10000 abonnés. Que de kilomètres sur les routes d'Alsace et de Lorraine, que de conférences et d'homélies, que de rencontres et de partages pendant des années. Il a passé l'âge de lancer le ballon ovale, mais l'énergie est toujours là. Et il est très heureux de repartir à nouveau pour le Malawi. C'est là qu'il rencontre l'épreuve inattendue : le soleil. Un cancer de la peau se déclare et il doit revenir en France. Le spécialiste lui déclare, sans trop de ménagement : "Vous en avez pour six semaines ! " Il ne baisse pas les bras pour autant. La chimiothérapie semble efficace. Encore un essai marqué et transformé, comme au rugby !

Rien à moitié !

Il part pour Toulouse, où il travaille à l'Institut Catholique comme directeur du Centre d'études Africaines et Arabes. Il prend aussi en charge la revue "Se comprendre", dont le but est de faciliter le dialogue islamo-chrétien. Bientôt il est appelé à Rome pour assurer la publication de "Le Petit Echo", revue interne de la Société des Missionnaires d'Afrique. Il y passe quelques années et donne à cette revue un courant d'air frais.


A Paris


Il a atteint depuis quelques années l'âge de la retraite ! Il a soixante dix ans, mais il a trop peur de s'ennuyer ! " Rien à moitié " redit Pierre chaque matin. Chaque matin est un jour nouveau, un nouveau match, un ballon ovale à attraper, à lancer, à plaquer derrière la ligne. La partie, aujourd'hui, pour Pierre, c'est la rencontre avec des SDF chez les Sœurs de la Charité de Mère Thérésa. C'est aussi l'étude de la Bible avec des fonctionnaires du Musée du Louvre. La partie n'est pas terminée ! "Il y a plus de joie à donner qu'à recevoir ! "