Témoignages
Pascal Durand
Pemba, paroisse de Wete, de juillet 2002 à mai 2005
Quelques chrétiens sur une île musulmane
Lors de mes premiers jours à Pemba, ma deuxième affectation ou ma deuxième paroisse depuis mon ordination presbytérale en juin 1999, jeus lintuition que sil mavait fallu beaucoup de forces pour vivre à Bukoli (mon premier lieu), il me faudrait maintenant beaucoup de cur. Les trois années qui suivirent ne démentirent pas cette intuition.
La surprise fut de taille. Nous sommes habitués, en Afrique subsaharienne, à servir des communautés accueillantes, chaleureuses, vivantes, importantes. Cétait mon expérience en tous cas jusqualors, depuis mon arrivée en Afrique, à compter du noviciat en septembre 1992. Mais à Pemba, les choses changèrent.
La taille des communautés chrétiennes dabord, puisque lon compte environ un chrétien pour mille habitants (musulmans). À titre de comparaison, en Arabie Saoudite, il est compté deux ou trois chrétiens pour cent habitants. Dans la paroisse de Wete, qui recouvre toute la partie nord de lîle de Pemba, la communauté catholique ne compte que 300 membres. Les célébrations à la mission rassemblent une soixantaine de personnes, et, dans chacune des quatre succursales, entre 6 et 30 membres constituent lassemblée.
Plus difficile sans doute le fait quaucune de ces personnes ne soit reconnue par la société environnante comme indigène authentique, même si elle est née et a toujours vécu sur lîle. À lorigine, ces personnes viennent « dailleurs », soit de la Tanzanie continentale, soit du Burundi, soit du Mozambique, faute inexcusable, lorsque couplée avec celle de ne pas être musulman.
Il est indéniable que beaucoup de difficultés éventuellement rencontrées sur lîle aient à lorigine des causes politiques. La situation est complexe. Zanzibar est un archipel semi-autonome, constitué de deux îles importantes et intégré dans le gouvernement de lunion de Tanzanie. Pemba est la deuxième île, en taille et en population, et par cela seul elle échappe au pouvoir et décisions centralisés soit sur la capitale de lunion (Dar es Salaam), soit sur la capitale de larchipel (la ville de Zanzibar). Une mentalité insulaire axée sur la frustration politique en résulte. Pemba est la seule région de toute lunion de la Tanzanie à voter massivement pour le principal parti dopposition lors de toutes les élections.
Les chrétiens perçus comme représentants des pouvoirs étrangers
Las de tous ces échecs, le politique a tendance à se servir de la religion pour parvenir à ses fins. Registre sensible auquel les musulmans pieux ne peuvent résister. Le parti politique dopposition est souvent populairement présenté comme un parti religieux, celui de tout bon musulman qui se respecte, fait bien établi, mais que les responsables se gardent bien dinstitutionnaliser. Les chrétiens, par contraste, sont perçus comme les représentants des pouvoirs étrangers, occidentaux, dévoyés, exploiteurs et ennemis de lIslam, image véhiculée par linterprétation de certains événements internationaux. Afin de vacciner la population contre une certaine attraction curieuse et naturelle pour le christianisme et ses idéaux, une propagande médiatique populaire sans pitié est engagée : vente et diffusion de cassettes sur les places publiques, utilisation des prêches publics et des médias. Il ma été donné de regarder des films dhorreurs et dépouvante dans lesquels étaient mélangés les signes chrétiens les plus courants (la croix, léglise, le clergyman) avec les actes les plus sanglants (meurtres, succion de sang) comme dans des films de Dracula, et cela lors dun simple voyage en bateau dune île à lautre, en compagnie de tout ce que représente la population dans son éventail le plus large (enfants, femmes ).
Dans ces conditions, lapostolat est souvent malaisé. En pratique, il comporte deux volets : celui auprès de la population chrétienne, et celui qui sadresse aux autres, en particulier aux musulmans.
Nourrir la foi de nos quelques chrétiens est une priorité évidente. Quils soient peu nom-breux nexcuse pas le manque de soutien. Chaque semaine, presque chaque communauté est visitée, en particulier à loccasion de leucharistie.Certaines périodes (Noël, vacances scolaires) nous permettent dorganiser des rencontres, des séminaires pour des groupes particuliers, en loccurrence les jeunes. Les enfants ont leurs rencontres hebdomadaires. Tout cela dans le but déquiper nos communautés afin quelles surmontent les dangers que nous connaissons tous. Les apports humains et spirituels y sont mélangés.
Notre 1er objectif : se rencontrer
Lapostolat adressé aux musulmans est plus varié peut-être, mais puisquil recouvre des services sociaux et éducatifs, nos chrétiens nen sont pas exclus, bien au contraire. Deux écoles maternelles regroupant une cinquantaine denfants sont gérées par la mission. Tous les jours, des cours de langue, dinformatique et de soutien scolaire sont organisés pour ceux qui le souhaitent. Nous bénéficions ainsi dune bonne douzaine de visites quotidiennes, en particulier de la part de jeunes voulant mettre toutes leurs chances de leur côté pour leurs examens.
Cest, bien sûr, loccasion de nouer des relations damitié durables et fraternelles. Se rencontrer constitue souvent notre premier objectif, et défi à la fois. Une équipe de basket-ball vient également plusieurs fois par semaine sentraîner sur le terrain de la mission. Une autre occasion de se rencontrer.
Les missionnaires dAfrique sont arrivés sur la paroisse de Pemba en janvier 2001 et il est normal dans une mission comme celle-ci de sinscrire dans la durée. « Le succès nest pas un nom de Dieu » aimait répéter notre curé ; les fruits de nos actions ne sont pas évidents « à lil nu », mais dans un regard de foi, lamour donné ne peut être perdu.
Au cours de mon bref passage de trois années sur Pemba, nous navons pas manqué dévènements fâcheux, qui risquent de décourager. Mais, en même temps, nous nous rendons bien compte quune présence nest jamais si utile que lorsquelle est indésirable. Ne serait-ce que pour combattre les préjugés et ouvrir à la possibilité de rencontrer lautre, de lapprécier et de laccueillir.
Pascal Durand