Voix d'Afrique N°101.

Les paradis fiscaux
se portent bien !


Paradis fiscaux ? Seulement des plages de sable blanc ? (Bahamas)


La lutte contre la dette publique dans de nombreux pays a un effet bénéfique inattendu : Elle provoque une mobilisation des gouvernants contre l’évasion fiscale. Mais elle met aussi en cause le secret bancaire et les politiques qui en-trainent la délocalisation fiscale. On estime que 14,5 billions d’euros sont dans des paradis fiscaux offshore, et la France perd, chaque année, 50 milliards d’euros dans l’évasion fiscale.

Pourquoi en parler maintenant ? La réalité est que les Trésors publics, presque partout, sont à sec. Les États, longtemps laxistes, hypocrites et complices, sont à la recherche de la moindre ressource. Ils réalisent à quel point l’évasion fiscale légale les prive de sommes énormes, dont ils ont le plus grand besoin.


Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ?

« Le paradis fiscal est une plante vénéneuse disséminée un peu partout dans le monde ces dernières décennies, causant des dommages considérables, d’où les appels à son éradication maintes fois réitérés sans que cela ne soit jamais sérieusement mis en pratique. »

Pour beaucoup de gens, le « paradis fiscal » évoque une île des Caraïbes où quelques milliardaires s’enrichissent en dormant à l’ombre des palmiers. Apparemment, cela ne concerne pas le petit peuple.

Quatre critères ou quatre ‘avantages’ pour ceux qui en bénéficient peuvent définir le « paradis fiscal » : impôts inexistants ou insignifiants, absence de transparence, législation qui empêche l’échange d’informations avec les autres administrations et en-fin tolérance envers les sociétés-écran ayant une activité fictive. En 2009, l’OCDE répartissait les paradis fiscaux en trois listes : gris clair, gris foncé et noir selon le degré d’absence de coopération. La France, elle, publie cha-que année une liste d’États et territoires non coopératifs.

Genève« Les paradis fiscaux et judiciaires participent, selon le magistrat Jean de Maillard, à la construction d’un « monde sans loi ». Or, dans un monde sans loi, c’est la loi du plus fort qui règne. Les conséquences sont redoutables. Ce sont les budgets des États qui pâtissent de cette évasion fiscale massive. Et les contribuables, eux, sont appelés à compenser les pertes budgétaires dues à la fraude et à l’évasion fiscale des multinationales par exemple par le développement de la TVA. En bref, le paradis fiscal permet de se mettre hors d’atteinte du fisc, des règlements et de la justice.

Les paradis fiscaux peuvent être répartis en quatre grands groupes : « Le premier réunit les paradis fiscaux européens. Le second est un réseau centré sur la City de Londres, qui s’étend sur toute la planète et dont les contours épousent plus ou moins les limites de l’ancien empire britannique. Le troisième rassemble les paradis fiscaux de la sphère d’influence des États-Unis. Le quatrième regroupe quelques curiosités comme la Somalie et l’Uruguay, qui jusqu’à présent ont rencontré peu de succès. »

Dans les paradis fiscaux, on voit la communion d’intérêt entre d’un côté, les trafiquants de drogue, les terroristes et autres criminels et d’autre part les « simples » fraudeurs fiscaux qui ont recours aux mêmes procédés. La porosité entre monde du crime, élite de la finance, services secrets et multinationales, montre que l’on ne pourra jamais vain-cre le terrorisme, le trafic de drogue et autres crimes qu’en s’attaquant au système dans sa globalité.

Le secret bancaire n’est pas propre aux paradis fiscaux mais plutôt au paradis bancaires tel que la Suisse ou Hong Kong. Les deux notions se recoupent largement puisque les paradis bancaires permettent d’effectuer des investissements dans des paradis fiscaux de manière dissimulée.

Les meilleurs
paradis fiscaux

Outre le Delaware (U.S.A.) où il n’y a ni TVA, ni impôt sur les bénéfices, ni identification des ayants-droit lors de la création d’un trust, la City de Londres est également épinglée pour son secret bancaire exacerbé, son absence de taxes et de réglementations. Elle est le paradis fiscal le plus fréquenté par les grandes entreprises françaises.

Font partie des ‘meilleurs’ paradis fiscaux : le Royaume Uni (en tant qu’agent commercial), la Suisse, les Seychelles, Hong Kong, Singapour, le Panama, le Costa Rica, Saint-Kitts & Nevis.

Andorre« Quelques chiffres : Le nombre de paradis fiscaux a été multiplié par 3 en 30 ans ; 150 000 sociétés offshore se créent chaque année ; 50 % du commerce mondial transite par les paradis fiscaux qui ne représentent pourtant que 3% du produit mondial brut ; 50 % des prêts bancaires et 30% des investissements directs à l’étranger internationaux sont enregistrés dans des paradis fiscaux ; 11 000 milliards de dollars sont abrités des les paradis fiscaux, soit cinq fois le PNB de la France. »
Leur fonctionnement

« Les paradis fiscaux sont passés maîtres dans le blanchiment d’argent, processus qui consiste à déguiser, à travers la conversion, la dissimulation et le transfert, des biens provenant d’activités criminelles dans le but de rendre légale leur utilisation future... Il existe divers procédés pour le réaliser : l‘achat de biens mobiliers et immobiliers, les déplacements physiques de personnes (avec des valises remplies de billets !), les cartes prépayées et la création d’entreprises (bars, restaurants, discothèques). »

Mais ils abritent aussi la fraude fiscale qui consiste à se soustraire frauduleusement (ou à tenter) à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt.

Prenons le cas d’une entreprise : pour transférer ses bénéfices dans un paradis fiscal, elle peut créer une société fictive (holding) qui la contrôle, domiciliée dans le pays. L’objectif est de transférer le maximum de ses bénéfices vers cette holding. Pour cela, la holding vend à l’entreprise des biens et des services à un prix artificiellement élevé. L’entreprise a plus de charges à payer, génère moins de bénéfices et paye donc moins d’impôts. La holding, quant à elle, aura davantage de bénéfices mais ils seront peu imposés, grâce au paradis fiscal.

Londres« Et voilà comment le Lesotho, qui compte environ un million de femmes, importe en une seule fois deux millions de soutiens-gorge, ou comment le premier exportateur de bananes vers l’Europe se trouve être la petite île de Jersey. »

« En déposant leur argent dans les paradis fiscaux, les détenteurs de ces richesses paient peu de taxes, voire aucune… À l’heure des mesures d’austérité draconiennes et des compressions budgétaires, les gens ordinaires aux quatre coins du monde subissent les conséquences de la perte de ces millions de dollars de recettes fiscales. En outre, ces chiffres ne sont que la face visible de l’iceberg : l’évasion fiscale des grandes entreprises représente chaque année une perte de centaines de milliards de dollars. La vaste majorité des gens ordinaires paient leurs impôts chaque année, alors pourquoi est-il possible que les personnes et les entreprises les plus riches du monde évitent de payer les leurs ? »

Rôle social
des paradis fiscaux ?

Peut-on parler d’un rôle social des paradis fiscaux ? C’est l’argument numéro un des défenseurs des places offshore. S’attaquer à ces dernières handicaperait les grandes entreprises et les banques qui y font des affaires légales.
S’il est vrai que les paradis fiscaux hébergent des activités illégales, il est vrai aussi qu’ils sont le moteur de l’économie actuelle, que si on les supprime, de nombreuses entreprises et grands groupes seront obligés de licencier en masse à cause d’un manque d’optimisation fiscale et d’un manque de compétitivité au niveau mondial. Ils représentent des piliers essentiels de la mondialisation économique. En 2010, le FMI estimait que le bilan cumulé des petits paradis fiscaux insulaires (c’est-à-dire une partie seulement des paradis fiscaux) s’élevait à 18 000 milliards de dollars, soit le tiers du PIB mondial, et il s’agit là d’un montant probablement sous estimé.

Politique des États

« D’une main, David Cameron signe un accord d’échange de données avec la Suisse ; de l’autre, il encourage Hongkong et Dubaï à fournir des liquidités à la première place financière mondiale. L’Hexagone n’est pas en reste. En Polynésie française, aucune trace d’impôt sur le revenu, sur la fortune, ou sur la succession. »

MonacoLes politiques français n’ont pas encore un discours convaincant. Le 23 avril 2009, de New York et en direct sur France 2, le Président Nicolas Sarkozy décrétait la mort des paradis fiscaux : « Nous y sommes arrivés. Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé », déclarait-il. Quatre ans plus tard, les fichiers Offshore Leaks rappellent qu’il n’en est rien. François Hollande entend « renforcer les moyens de lutter contre la fraude fiscale », sans indiquer de quelle manière. Il promet également d’interdire aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux. Mais il ne précise pas quels sont les territoires concernés.

Comment expliquer ce manque de progrès et de volonté politique sur la question ? En février dernier, la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale a mis un pied dans la porte en voulant obliger les banques à donner quelques informations sur leur présence dans chaque pays (filiales, chiffre d’affaire, effectifs) et à publier leurs bénéfices et leurs impôts par pays.
La fraude et l’évasion fiscales sont aussi un souci de l’Union européenne. Les Vingt-Sept doivent décider la mise en œuvre d’une directive qui rendrait automatiques les échanges d’informations entre États sur tous les reve-nus des particuliers et des entreprises. La Commission veut de plus obtenir mandat de renégocier les accords fiscaux avec les « petits paradis » européens que sont la Suisse, Andorre, Monaco, Saint-Marin et le Liechtenstein, qui tous, jusqu’à ce jour, traînent les pieds. Il en va de même pour le Luxembourg et l’Autriche. Mais le Luxembourg vient de promettre d’abandonner en 2015 le secret bancaire pour les revenus d’épargne.

Des solutions ?

L’idéal serait :

* Obliger leurs propres paradis fiscaux à signer un accord mondial sur le partage des informations fiscales afin que tous les pays, et surtout les plus pauvres, puissent taxer équitablement les entreprises comme les personnes ;
* Rendre publique l’identité des propriétaires d’entreprises et d’autres actifs afin que personne ne puisse échapper à ses obligations fiscales en dissimulant ses revenus ou en établissant des sociétés écrans ;
* Enfin s’accorder sur une liste noire des paradis fiscaux et sur les mesures à prendre s’ils ne se montrent pas coopératifs.

L’Afrique pénalisée
par les fuites de capitaux dans les paradis fiscaux

« Dans les milieux de dévelop-pement, nous parlons beaucoup de la quantité d’aide qui va vers l’Afrique, et il y a ce sentiment chez certains en Occident selon lequel bien que nous donnions cet argent depuis des décennies, c’est la faute de l’Afrique si les pays du continent ne sont pas encore développés ».

Il est vrai que le niveau d’aide étrangère est élevé pour l’Afrique qui, depuis 2005, reçoit plus de 50 milliards de dollars par an, fai-sant du continent la région la plus dépendante de l’aide au monde.

Mais il est vrai aussi que durant des trois dernières décennies, l’Afrique a fonctionné comme un “créancier net” pour le reste du monde. « La fuite illicite de capitaux sortant de l’Afrique équivaut à plus de 10 fois l’aide qui y entre. Entre 1980 et 2008, l’Afrique a perdu 824 milliards de dollars en flux sortants illicites de capitaux. »

De ce montant, on pense que près de 83 % provient des pays d’Afrique du nord seule. Les fuites d’argent sale semblent provenir particulièrement de pays riches en ressources, ceux qui sont le plus fortement engagés dans l’extraction du pétrole, du gaz et d’autres ressources naturelles. Parmi les plus remarquables, figurent le Nigeria, la Libye, l’Afrique du Sud et l’Angola.

« Ces pays manquent généralement de structures de bonne gouvernance qui permettraient aux citoyens de surveiller la quantité et l’utilisation des recettes provenant du secteur des ressources naturelles. »
« Pour chaque dollar d’aide que l’Afrique reçoit, elle en perd dix. » Autant d’argent que les pays africains ne dépenseront pas pour développer leur agriculture, améliorer leur accès aux soins ou construire des écoles. En clair, ce sont les objectifs du Millénaire de lutte contre la pauvreté qui s’éloignent.

Les paradis fiscaux
africains

Plusieurs pays africains ont déjà pensé, ou carrément ouvert la porte au processus des paradis fiscaux. La principale raison pour les États a toujours été d’alléger les circuits financiers afin d’attirer le plus d’investisseurs possible et contrer l’évasion massive des fonds nationaux.

Quelques places financières sont officiellement reconnues : C’est le cas des Seychelles, qui offre une incorporation en 24 h et des taux d’imposition de 0% pour les entreprises étrangères. C’est le cas aussi de l’île Maurice, du Libéria, du Botswana, du Kenya, de l’Afrique du Sud, et de la Tunisie.

D’après des sources diverses
Voix d’Afrique


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