Lavigerie en costume arabe lors de son voyage en Syrie 1860

Axe de la pensée
- La marque de Lavigerie sur l'Oeuvre des Ecoles d'Orient
- La marque de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient sur Lavigerie

I. Marque de Lavigerie sur l'Oeuvre des Ecoles d'Orient

1. Origine de l'Oeuvre
Circonstances de sa création
But de l'Oeuvre
Personnalités du début

" La création de l'Œuvre d'Orient s'inscrit dans un contexte historique connu… C'est à la suite de la guerre de Crimée que l'Œuvre vit le jour. La ville de Sébastopol était tombée, la guerre de Crimée s'achevait. Le traité de Paris fut signé le 30 mars 1856. Dans ce traité, il avait été obtenu de l'Empire Ottoman la proclamation de la liberté religieuse dans ses territoires (le Hatti Hamayoun). D'autre part, la question de l'Orient et des lieux saints retenaient l'attention des pays occidentaux…, du côté français, un fort courant de sympathie et d'intérêt se développait parmi les chrétiens et surtout parmi les catholiques, envers les populations du Proche-Orient.

Le rôle traditionnel de la France n'était pas nouveau… Par le traité de 1536, dit des Capitulations, la France obtint le droit pour ses consuls dans l'empire Ottoman, d'assurer la protection des catholiques de toutes nationalités vivant dans cet empire. Cet accord fut renouvelé en 1740, sous Louis XV.

C'est à la suite du traité de Paris et dans cet élan de sympathie française qu'un groupe d'intellectuels décida de fonder l'Œuvre des Ecoles d'Orient, avec le souci :

- de témoigner leur foi en Jésus Christ.
- de travailler à refaire l'unité des chrétiens.
- de les aider matériellement.

L'initiateur de l'Œuvre fut le baron Augustin Cauchy (mathématicien, membre de l'Institut), ainsi que de M. Falloux, et de M. de Montalembert. Ils furent rejoint également par M. Charles Lenormant (helléniste, ancien professeur au collège Stanislas), et le père de Ravignan.

La première réunion eut lieu le 4 avril 1856 chez M. Mandaroux-Vertamy. Ce premier groupe de laïcs fut rejoint par d'autres personnalités tel que des membres des académies, des militaires et des ecclésiastiques.
L'Œuvre sera reconnue par le bienheureux Pie IX, pape, le 29 janvier 1858. " (page web : Œuvre d'Orient. Historique)

Le P. F. Renault dans son livre " Le cardinal Lavigerie " édité par Fayard en 1992, précise le but de l'Oeuvre en soulignant le soutient qu'elle voulait apporter aux écoles chrétiennes que plusieurs congrégations religieuses avaient ouvertes dans différents endroits de l'empire Ottoman. Cette action centrée sur l'instruction devenait une urgence du fait de la situation nouvellement crée par la loi qui donnait, en principe, l'égalité des droits civils aux fidèles des religions autres que l'Islam. Les chrétiens se devaient d'être prêts à assumer des postes de responsabilité.

" Leur fragmentation (des chrétiens), le manque de formation approfondie du clergé, une instruction trop rudimentaire des jeunes : ces graves éléments de faiblesse réservaient des lendemains désastreux dans l'éventualité d'un brassage qui les confronteraient, désarmés, avec tout autres courants religieux et intellectuels. C'est pour leur fournir les instruments d'un renouveau que des congrégations religieuses fondèrent des écoles et un séminaire, et que l'œuvre des Ecoles d'Orient se constitua pour leur fournir l'aide financière indispensable… (Le Cardinal Lavigerie. F. Renault, p 50).

2. Le choix de Lavigerie à la Direction de l'Oeuvre
Motifs du choix
Circonstances concrètes
Premiers pas (résultats et politique financière)

Le père F. Renault écrit :

" L'œuvre des Ecole d'Orient se fixait un programme précis : susciter l'intérêt de l'opinion et recueillir des fonds. Or le bilan du premier exercice d'activité en 1855-1856 se révéla fort maigre, puisque les sommes recueillies ne dépassaient pas les seize mille francs. Le rang social des membres leur assurait une certaine influence, mais ne les disposait guère à se remuer beaucoup pour toucher des milieux divers dans différentes régions du pays. Ils s'enquirent donc d'un directeur capable de remplir cette tâche, c'est à dire un homme entreprenant, doté d'une formation intellectuelle solide et convaincu de la nécessité, pour le développement d'un peuple, de diffuser l'instruction. La qualité de prête semblait en outre indispensable pour pouvoir prêcher dans les églises et toucher aisément un public nombreux. Lavigerie, professeur en Sorbonne, encore jeune et de tempérament actif, correspondait à ce 'profil'. Le P. Gagarine en parla à son confesseur, le P. de Ravignan, qui lui conseilla d'accepter la proposition et, à la fin de l'année 1856, il se trouva investi dans cette charge. " (F. Renault, o.c. p 51-52).

Le P. J. Mazé, dans son livre " Le Cardinal Lavigerie et son Action apostolique ", s'exprime de façon plus vivante :

" Cette grande Œuvre (des Ecoles d'Orient), fondée, en 1855, par le baron Cauchy, végétait péniblement. Convaincus, après une première année d'expérience, qu'il n'est pas suffisant d'être illustres par la naissance, la science, ni même par le dévouement, lorsqu'il s'agit de faire appel à la générosité des fidèles, les membres du Conseil, vers la fin de 1856, députèrent le Père de Ravignan, auprès de l'abbé Lavigerie, pour le persuader d'accepter la direction de leur Œuvre. Le Père de Ravignan était son confesseur. 'Si vous croyez que ce soit la volonté de Dieu, je suis prêt', lui déclara le jeune prêtre. ' Je le crois' dit le Père. Désormais l'œuvre était assurée de prendre son essor. Son premier directeur se chargeait de la faire adopter par les catholiques de France " (J. Mazé, o.c. p 7-8).

L'appartement qu'il occupait rue du Regard devint le siège de l'Œuvre.

" Le nouveau directeur entama aussitôt une tournée dans de nombreux diocèses pour expliquer les buts de l'œuvre, recueillir des ressources et mettre en place des comités chargés de poursuivre, sur le plan local, l'action entreprise. L'accueil des évêques et du clergé fut variable. Les uns apportaient leur coopération et facilitaient le séjour du visiteur. D'autres le regardaient comme un concourrant dans l'appel à une générosité qu'ils sollicitaient eux-mêmes pour leurs propres institutions. Lavigerie racontera avec humour les 'douches glacées' parfois reçues en se présentant, et certaines astuces auxquelles il recourut pour surmonter ces embûches. 'Oh ! quels souvenir ! écrivait-il plus tard. Et combien, depuis ce temps, je prends pitié des quêteurs !' Il n'était pas homme à se décourager pour autant. Le lancement d'un bulletin et deux brefs successifs du pape, en 1857 et 1858, encourageant les membres de l'Oeuvre, lui donnèrent une certaine audience, et il suscita même la création de comités dans quelques diocèses de pays étrangers, Belgique, Irlande et Italie. Après quelques années, il pouvait faire état, pour l'exercice 1859-1860, d'une rentrée de plus de soixante mille francs : l'Œuvre des Ecoles d'Orient prenait véritablement consistance. " (F. Renault, o.c. p 52)

Et J Mercui précise davantage:

" Nous ne dirons pas non plus ce qu'il fit pour développer l'œuvre et augmenter ses moyens d'action. Il faudrait le suivre à travers la France et même en dehors, parler de sermons et des quêtes, de Conseils locaux et de Comités de zélatrices, de publications, etc. Mentionnons cependant qu'il sut obtenir un Bref élogieux du Pape et la reconnaissance légale de l'œuvre par le Gouvernement. Du reste il suffira de constater que les recettes montèrent à 46 000 francs dès 1858, à 60 000 en 1859 et ce fut bien autre chose après les massacres qui ensanglantèrent le Liban en mai 1860. " (J. Mercui, 'Les Origines de la Société des Missionnaires d'Afrique', Maison-Carrée 1929, p 8)

" Il devenait alors nécessaire de définir une politique, et le directeur l'exposa devant l'assemblée générale. Les établissement bénéficiaires des allocations, expliqua-t-il, n'assureront jamais leur existence s'ils continuent à dépendre des sommes reçues chaque année de l'Europe. Cette situation de dépendance, normale au début, n'est pas saine à long terme, et elle entretient une précarité qui peut se révéler désastreuse en cas d'événement graves qui tariraient la source des dons ou rendraient leur acheminement impossible : écoles et séminaires d'Orient devraient alors fermer leurs portes. Plutôt que d'opérer un saupoudrage de subventions en leur assurant les seuls besoins du moment, il est préférable d'en concentrer une partie pour les doter progressivement de fonds de réserve qui leur permettent d'acquérir l'indépendance financière. Assurer, dans l'avenir, la solidité d'une œuvre entreprise : telle était la préoccupation de Lavigerie et elle restera toujours chez lui un impératif " (F. Renault, o.c. p 52-53)

Le père Mazé, pour sa part, décrivant les premiers pas de Lavigerie à la tête de l'Oeuvre, souligne le caractère décidé de celui-ci, son engagement sans réserve à sa nouvelle tâche ainsi que le secret de sa réussite :

" 'Je suis basque, et, à ce titre, entêté lorsqu'il le faut'. Son active propagande, en effet, fit quadrupler, en trois ans, les recettes de l'œuvre, car 'elle était rentrée dans le courant de la vie catholique, et il ne lui manquait plus d'autre recommandation que celle des services rendus'. " (J. Mazé, o.c. p, 8)

3. Le massacre des chrétiens par les Druzes
Les causes (lointaines et immédiates)
Les faits
L'action de Lavigerie en France

" L'année 1860 fut décisive pour l'Oeuvre d'Orient. Au Liban, il y eut le massacres de chrétiens par les Druzes aidés par les Turcs. L'Œuvre connut alors un important développement en remuant l'opinion publique pour porter secours aux chrétiens. C'est à partir de ce moment que l'organisation prit le nom définitif d'Œuvre d'Orient. " (page web).

Une histoire indécise et agitée par rapport à la conception même du pays de la part des autorités de l'Empire, une situation politique complexe et difficile à gérer du fait de l'origine et des credo religieux différents des populations, le ressentiment contre une loi d'égalité des droits civiques donnée par les autorités de l'empire un peu à la force et jamais acceptée par la population musulmane, un sentiment de vengeance contre des actions violentes accomplies quelque peu auparavant par les Maronites et une situation économique malheureuse qui maintenait le paysannat maronite dans un état de pauvreté difficile à supporter et qui déboucha dans une révolution agraire s'allièrent pour déclencher une énorme tragédie humaine dont les victimes furent les chrétiens.

" L'explosion se produisit le 26 mai 1860. En quelques jours, six mille chrétiens furent massacrés dans la Kaimacanat druze (le pays avait été divisé en deux districts -kaimacanat- : un au nord, administré par les Maronites, un autre au sud, administré par les Druzes), puis le carnage se poursuivit avec des incursions en secteur maronite et se propagea jusqu'à la ville de Damas : le nombre total de victimes fut évalué à vingt-deux mille, et la sécheresse du chiffre ne put encore rendre compte des scènes de cruauté, des villages brûlés, de l'exode de survivants fuyant en foule vers la côte. Un tel massacre fut rendu possible par la complicité des autorités turques. Des chrétiens venant se réfugier auprès d'elles furent désarmés sous promesse de protection, puis livrés à leurs ennemis ou aux irréguliers bachi-bouzouks " (F. Renault, o.c. p 55).

Lavigerie en costume arabe lors de son voyage en Syrie 1860

" Les premières informations précises parvinrent en France au mois de juillet et causèrent une émotion considérable. Des liens traditionnels existaient de longue date avec les Maronites, et ceux-ci avaient l'habitude d'envoyer des étudiants dans les collèges et séminaires de Rome et de Paris. L'Oeuvre des Ecoles d'Orient se trouvait concernée au premier chef pour la collecte et l'expédition de secours à envoyer aux victimes. Pour les obtenir, Lavigerie déploya une grande activité en adressant des circulaires au clergé et aux journaux catholiques, et en se rendant de ville en ville pour exposer la situation. " (F.Renault, o.c. p 56)

A cette tâche Lavigerie employa tout son savoir faire et les recours de son éloquence et de sa plume pour toucher le cœur des chrétiens et de ses responsables.

" 'Il faut qu'on donne, qu'on se hâte, car demain ce serait le désespoir, l'anéantissement' et il alla à travers tout le pays, 'enrôlant les évêques, le clergé, les familles, les journaux, les écoles. Il s'adressa de même aux évêques d'Irlande, d'Angleterre, d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne.' Il bourrait le Bulletin de l'œuvre de récits atroces, de statistiques douloureuses qui lui venaient des missionnaires. En un mois, la souscription avait atteint le premier million, dont 300 000 francs de l'étranger, que les missions d'Orient recevaient et employaient à soulager les misères de toutes sortes, les veuves et les orphelins, les familles sans abri, les paysans ruinés. " (J. Mazé, o.c. p 10)


Abd el-Kader

Voici comment Lavigerie écrit de s'être exprimé à l'époque :

"Votre cœur, disais-je à mes Confrères (les membres du Clergé de France) aura été douloureusement ému des cris de détresse qui nous arrivent de l'Orient. Des milliers de Chrétiens, nos frères, impitoyablement massacrés par des hordes fanatiques; des femmes odieusement outragées; des prêtres, des religieux, des religieuses, mis à mort dans les supplices et abandonnés sans sépulture; partout le pillage, l'incendie, la violence, tel est le résumé des tristes nouvelles que chaque jour nous apporte de la Syrie. Depuis près de deux mois, des troupes fugitives de Maronites errent dans les montagnes, chassés de leurs demeures et partagés entre les tortures de la faim et la crainte du sabre qu'un chef de ces barbares a juré de ne remettre au fourreau que lorsqu'il aurait tranché la tête du dernier homme qui fait le signe de la croix! Des multitudes de blessés, des femmes, des enfants, échappés au meurtre et aux flammes, se réfugient dans les villes que cette troupe sanguinaire a respectées, et assiègent, pour éviter le déshonneur ou la mort, les maisons de nos Pères et de nos Sœurs" ("Mémoire sur la Mission remplie, en 1860..." Oeuvres Choisies. Paris 1884, p.142).


Abd el-Kader arrive au secours des chrétiens à Damas, en 1860
image d’Epinal - 1870

Et ce qu'il rapportait, comme nouvelles arrivant de la Syrie, il dit les avoir vu lui-même lors de son voyage en Syrie-Liban, et d'en avoir été profondément bouleversé :

"Figurez-vous une ville toute remplie de malheureux habitants de la campagne, sans pain, sans vêtements... Ces pauvres gens s'entassant pèle-mêle, au nombre de dix, quinze, vingt et jusqu'à trente, dans une misérable chambre, ou bien réduits à coucher en plein air, dans les rues et dans les jardins de mûriers; des visages portant l'empreinte des ravages de la faim et de la maladie, ceux des petits enfants surtout. J'en ai vu aux bras de leurs mères, ressemblant plutôt à des squelettes qu'à des êtres vivants. De pauvres mères sont mortes aussi auprès de leurs nourrissons; et on en a trouvé une, au cadavre de laquelle l'enfant était encore attaché, suçant la mort là où jusqu'alors il avait puisé la vie" (Lettre écrite de Beyrouth et citée par lui même. Ibidem, p.165).

Le fruit de tant de zèle ne se fit pas attendre :

" Trente évêques publièrent des mandements spécialement consacrés à ce sujet, et la grande majorité d'entre eux fournit une coopération effective, puisque les souscriptions faites dans leurs diocèses rapportèrent un total de 1 800 000 francs de l'époque. A cette somme s'ajoutèrent 800 000 francs de dons en nature, et 300 000 fournis par les diocèses de pays étrangers dans lesquels se trouvaient des comités de l'œuvre des Ecoles d'Orient. Quelques semaines après le premier appel, deux cent mille francs avaient été rassemblés et furent aussitôt envoyés aux destinataires, mais l'afflux des dons parvenus ensuite fut tel qu'il imposait l'organisation sur place de leur distribution. Aussi Lavigerie décida-t-il de se rendre au Liban. Il dut interrompre ses activités pendant quelques jours pour se rendre au chevet de son père mourant, qui expira à Saumur le 15 septembre. Puis, le 30, il s'embarquait à Marseille. " (F.Renault, o.c. p 56-57)


Abd el-Kader

4. Voyage en Syrie-Liban
Visites
Actions (distributions, coordination, principes de gestion)
Oeuvres (orphelinats)

Lavigerie avec le docteur Jaulery

(Parti de Marseille le 30 septembre 1860, arrivera à Jérusalem le 21-25 Novembre, passera par Beyrouth pour se rendre à Damas où il saluera Abd-el-Kader qui avait protéger des chrétiens, et se réembarque le 21 décembre pour Rome, rencontrer Pie IX, puis rentre en janvier en France.)

" Lavigerie débarqua à Beyrouth le 11 octobre en compagnie d'un adjoint, le docteur Jaulery, amis d'enfance Il était porteur de sommes considérables destinées à la fourniture de vêtements et de vivres pour les réfugiés, de matériel pour la reconstruction des maisons ruinées, et de semences pour la reprise des cultures sur les terres dévastées. " (F. Renault, o.c. p 59)

Arrivé sur place, Lavigerie ne se contenta pas d'écouter des témoignages et de lire des rapports. Il voulu voir de ses propres yeux et être en contacte directe avec les victimes du désastre :

" Homme de contact, il était venu pour rencontrer des gens de toute conditions sociale, voir la réalité de ses yeux. La première vision lui fut offerte avant même d'aborder la terre du Liban, lors d'une escale à Alexandrie où il visita les nombreux chrétiens ayant trouvé refuge chez les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. A Beyrouth, la nouvelle de son arrivée se répandit comme une traînée de poudre. On connaissait le but de sa mission, et il se vit aussitôt assailli par d'innombrables réfugiés, démunis de tout, au point de pouvoir à peine circuler dans la rue.

Il resta dans la ville une quinzaine de jours pour régler les principales affaires, puis entama une tournée à l'intérieur du pays, dans des villages victimes de dévastation. Ses lettres de l'époque et le rapport adressé l'année suivante aux membres de l'œuvre des Ecoles d'Orient décrivent logement les spectacles sinistres de ruines et de traînées de sang encore visibles, et les scènes d'horreur, de meurtres et de pillage, racontées par les survivants. "
(F. Renault, o.c. p 60)


Lavigerie en Syrie

" Il procéda à la mise en place des sous-comités chargés de répartir les secours : le typhus s'était déjà déclaré en plusieurs endroits, et des mesures d'urgence devaient être prises pour enrayer l'épidémie. Il circulait à cheval dans ces régions montagneuses, et une chute brutale sur un rocher, qui lui causa de vives douleurs, le contraignit à regagner Beyrouth. " (Ibidem)

" Le Gouvernement français avait également lancé une souscription qui rapporta un million de francs. Une coordination s'imposait entre les donateurs. Comme le consul à Beyrouth avait créé une commission chargée de répartir les fonds gouvernementaux, il proposa à Lavigerie d'en faire partie. Celui-ci hésita dans la crainte d'une confusion entre une œuvre privée qui se voulait purement humanitaire, sans but politique, et une action officielle des représentants de l'Etat.


A Beyrouth

Il accepta néanmoins pour une meilleure efficacité et, outre la commission centrale, six sous-comités furent établis dans les zones davantage affectées par les besoins à pourvoir. Ils étaient mixtes, composés d'agents consulaires et de religieux ou évêques orientaux, et recevaient les fonds de provenance soit publique, soit privée, pour apporter des secours d'urgence. Lavigerie réserva une partie de ceux dont il disposait, pour assurer des fondations durables et en premier lieu des orphelins. " (F. Renault, o.c. p 59-60).

Avant de quitter Beyrouth, " il s'occupa tout spécialement de la fondation de deux orphelinats, l'un pour les garçons et l'autre pour les filles, capables de recevoir six cents enfants, tandis que d'autres étaient placés dans des collèges ou des familles " (F. Renault, o.c. p 62).

Selon le bulletin de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient de juillet 1861, le nombre d'orphelins dépassait déjà les 1 500 et pour leur venir en aide il fallait 300 mille francs par année. En effet, pour des motifs que nous citons plus loin, Lavigerie ne voulait pas que les orphelins quittent leur pays.


Djelabah blanche qu'avait revêtue Lavigerie. Propriété de Mme Veuve Jaulerey.
Elle avait été donnée au Docteur Jaulerey pour le remercier de l'assistance qu'il avait portée à Lavigerie lors de l'accident survenu au Liban. Quand l'abbé Lavigerie était tombé de cheval, il portait cette djelabah

5. Jugement sur son action
Politisation de l'aide par Le Manifeste
Réaction de Rome (le Pape, les Eglises locales et la Congrégation de la Propagande)

Une action de grande ampleur, animée de nobles sentiments et organisée avec précision à partir de principes clairs et prudents fut souillée par une présentation tendancieuse de la part du journal Le Moniteur. Dans la distribution des subsides en faveur des victimes, le journal ne mentionnait pas les fonds apportés par l'Oeuvre des Ecoles d'Orient, laissant entendre que l'ensemble des subsides venait du Gouvernement. De ce fait, Lavigerie fut accusé auprès du pape de compromission et de manque de clarté dans la gestion des biens confiés par les chrétiens.


Chèche que le directeur de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient portait quand il se présenta devant le patriarche de Jérusalem.

Rentré à Rome, Lavigerie voulut justifier sa gestion auprès de Pie IX. Celui-ci, mal informé, après lui avoir imposé une attente de plusieurs heures, le reçu bien froidement et seulement pour l'espace de deux minutes. Il lui refusa d'ailleurs les faveurs spirituelles qu'il demandait.

Pape Pie IX

" Cette réception pire que prévue l'affecta profondément alors qu'il venait d'accomplir une mission bénéfique dans des circonstances difficiles. Il rentra en France mais, à Rome, une évolution se produisit en sa faveur. Le cardinal Barnabò, préfet de la congrégation 'De Propaganda Fide', dont dépendaient les diocèses orientaux, recevait des informations plus précises et plus fiables de la part de témoins directs qui exprimaient, sur l'attitude de Lavigerie, une opinion toute différente de celle formulée à Paris par le nonce Sacconi. Il en parla au pape qui modifia son jugement et accorda, en février 1861, les faveurs spirituelles refusées le mois précédant. " (F. Renault, o.c. p 63).

6. Désengagement progressif de Lavigerie

Grâce à l'intervention du cardinal Préfet de la Propagande et du Général des Jésuites, la proposition de Lavigerie comme auditeur de la Rote fut acceptée par la pape. Lavigerie devra partir pour Rome mais il n'abandonnera pas pour autant la direction de l'Oeuvre quoiqu'il charge l'abbé Soubiranne de son administration. Le bulletin de l'Oeuvre de novembre 1861 s'ouvre avec une lettre du 25 octobre 1861où il écrit :

" J'avais espéré pouvoir désormais consacrer sans partage, à notre Œuvre, à nos pauvres orphelins de Syrie, mon temps et mes forces. Je me préparait à continuer, dans la France entière, la prédication de cette croisade de charité, dont j'avais déjà fait entendre l'appel dans plusieurs de nos diocèses… La Providence en a disposé autrement… L'éloignement ne me fait pas néanmoins abandonner notre Œuvre. J'en conserve toujours la direction générale, et je lui consacrerai, de loin, comme de près, lorsque je viendrai en France, tous mes loisirs. Seulement, comme il me sera impossible de m'occuper des détails de la correspondance et de la propagande, j'ai demandé su conseil d'administration, qui a bien voulu accueillir ma proposition, de m'associer dans la direction générale M. l'abbé Soubiranne " (Œuvre des Ecoles d'Orient, novembre 1861)

A partir de cette date, l'abbé Soubiranne signera comme Directeur de l'Oeuvre et c'est à lui qui sera envoyée toute la correspondance adressée au Directeur, comme Lavigerie lui-même d'ailleurs précisait dans sa lettre :

" C'est donc désormais l'adresse suivante que devront porter les lettres destinées à l'œuvre : Monsieur l'abbé Soubiranne, Directeur de l'œuvre des Ecoles d'Orient "

A Rome, cependant Lavigerie n'abandonna pas son activité en faveur de l'Oeuvre. Il créa même un second conseil et continua à prêcher sa cause. Dans la rubrique " Chronique du bulletin de février 1862, on lit :

" Avant d'aller à Rome remplir les hautes fonctions auxquelles il a été appelé, Mgr Lavigerie s'était promis de consacrer encore à l'Oeuvre des Ecoles d'Orient son temps et ses travaux. Cette promesse ne devait pas tarder de se réaliser. Nous sommes heureux d'annoncer à nos collaborateurs que Mgr Lavigerie vient d'établir à Rome l'œuvre des Ecoles d'Orient sous l'autorisation bienveillante et avec la bénédiction particulière du Souverain Pontife. - Nos lecteurs reconnaîtront ici le zèle de Mgr Lavigerie, qui a tant fait pour l'œuvre des Ecoles d'Orient, et qui poursuit sa mission avec une infatigable persévérance… "

En plus, toujours marqué par les contacts qu'il avait eu avec les Eglises d'Orient, il interviendra en faveur de la création d'une section spéciale pour les affaires orientales au sein de la Propagation de la foi dont lui même fut nommé consulteur.

Ce n'est que la charge d'un siège épiscopal, d'abord Nancy, puis Alger qui l'obligera à laisser sa charge mais non pas à couper les liens solides avec l'œuvre qu'il gardera toujours.

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* * *

II. Marque de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient sur Lavigerie

Si par le dynamisme de sa jeunesse, par la générosité de son cœur et par le génie de son esprit, Lavigerie marqua l'Oeuvre des Ecoles d'Orient, celle-ci à son tours le marqua aussi, et bien profondément. Ces marques sont nombreuses : les quelques années passées à la direction de l'Oeuvre ont fait connaître Lavigerie et ses qualités à l'opinion publique tant dans les milieux d'Eglise et dans celui de l'Etat ; elles ont été l'occasion pour lui-même de découvrir et d'exercer plusieurs de ses qualités innées ; elles lui ont permit de rentrer en contact avec les Eglises d'Orient et d'en apprécier leurs richesses et leurs problèmes et finalement, et non certainement pas la moindre influence, d'entrevoir sa future vocation missionnaire et de discerner plusieurs de ses principes fondamentaux.

Son activité dans l'Oeuvre, surtout son voyage au Liban, fit sortir Lavigerie de l'univers des livres dans lequel il ne se sentait pas trop à son aise et le mit en contact avec la vie réelle le plongeant en plein dans la souffrance humaine et donnant des nouvelles dimensions à son cœur d'apôtre. La rencontre avec l'Islam dans quelques-uns de ses aspects positifs (sa rencontre avec Abd El Kader) mais surtout dans ses aspects négatifs, vues les circonstances, laisseront chez lui une trace profonde qui se réveillera avec force le moment venu. Ses relations avec les Eglises d'Orient lui feront découvrir la richesse de celles-ci et l'aideront à le convaincre, si besoin en était, de la valeur des principes apostoliques de respect des cultures et d'ouverture d'esprit. La gestion d'une grave situation d'émergence le fera, en plus, expérimenter la force des relations directes, l'importance de la presse et le besoin d'une organisation précise mais aussi la nécessité de découvrir et de s'attaquer aux vraies racines des problèmes si on veut leur trouver des solutions solides et durables.

Lavigerie sera appelé à des plus larges horizons mais c'est à l'Oeuvre des Ecoles d'Orient qu'il fit son noviciat. Le père Mazé le dit sans ambages :

" Qu'on supprime, de sa vie, les dix semaines du Liban, il faut presque renoncer à la comprendre. On a dit que sa jeûneuse cléricale, son professorat à la Sorbonne, son stage romain, son épiscopat de Nancy ont été une préparation continue à son grand rôle africain. Eh ! sans doute, mais bien de le conduire en Afrique, tout cela semblait, au contraire, devoir l'en détourner. S'il comprit que Dieu le voulait à Alger, et s'il obéit, c'est qu'en Syrie, et non pas à Paris, ni à Rome, ni à Nancy, il avait reçu du ciel la flamme de l'apostolat missionnaire. A la lueur de cette flamme, il entrevit la " grande perspective " qui l'attira en Afrique… " (J. Mazé, o.c. p 14-15)

1. Le contact avec le réel humain
L'Oeuvre des Ecole d'Orient lui élargi le cœur
Favorisa l'éclosion de ses dons d'organisateur

" Sans descendre encore de cette chaire (enseignement à la Sorbonne) il allait s'initier, dans l'Oeuvre des Ecoles d'Orient, à une vie de charité et d'apostolat qui lui fit trouver bientôt ce qu'il appela son chemin de Damas. " (J. Mazé, o.c. p 7)

" Pendant trois ans, il parcourut plus de vingt diocèses, prêchant dans les villes importantes, utilisant la presse, fondant partout des comités. Il apprenait comment on lance une grande œuvre et comment on l'organise. Il fit alors aussi l'apprentissage d'un métier qui sera un jour l'une des bases de son action africaine, un métier ingrat, mortifiant, le plus dur, le dernier des métiers : la quête, non pas tant celle qu'on fait dans une église après avoir, à loisir, conquis son auditoire, mais la quête à domicile, celle où il faut savoir s'expliquer avec calme quand on est pris pour un escroc, et sourire à ceux qui enveloppent leur aumône dans de mauvais compliments … " (J. Mazé, o.c. p 8)

2. Son attachement aux Eglises d'Orient

Sainte Anne de JérusalemSa rencontre vivante avec les Eglises d'Orient lors de son époque comme Directeur de l'Oeuvre l'attacha à celles-ci de manière définitive. Cette fidélité se maintiendra chez lui jusqu'à la fin de sa vie. Non seulement il les aidera économiquement, qu'il soutiendra aussi leur cause à Rome. L'occasion venue, il poussera son à peine née Société des Missionnaires d'Afrique, pourtant destinée exclusivement à ce continent, a accepter la garde du Sanctuaire de Sainte Anne à Jérusalem et y à établir une œuvre en faveur de l'Eglise d'Orient.

Lui même, se présenta disponible au Pape pour succéder à Mgr Valerga sur le siège du patriarcat latin de Jérusalem. Il avait identifié dès le début les freins et les obstacles d'une mauvaise approche de la question orientale : il voulait aider à y porter remède.

" Dans ses entreprises africaines, écrit le P. de Montclos, Lavigerie ne cessait de songer à l 'Orient. Sans doute désirait-il revenir aux sources de sa vocation missionnaire, mais il y avait bien davantage que cette aspiration intime. Comme directeur de l'œuvre des Ecoles d'Orient, puis consulteur de la Commission de la Propagande pour les Affaires orientales et membre en 1870 de la commission conciliaire des Rites orientaux et des Missions, il savait parfaitement que l'action des missionnaires latins du Proche-Orient ne servait généralement pas la cause de la réunion des Eglises…

Dès l'origine Lavigerie fut persuadé que seuls la plus grande estime pour le génie des peuples orientaux et le plus grand respect pour leurs traditions théologiques, canoniques et liturgiques, pouvaient préparer la réunion des Eglises " (Le cardinal Lavigerie, Foi Vivante, p, 38. 40)

3. Sa vocation missionnaire
Ouverture face à l'Islam et au contient Africain
Découverte de quelques principes fondamentaux :

- la fidélité au milieu,
- le respect des cultures,
- l'efficacité naturel du bienfait
- l'autosuffisance économique
- le respect des fonds confiés

Devant les évêques de France qui s'étonnaient de son acceptation rapide du siège d'Alger, alors que des meilleures perspectives l'attendaient dans la métropole, Lavigerie fait connaître les raisons qui l'ont poussé au choix. C'est sa perspective missionnaire qui est à la base, face à l'Islam et, au delà lui, face au continent Africain dans sa totalité. Dans l'explication qu'il donne à son confrère et ami Mgr Maret, l'influence de son expérience à la direction de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient est vivante et clairement évoquée. Il écrit :

" Puisque vous partagez l'étonnement de nos amis sur ma résolution de quitter Nancy pour accepter Alger, permettez-moi, Monseigneur, avant que vous ne me jugiez d'une manière définitive, de vous expliquer en deux mots, les raisons d'une décision humainement, paraît-il, si inexplicable.

…Depuis que, comme Directeur de l'Oeuvre des Ecole d'Orient, j'ai étudié de près, en Egypte et en Syrie, ce qu'il est possible de faire, au milieu des populations musulmanes, je ne puis comprendre comment, depuis plus de trente ans, nous donnons, en Afrique un si triste spectacle d'aveuglement et d'impuissance ; ou plutôt je ne le comprends que par l'absence calculée de toute pensée chrétienne dans l'administration de l'Algérie…Je pense qu'il est nécessaire de réagir enfin par une parole virile et par l'exemple, contre des préjugés aussi néfastes. C'est à un évêque de le tenter. Or, je m'en sens le courage, avec la grâce de Dieu…Je pense que deux moyens d'assimilation, très praticables et très efficaces, sont possibles dès maintenant : les œuvres de charité pour tous, et les écoles françaises pour les enfants.

Voilà la première partie de la tâche d'un archevêque d'Alger, telle que je la vois. Mais ce n'est pas tout. L'Algérie n'est qu'une porte ouverte par la Providence sur un continent barbare de deux cent millions d'âmes. C'est là, surtout, qu'il faut porter l'œuvre de l'apostolat catholique. On n'a à y craindre ni la politique des bureaux arabes, ni l'opposition violente de la libre pensée. Tout dépend de la grâce de Dieu et du zèle des missionnaires. "

" Cher Monseigneur, il est bien probable, qu'il ferait plus doux vivre à Lyon, mais il sera certainement moins dur de mourir à Alger, même, et surtout, s'il y a, comme on me l'assure, beaucoup à souffrir. " ( J. Mazé, o.c. p 35-39)

Le père Xavier de Montclos a raison de dire à propos de son voyage au Liban que :

" Dans le don de soi le plus généreux et dans l'amicale reconnaissance de ceux qu'il avait secourus, il avait éprouvé, et pour ne pas l'oublier, la joie de la vie missionnaire. " (Le cardinal Lavigerie, Foi Vivante, p 17)

Avec sa vocation, il a découvert aussi et appliqué quelques principes important :

Le principe de la fidélité au milieu auquel il tiendra toujours. Il l'avait formulé à propos des orphelins du Liban.

" Sa pensée s'exprima nettement sur la méthode à suivre. De nombreuses familles en France s'étaient proposées pour accueillir chez elles les plus jeunes : il s'y refusa. Ce serait, expliqua-t-il affaiblir la population du Liban et déraciner les enfants de leur cadre originel de vie sans aucun profit réel pour eux-mêmes. On ne pourrait prévoir leur expatriation qu'en un seul cas : un nouveau danger de massacre. Sauf une telle situation d'urgence, les familles françaises se voyaient invitées à adopter des orphelins et pourvoir aux frais de leur éducation, mais de loin, en acceptant qu'ils restent dans leur propre pays et deviennent membres à part entière de leur propre peuple. Lavigerie exprimait pour la première fois cette pensée, que nous retrouverons, du respect des différences culturelles. " (F. Renault, o.c. p 64)

Le principe du respect des cultures et donc de l'inculturation pour l'apôtre :

" Ses fonctions à l'œuvre des Ecoles d'Orient et surtout son voyage au Liban lui firent découvrir d'autres traditions. Il se convainquit alors de la nécessité de maintenir pleinement les rites orientaux, contrairement à la pratique de latinisation de ceux qui confondaient l'uniformité de la liturgie avec l'unité catholique. A Rome, ses efforts tendirent dans la mesure du possible à faire passer cette doctrine… " (F. Renault, o.c. p 78)

Plus tard, alors que la théorie de l'assimilation des autres était en vogue, lui, il parle de l'assimilation de l'apôtre, du principe du tout à tous ; aussi il écrira à ses missionnaires :

" Il y a deux manières de faire les hommes à notre ressemblance. La première est de les rendre semblables à nous par le dehors. C'est la manière humaine, celle des civilisateurs philanthropes, de ceux qui disent, comme on l'a répété à la Conférence de Bruxelles, que pour changer les Africains, il suffit de leur enseigner les arts et les métiers de l'Europe. C'est croire que, lorsqu'ils seront logés, vêtus, nourris comme nous, ils auront changé de nature. Ils n'auront changé que d'habit...
La manière divine est tout autre. C'est saint Paul qui l'a définie en disant : 'Se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ'. L'apôtre, en effet, s'adresse à l'âme, c'est l'âme qu'il change, sachant que tout le reste viendra par surcroît, et que pour gagner l'âme il se condamne lui-même, s'il le faut, à abandonner toutes les habitudes extérieures de la vie. Il se fait barbare avec les Barbares, comme il est grec avec les Grecs. C'est là ce qu'on fait les Apôtres, et nous ne voyons pas qu'aucun d'eux ait cherché à changer d'abord les habitudes matérielles des peuples... "
(Instr. p, 104-105)

Le principe de l'efficacité apostolique du bienfait en lui-même. Lavigerie dit avoir expérimenté à l'occasion de son action au Liban. Il le choisi donc comme principe universel d'apostolat :

" Je pense que deux moyens, très praticables et très efficaces, sont possibles dès maintenant : les œuvres de charité pour tous, et les écoles françaises pour les enfants " (cité plus haut)

" Durant tout le temps nécessaire, on s'en tiendra là (gagner les cœurs infidèles par les oeuvres de charité avant de s'occuper de conversion). L'expérience a montré que si l'on baptisait tel ou tel individu en particulier, il se trouverait dans un milieu tel que sa persévérance serait impossible et que tôt ou tard il reviendrait à son ancienne vie. " (Lettre au P. Deguerry, avril 1873. Instr. p, 29).

" Ce n'est pas le moment de convertir, c'est le moment de gagner le cœur et la confiance des Kabyles par la charité et la bonté. Vous ne devez pas viser à autre chose. Tout ce que vous ferez en dehors perdra l'œuvre. " (Ibid. p. 31).

" Gardez-vous bien de faire du prosélytisme. Contentez-vous de gagner leur cœur par les bienfaits et la charité et laissez faire le temps. Avec la grâce de Dieu tout s'arrangera peu à peu et les fruits seront d'autant meilleurs qu'on les aura laissés mûrir. " (Instr. p. 32).

Nous avons trouvé déjà son principe d'autonomie économique en vue de chercher des solutions stables et solides aux problèmes. Il l'avait découvert dans l'organisation de son action au Liban comme Directeur de l'Oeuvre des Ecoles d'Orient.

" Plutôt que d'opérer un saupoudrage de subventions en leur assurant les seuls besoins du moment, il est préférable d'en concentrer une partie pour les doter progressivement de fonds de réserve qui leur permettent d'acquérir l'indépendance financière. Assurer, dans l'avenir, la solidité d'une œuvre entreprise : telle était la préoccupation de Lavigerie et elle restera toujours chez lui un impératif " (cf. F. Renault, cité plus haut).

Il adoptera ce principe pour toutes ses œuvres, et spécialement pour les missions en Afrique :

" Ce à quoi il faut arriver le plus rapidement possible, c'est à se suffire dans les stations, dès qu'elles seront installées. On prendra donc des précautions sérieuses pour arriver à trouver sur place les vivres indispensables; sans cela on serait exposé à la famine pour le cas, qui malheureusement n'est pas improbable, où les relations avec l'Europe seraient interrompues, et pour celui plus probable où l'Oeuvre de la Propagation de la Foi viendrait à manquer par suite des perturbations européennes. " (Instr. P 93)

Le respect de l'argent confié par les fidèles par une gestion responsable

Lavigerie connaissait la valeur de l'argent. Ses premières quêtes, il les avait faites au nom de l'Oeuvre des Écoles d'Orient. Il savait que c'était surtout les fidèles, et souvent c'étaient les plus pauvres qui s'étaient montré les plus généreux. L'argent recueilli était pour lui sacré. Sa gestion devait se faire avec grand rigueur et honnêteté. Voilà un autre principe auquel il restera toujours fidèle et pour lui et pour ses missionnaires.
Dans cet esprit, il dira demandera la pauvreté aux missionnaires. selon Lavigerie, ils " doivent pratiquer cette vertu toute apostolique plus strictement que des religieux. "

" L'argent inutilement dépensé est autant d'enlevé aux oeuvres de la Mission, et par conséquent au rachat des âmes. " (Règles de 1872, p. 17)

" Les missionnaires se souviendront qu'ils vivent d'aumônes, et que le pain qu'ils mangent leur est donné par de pauvres catholiques qui prennent pour cela sur leur nécessaire. " (Règles de 1872, p. 15)

Texte de Jesús Salas M.Afr.

Crédit Photos Nos archives et notre bibliothèque

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