Voix d'Afrique N°103.


Dialogue
au bord de la piscine


Même à la piscine, on peut témoigner !


Passer des préjugés, peurs, méfiances, … à l’acceptation mutuelle, la réconciliation, l’amour, etc.Toute rencontre avec mon frère, ma sœur est une occasion de grandir dans mon humanité, un appel à dépasser les apparences et les préjugés pour apprécier et admirer la grandeur, la mi-séricorde, la bonté ... de Dieu à travers l’autre, mon semblable.

C’était le 19 février 2012, dans un complexe sportif, proche de notre communauté des Missionnaires d’Afrique, à Johannesburg, en Afrique du Sud.

Il est 15h15, je descends à la piscine pour nager et faire des exercices du dos recommandés par le médecin. J’y trouve deux familles. Je salue le groupe et commence ma natation. Benje, un des deux hommes, me rejoint et me demande de plonger avec lui. Nous engageons la conversation. « Je suis Benje, dit-il, artiste, enseignant et j’aime la philosophie. Je suis père de deux enfants et ma femme m’appelle « love, love, love » (Amour, amour, amour).

Je suis Norbert, prêtre Missionnaire d’Afrique. Je ne suis pas marié. « Oh ! Tu es pasteur » me demande Benje. - « Oui »
- « Dans quelle église? » - « Catholique ». Nous nous serrons la main puis, il rejoint son ami.
Peu après, ils m’invitent à les rejoindre. « Nous sommes tous frères, viens, ne reste pas seul. L’Afrique du Sud est une nation arc-en-ciel, ‘multicolore’ ». Sans hésiter, je les rejoins avec plaisir. Je reçois une mesure de whisky et l’échange à trois commence.

« Qui est missionnaire du point de vue chrétien ? » demande Benje. Son ami répond : « Mugabe est mercenaire, Ntutu est missionnaire ». Nous rions de la réponse, puis Benje poursuit : « Oui, mais la question est toujours posée. »

J’explique que, pour les chrétiens, nous sommes tous missionnaires, nous sommes tous appelés à vivre dans l’amour, la solidarité les uns envers les autres. Vouloir faire équipe avec tout le monde et permettre à chacun de s’épanouir et s’accomplir dans la société humaine, voilà notre mission. Voilà notre vocation humaine, voilà ce qui fait de chacun de nous des missionnaires. C’est comme votre invitation à me joindre à vous.


Être présent au milieu des gens !

Je poursuis : il y a diverses façons de vivre cet appel missionnaire. Il y a des missionnaires qui sont en dehors de leurs pays, ce qui est mon cas, et ceux qui sont dans leur propre pays, leur propre famille ; c’est votre cas. Certains sont mariés, d’autres, célibataires, consacré ou non, en famille ou non, mais tous sont là pour témoigner de l’amour de Dieu pour toutes les nations avec pour famille, toute personne qui lui ouvre la porte de sa maison et celle de son cœur.

« Bien dit, je suis donc missionnaire envers ma femme et mes enfants ». « Bien sûr, Benje » .
Puis, Benje nous entraîne dans une discussion politique : que dire de « Julius Malema » président de la jeunesse Sud Africaine, avec ses idéologies et ses méthodes pour emballer les jeunes ? Des trois présidents : Mandela, Thabo Mbeki et Jacob Zuma. Notre Afrique n’a absolument pas besoin des gens qui incitent à la violence, aux idéologies raciales, ethniques, mais des gens qui éduquent et qui donnent les moyens pour que la population se prenne en charge et ne dépende pas toujours de la manne venue d’ailleurs.

Petite pause : on fait passer des morceaux de poulet bien grillés et pimentés, puis nous faisons une compétition sous-marine. Ensuite, le débat reprend. Ne voulant pas trop m’aventurer dans la politique sud africaine, j’évoque la politique congolaise (RDC) qui est, pour moi, juste une bonne salade dans laquelle les Congolais se complaisent, sans se rendre compte qu’on les endort au lieu de les entraîner au boulot pour développer et bâtir leur pays. La classe politique (gouvernementale ou d’opposition) les roule dans la farine. Et de même une partie de l’Église Catholique qui, au lieu d’interpeller les consciences congolaises, les berce dans le sommeil. On passe ensuite à la politique sud africaine, et là je me mets à leur écoute.

Fatigué d’un échange sur la politique qui divise mes deux amis, je conclus : « Frères, ne perdons jamais notre valeur fondamentale de l’hospitalité africaine. Ne nous enfermons pas dans les tribalismes, les ségrégations nationales ou tribales. Sachons voir en chacun, non d’abord un rival, qu’il soit Zoulou ou Afrikaner, mais quelqu’un qui a la même dignité humaine que moi et avec qui je suis appelé à vivre, collaborer et joindre mes forces pour bâtir un monde de paix, de liberté, de justice, pour que chacun puisse trouver sa place pour vivre, être respecté et accepté. »

Quelques minutes après, les femmes appellent leurs maris pour le départ. Il est 17h passé.
L’ami de Benje vient le premier me dire au revoir : « Je regrette que tu sois prêtre, tu ferais mieux de marier une fille de ma famille. Penses-y ». Alors que son ami me propose d’épouser une fille de sa famille (sa petite sœur peut-être), Benje, de son côté, me raconte cette histoire en guise d’au-revoir :
« Un docteur était à son service à l’hôpital quand on l’appelle au téléphone pour lui annoncer la mort de son unique fils dans un accident de voiture. Le docteur quitte l’hôpital et se précipite à la morgue pour voir le corps de son fils. Le jour des funérailles, au cimetière, avant même que le corps de son fils ne soit descendu dans la tombe, le docteur est appelé d’urgence à l’hôpital. Laissant les funérailles de son fils, il s’en va précipitamment à l’hôpital. Un homme vient à sa rencontre et l’insulte : « Quel genre de docteur es-tu ? Mon enfant est dans un état grave après son accident de voiture, et toi tu n’es mê-me pas à ton poste. » Et l’homme continue à lancer insulte sur insulte contre le docteur. Celui-ci ne répond pas et vite il se rend dans la salle d’opération. Il réussit à sauver la vie de l’enfant. A sa sortie, l’homme est encore là avec ses insultes : « Lâche docteur, alors comment est mon enfant ? Va t-il survivre ? S’il meurt, tu auras un compte à rendre avec moi. » Le docteur lui répond : « Merci pour toutes tes insultes. Quant à savoir si ton enfant est vivant ou mort, Dieu te répondra à ma place. »

Peu après, arrive une infirmière qui sort de la salle d’opération. L’homme lui demande des nouvelles de son fils en insultant encore le docteur. L’infirmière regarde l’homme et lui dit : « Papa, ton enfant a eu un accident de voiture, il a été amené ici à l’hôpital dans un état critique. Le docteur vient de sauver sa vie. Ton enfant est vivant et il n’y a plus de danger de mort pour lui. Le docteur que tu insultes, son enfant a eu, lui aussi, un accident de voiture et il est mort sur le coup. Aujourd’hui, c’était les funérailles de son enfant. Quand nous l’avons appelé d’urgence pour ton enfant, il était au cimetière enterrant son fils unique. Il ne l’a même pas enterré, le corps n’était pas encore descendu dans la tombe. Et il est venu précipitamment sauver la vie de ton fils qui n’est pas ton seul fils. Papa, dis-moi, entre toi et le docteur, qui est dans la plus grande douleur ? Qui est lâche ? Qui est le plus humain ? Toi, dont l’enfant est, malgré son accident, toujours vivant et que tu pourras encore voir, porter, toucher ? Ou le docteur dont l’enfant est mort dans l’accident de voiture et qui a laissé son enfant au cimetière sans l’enterrer ? » Entendant cela, le papa est bouleversé et profondément ému. Il demande à rencontrer le docteur pour lui demander pardon. Mais trop tard, le docteur était déjà parti pour au moins recevoir les gens qui venaient lui adresser les condoléances à la maison ».

Benje conclut : « Il ne faut jamais juger des personnes sans savoir ce qu’elles souffrent en elles. Elles peuvent être dans une situation pire que toi. Il faut savoir traiter l’autre avec considération. Nous sommes d’abord des êtres humains, appelés à être des missionnaires les uns pour les autres. » Il me dit encore : « Merci pour ton appel à voir dans chacun et chacune son semblable avec qui on est invité à collaborer et à travailler ensemble pour un monde plus juste, solidaire, un monde dans lequel tous et toutes trouvent la joie de vivre et trouve le respect de sa dignité humaine. J’ai bien aimé ton attitude, tu regardes, tu écoutes, tu discernes puis tu interpelles. Je désire assister à ta prédication. Invite-moi dans ton église. Je témoignerai qu’enfin j’ai rencontré dans ma vie, un prêtre, un pasteur qui prend du temps pour écouter et qui, simple, marche avec les profanes que nous sommes, partage notre amitié et nous entraîne à sa manière à nous ouvrir à la vocation humaine et au monde. Invite-moi pour un témoignage dans ton église et surtout pour t’écouter prêcher. »

Il conclut : « Tu connais Abraham. Dieu lui a fait la promesse d’avoir beaucoup d’enfants. Qu’il t’accorde aussi beaucoup d’enfants dans ce monde. Prends bien soin de toi et que Dieu te guérisse ». n

P. MWISHABONGO
MUKWANGA Norbert
M. Afr.


.............. Suite