Voix d'Afrique N°65...........

Le Pardon, une Grâce


En Mai 2003, la violence fait rage à l'Est du Congo, dans la région de l'Ituri. Le père et la mère d'Emmanuel NGONA, ainsi que 11 autres membres de sa famille, sont massacrés.
Emmanuel est Missionnaire d'Afrique au Niger.
Il rentre chez lui, et le 16 février 2004, il préside l'Eucharistie offerte avec les Missionnaires d'Afrique et les Sœurs Missionnaires de Notre Dame d'Afrique du Congo.
Il partage sa prière dans l'homélie que nous reproduisons.

Le 20 Mai 2003, j'ouvris mon courrier électronique et découvris cette nouvelle terrible : 13 membres de ma famille, mes chers papa, maman, sœurs, neveux et nièces ont été amenés vers une destination inconnue, par les "combattants " … Pour moi, le monde s'est arrêté de tourner. Je commençais à pleurer. Ce chiffre venait alourdir le bilan déjà lourd des morts de ma famille proche, plus d'une vingtaine.. Des questions sans réponse traversèrent ma tête : "Pourquoi, Seigneur, toujours les innocents ? Dieu, où es-tu pour protéger les faibles ? Dieu, pourquoi dors-tu quand on a besoin de toi ? Faut-il encore avoir confiance en l'homme ? "

Cette dernière interrogation me renvoyait à moi-même : faut-il avoir confiance en l'homme que je suis moi-même ? Pas de réponse à ces interrogations tant que mon cœur saignait. Le silence du ciel devint le drame et le silence de mon cœur …

Ma prière en ce moment précis fut de demander à Dieu de me préserver de la haine et de la soif de vengeance, et surtout de me donner la grâce nécessaire pour pardonner comme le Jésus de la Croix : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font."

J'ai réalisé d'une manière vitale que le pardon n'est pas un acte humain, mais qu'il est divin. C'est Dieu seul qui peut donner la force de pardonner l'impardonnable. Ensuite, la parole de Job m'est revenue à l'esprit : "Dieu a donné, Dieu a repris… Que sont Saint Nom soit béni ! Si nous acceptons le bonheur que Dieu nous donne, pourquoi n'accepterions-nous pas le malheur ?"

Mon Papa était pasteur dans une église protestante. C'est lui qui avait semé dans mon cœur les paroles du livre de Job. En juillet 2002, un an avant leur disparition, j'étais allé visiter mes parents dans une petite maison de trois pièces. Ils venaient de perdre des membres de notre famille, des oncles entre autres, massacrés. Ils avaient perdu trois fois leurs biens (maisons, meubles, possessions). Maman était traumatisée par ce qu'elle avait vécu. Pendant plus de trois heures, un soldat l'avait menacée de mort avec son fusil. Une trentaine de personnes étaient là et je me rappelle que j'avais essayé de trouver un petit espace pour m'asseoir. Papa avait l'air insouciant, car il acceptait tout avec foi. Face à mes questions sur tout ce qu'on avait perdu (y compris ma maison que j'avais bâtie du temps où j'étais enseignant), il me dit, à partir du livre de Job : "Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Que son Nom soit béni ! "

Plus tard, après le massacre de mes parents, j'ai fait ma retraite à partir du livre de Job, et ces paroles sont à jamais gravées dans mon esprit et mon cœur. Elles sont une lumière pour le reste de ma vie. Oui, chacun doit mourir. La mort est un habit que tout le monde doit porter. Mais quand ? Comment ? Quel type de mort pour chacun ? Personne ne le sait…

Mais aucun accident mortel ne peut empêcher Dieu de donner tout ce qu'il a voulu donner à chacun. Il a fait à certains la grâce de mourir vite et d'arriver à la perfection devant Dieu. La Sagesse ne se mesure pas au nombre des années, aux cheveux blancs, mais à "une vie sans tâche, une vie qui cherche à plaire à Dieu en suivant ses commandements."

Certes je souffre, car depuis 44 ans, des liens d'amour, des liens de sang, des liens de fraternité s'étaient établis avec les membres de ma famille. Mais je crois qu'un amour plus fort encore les unissait à Dieu. Cet amour leur ouvre le chemin de la vie éternelle.

Ainsi j'ai réalisé que ma famille ne m'appartenait pas, elle appartenait d'abord à Dieu. " Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Vivants ou morts, nous appartenons au Seigneur."

Oui, mes chers amis, pour tout croyant, aucun événement n'arrive au hasard. Chaque événement aussi dramatique soit-il, contient un message divin qui nous appelle toujours à une croissance humaine et spirituelle. C'est pourquoi, à nous qui sommes rassemblés ici, Jésus nous dit : "Ne soyez pas troublés dans votre cœur…"

Sur terre, nous rencontrons des événements malheureux, massacres, injustices, cataclysmes, qui nous perturbent. Croyez en Dieu qui donne la force nécessaire à ceux qui comptent sur lui. Il est le maître de la vie et de la mort. " Si Dieu est pour nous, qui serait contre nous ? " La catastrophe du massacre d'une famille ? La force du mal ? Le présent ou le futur ? En tout cela nous restons les vainqueurs grâce à celui qui nous aime et qui a vaincu la mort.

A travers cette épreuve, plusieurs éléments m'ont aidé à tenir le coup et à recevoir la force intérieure :
- cette confiance absolue en Dieu qu'avait mon Papa : "Mon Rédempteur est vivant ! " Il écrit tout droit sur des lignes courbes.
- l'amitié des confrères, de l'Eglise et des musulmans du Niger,
- la prière pour intérioriser ce drame qui bouleverse mon histoire personnelle et la retraite spirituelle que j'ai faite avec le Livre de Job.

Mon désir le plus ardent est que le sang de tous les martyrs, versé depuis plusieurs années au Congo, et plus spécialement dans ma région de l'Ituri, soit une semence de PAIX et de PARDON. Honorer leur mémoire, c'est prendre le chemin de la paix et du pardon afin de bannir de notre vie la haine et le tribalisme.

Emmanuel Ngona, M. Afr.
Mission Catholique de Zinder, Niger