Voix d'Afrique N°84

SOUVENIR

C’ÉTAIT... IL Y A QUARANTE ANS

Dans l’après-midi du 5 mai 1969, Godefroid Ngongo et Jean-Marie Glenisson, de la paroisse de Bumpeta sur l’île Idjwi, étaient descendus à la paroisse de Kashofu pour y rejoindre le Père Robert Surun, et partir avec lui en hors-bord pour aller à Bukavu, distant d’une quarantaine de kilomètres par le lac. Ils voulaient se rendre à la journée pastorale et à la récollection qui devaient avoir lieu le lendemain, mardi.

Ile Idjwi vue par google

Vers 17 h 30, les Pères s’embarquent, accompagnés de Rémy Kalegamire, directeur des écoles. Le lac était calme et tout laissait présager une traversée sans histoire. Tant qu’ils voguèrent entre les petits îlots, du côté congolais, tout alla bien. Mais arrivés dans le grand lac, en passant devant la paroisse de Birava, une tempête les surprit. Un vent violent se leva venant du Rwanda, très proche, et le lac devint « moutonneux », tandis que la nuit tombait à 18 h 30. Ils se rendirent compte que la situation devenait critique. Le moteur se mit à tourner irrégulièrement et les câbles de la direction se bloquèrent. Le hors-bord s’enfonçait sous les vagues. Il y avait, à bord, deux vestes de sauvetage pour 4 personnes. Robert donna la sienne à Rémy en lui disant : « Tu as 17 enfants ; que Dieu te garde ! » Et Jean-Marie fit de même avec Godefroid Ngongo.

Une vague plus forte engloutit finalement la frêle embarcation. Tout le monde se retrouva dans l’eau, criant des informations sur la direction à prendre, Rémy les conjurant de nager vers le Congo. Pourtant, ils optèrent pour une île rwandaise. Rémy, de son côté, s’était dévêtu et s’agrippait à de gros bocaux vides dans un carton qui flottait. C’était un homme du lac qui n’en était pas à son premier naufrage. Soutenu par sa veste, il nagea vers l’ouest et atteignit le rivage congolais vers 22 heures, totalement épuisé et perdant connaissance. Des villageois le secoururent.


Ce n’est que le lendemain, vers 15 heures, qu’il atteignit Muresha. L’alerte fut donnée à Bukavu par les confrères en fin d’après-midi. Aussitôt, les recherches se déclenchèrent : hors-bord, avion et pirogues, les radios locales relayant des appels aux recherches. Les Pères J. Van Noten et C. Van de Brand, appuyés par le Père Henri Farcy, sillonnèrent le lac, interrogeant les piroguiers qu’ils rencontrèrent. Ce n’est que dans l’après-midi que le corps de Godefroid Ngongo fut retrouvé, mais nulle trace de Robert Surun ni de Jean-Marie Glenisson. Le lac étant très profond, on avertit aussitôt les gens du barrage Ruzizi. Le corps de Godefroid fut ramené à Bukavu et déposé à l’hôpital.

P. Pierre Croteau et P. René Vangansbeke ont remplacé  les accidentés du lac KivuLes obsèques eurent lieu à la Cathédrale, le jeudi 8 mai à 10 heures. Mgr. A. Runiga, vicaire général, présida la concélébration à la place de l’archevêque de Bukavu, qui se trouvait à Rome à ce moment-là. Plus de 20 confrères participèrent à la cérémonie. Mgr. le Vicaire Général exprima l’émotion générale et la confiance en la divine Providence à travers ce drame. Au memento des morts, on associa la mémoire de Godefroid et Robert dont les corps n’avaient pas encore été retrouvés. On associa aussi, dans la prière, les vieux parents de Robert (82 et 85 ans), sa famille, ainsi que les frères et sœurs de Godefroid et de Jean-Marie.

Après un solennel « in paradisum », le convoi funèbre partit en direction de Katana. Toute la population de l’île et celle de Bukavu furent fort affectées par cette catastrophe qui décapitait la présence missionnaire à Idjwi. Les recherches se poursuivirent pour retrouver les corps des deux autres Pères, mais sans résultats. A la suite de cet accident tragique, les deux paroisses de l’île durent être abandonnées sur ordre de l’Archevêque. Les deux Pères survivants, Pierre Croteau et Michel Dubois, passèrent quelques semaines à Bukavu avant de reprendre le chemin de Kashofu avec Kees Vermeiren, le curé, puis René Van Gansbeke. Bumpeta resta fermée plusieurs années.

« On ne se risque pas n’importe comment sur le lac. Le lac n’a pas d’amis. Il peut avaler qui il veut, quand il veut. »
Proverbe mashi

Fr. Michel Dubois
M.Afr.


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