Voix d'Afrique N°50

Pour un développement durable



Le Père Maurice Oudet
Né en 1944,
Coopération en Haute Volta en 65-67.
Ordonné prêtre en 1971.
Nommé au Burkina Faso en 1972

orsqu'en 1986, j'ai été nommé curé à Kiembara, j'ai pris les dix rapports annuels de la paroisse
et j'ai vu que 9 années sur 10, la paroisse avait été amenée à faire de l'aide alimentaire. Cela m'a fait un choc.
Je me suis dit : Ce sont des paysans, ce sont eux qui devraient nourrir la ville, et cette nourriture leur vient de la ville.
Il y a là quelque chose qui ne va pas ! Faire de l'aide alimentaire en cas extrême, c'est possible, mais si cela devient habituel, il faut réagir.
Au conseil paroissial suivant, on a pris trois jours pleins, avec les forces vives de la paroisse,
et on a mis en place un projet de développement, avec une petite équipe de permanents qui a fait du bon travail.



Avec un peu de technique, avec les moyens du bord, on peut parer aux inconvénients des mauvaises saisons
Le don de Dieu, c'est aussi l'esprit qui sait inventer

C'était déjà une première expérience d'approche du développement, et l'évangélisation n'est pas étrangère à ces questions… J'étais dans une paroisse du Nord où les pluies sont souvent irrégulières. Si l'aide alimentaire avait été nécessaire, c'est parce qu'on avait eu des saisons difficiles. Or, dans la mentalité des populations rurales du Burkina Faso, comme aussi d'autres pays, c'est Dieu qui donne la pluie, on pourrait même dire d'une façon un peu magique : C'est Dieu qui, dans son ciel, décide de faire pleuvoir ou de ne pas faire pleuvoir. Nous, nous venons annoncer cette Bonne Nouvelle que Dieu nous aime tous… mais Dieu ne leur donne pas la pluie ! Quel amour est-ce ? Cela devient difficile pour eux de croire qu'il nous aime vraiment. On a donc essayé de leur montrer que la terre qu'ils avaient était un don de Dieu, comme toute la création, la pluie aussi… mais que leur intelligence aussi était un don de Dieu : avec un peu de technique, avec les moyens du bord, on peut parer aux inconvénients des mauvaises saisons. : en préparant les sols, en faisant des diguettes anti-érosion, en fabriquant du compost… Le compost garde l'humidité et cela peut sauver la graine entre deux pluies qui sont trop espacées. Les gens s'y sont mis, ils ont ainsi retrouvé l'espoir. Et, en 1993, lorsque nous avons transmis la paroisse aux prêtres du diocèse, les gens produisaient beaucoup plus et arrivaient à se nourrir.

Quand la jachère n'est plus possible

C'est cette expérience en paroisse qui m'a amené, à partir de 1997, à me lancer dans un travail d'édition, en langues nationales, pour étendre cette action à une plus grande échelle. Il faut savoir qu'au Burkina il y a urgence à travailler dans ce sens, parce que la population double tous les 25 ans. Cela veut dire qu'en 50 ans, on aura multiplié la population par 4. Le système traditionnel d'agriculture reposait, entre autres, sur la jachère : quand une terre était fatiguée, on la laissait se reposer 10, 20 ou 30 ans…Mais maintenant, il n'y a plus d'espace libre au Burkina Faso. Il n'est plus possible de laisser des terres en jachère. Or, il y a des techniques simples qui demandent, bien sûr, un effort supplémentaire au départ, mais qui permettent d'avoir de meilleurs rendements. C'est ce qu'on appelle le développement durable

La spécialité de notre service est de fournir des
documents en langues du pays.
Rejoindre tous les paysans

Au Burkina Faso, il y a une soixantaine de langues. Si, à cause de cette multiplicité, le français est resté la langue officielle, l'aspect "langues nationales" est très important. Quand j'étais à Kiembara, les gens de la paroisse parlaient 5 langues différentes. C'est pour cela que nous avons appelé ce service : "Service d'Édition en Langues Nationales" (SEDELAN). Si vous voulez rejoindre les paysans dans leurs villages, il faut pouvoir s'exprimer dans leurs langues pour être compris. La scolarisation étant très faible, c'est une nécessité. Certains ont bien fait cet effort d'apprendre à lire et à écrire dans leurs langues, mais très souvent ils n'ont rien à lire. On essaie donc de leur donner des documents utiles, qui puissent servir aussi à la formation continue. Si vous connaissez leur langue, vous connaîtrez mieux leur sensibilité, leur culture, vous vous enrichirez même du savoir des gens qui vous accueillent.

Publier en langues nationales

J'ai eu la chance d'être un moment aumônier des étudiants à l'Université de Ouagadougou, et comme j'avais déjà été confronté à ces problèmes de langue, je me suis inscrit en linguistique. Cela m'a donné un outil pour étudier ces langues. En fait, ce sont les besoins des paroisses où j'ai travaillé, qui m'ont poussé à me spécialiser dans ce domaine et à me mettre à l'informatique. La spécialité de notre service est donc de fournir des documents en langues du pays, dans le plus de langues possibles, pour que les gens puissent assimiler cette formation et aussi pour qu'ils puissent s'exprimer, dire ce qu'ils ont à dire… et on met cela dans nos revues. Nous avons ainsi une revue qui sort tous les trois mois, en moré, en dioula et en français simple. On peut la trouver dans différents organismes, diocèses, ONG…

Trouver les moyens de la diffusion
Au début, pour diffuser nos revues et brochures, on s'appuyait sur les paroisses. Mais ce réseau n'était pas suffisant. Maintenant, on essaie de développer un partenariat avec la Fédération Nationale des Organisations Paysannes (FENOP). Chez les paysans, dans toute l'Afrique de l'Ouest, les organisations paysannes se sont beaucoup développées. Elles sont gérées par des hommes ou par des femmes. Avant de commencer, nous avons fait une enquête dans un village où il y avait un mouvement féminin qui gérait des petits crédits depuis 19 ans, et cela tient toujours. Il n'y a eu aucun détournement d'argent… Quand on voit ce qui se passe parfois en haut lieu, on réalise qu'il y a des femmes qui, souvent, n'ont même pas fréquenté l'école mais qui maîtrisent, à leur niveau, ces questions de gestion d'argent.


Il a été décidé de développer
l'alphabétisation



Transmettre aux enfants un Burkina dans lequel
on puisse vivre en frères.

La FENOP est présente dans les 45 provinces du pays. On a cette fédération aussi bien pour les éleveurs que pour les agriculteurs, Quand on sait que, l'espace se réduisant, les conflits entre agriculteurs et éleveurs se multiplient, c'est très intéressant d'avoir une organisation comme celle-là. On travaille donc ensemble, on trouve des solutions, on collabore sur le contenu. Je pense qu'ainsi on va pouvoir toucher plus de villages. Si, en plus, on peut avoir l'appui de la radio, cela devrait nous donner un moyen plus large, afin de pouvoir atteindre chaque paysan dans son village.
Notre but est de faciliter, de permettre le développement durable du pays. Que les villageois qui ont hérité de terres sur lesquelles on pouvait vivre, puissent les transmettre à leurs enfants, et que ce soit viable pour eux.

Une expérience dans une paroisse
À Imansgho, on a réuni une fois tous les responsables de la paroisse. Beaucoup de jeunes étaient présents. Ces jeunes avaient l'impression qu'il n'y avait plus d'avenir dans leurs villages puisqu'ils n'arrivaient même plus à se nourrir correctement. Les récoltes ne suffisant pas, ce sont les petits travaux qu'ils font à côté qui leur permettent de survivre. On a donc essayé de voir en profondeur quels étaient leurs problèmes majeurs, on en a bien discuté, on a réfléchi ensemble, et on a retenu ces deux grandes questions : le manque de formation et le problème de la terre qui se dégrade. On a d'ailleurs remarqué que ces deux questions sont liées. Le jour où les gens seront mieux formés, ils trouveront les solutions pour nourrir leur terre et pour se nourrir de leur terre. Il a donc été décidé, pour l'année prochaine, de développer l'alphabétisation dans les villages pour faire ensuite un centre de formation type "maison familiale". On y viendrait passer une semaine. On retournerait ensuite dans son village pour mettre en pratique ce qu'on a appris, pour voir les difficultés qui restent, en discuter avec les gens et revenir pour réfléchir. Une sorte de va-et-vient pour que les réalités du village soient présentes dans la formation. Les jeunes seraient prêts à rester au village s'il y trouvent un avenir. S'ils ne voient pas d'avenir, ils vont partir, soit vers les villes : Ouagadougou, Koudougou…soit même jusqu'en Côte d'Ivoire…
Transmettre à ses enfants une terre cultivable

Chaque fois que je célèbre l'Eucharistie, j'offre le pain , je le présente au Seigneur en disant : "fruit de la terre et du travail des hommes". La terre, c'est le don de Dieu. Le travail, c'est notre participation au développement de la création. Je pense alors aux paysans du monde, et particulièrement à ceux du Burkina. Que les paysans d'aujourd'hui soient capables de transmettre à leurs enfants un Burkina dans lequel on puisse vivre en frères, en hommes libres et en paix, je pense que cela fait vraiment partie du dessein de Dieu. C'est Saint Exupéry, je crois, qui disait : "On n'hérite pas la terre de nos ancêtres, mais on l'emprunte à nos enfants". Cette dimension fait partie du Royaume de Dieu que nous sommes tous appelés à construire ensemble. Partout où nous sommes, on doit bien prendre en compte, cette dimension qu'on appelle l'écologie. Avec le développement de l'industrie, d'une agriculture productive, les risques de détériorer la terre sont, en effet, de plus en plus grands. À nous de faire de plus en plus attention à ce que notre travail et notre mode de vie soient compatibles avec cette dimension du respect de la terre, du don de Dieu. Si la production est encore fragile, et si tous les paysans n'ont pas une technique de récolte, il y en a qui ont bien progressé ces dernières années. Actuellement le Burkina Faso récolte normalement de quoi nourrir toute la population.


La première page du site
internet du P. Maurice Oudet.
Visitez notre site Internet

J'invite tous ceux qui désirent mieux connaître la vie dans un village du Burkina Faso, à visiter le site dont je viens d'achever la construction: à l'adresse: http://www.multimania.com/abcburkina
A travers des photos commentées vous ferez connaissance avec Talato, et ses difficultés pour se former, pour apprendre à lire et à écrire: ce qui manque souvent à une communauté villageoise, ce sont les moyens financiers pour mettre en place un stage d'alphabétisation...
Beaucoup de jeunes n'apprendront jamais à lire parce qu'on n'aura pas trouvé les 100 F nécessaires à leur formation, alors que les enfants à l'école primaire, en France, coûtent 25 000 F par an, et 37 000 F dans le secondaire.
Ce site s'adresse en premier aux enfants de France, mais on y trouve également des pages plus techniques sur l'agriculture : des conseils, tirés de nos revues, pour que les paysans du Burkina Faso puissent garder bonne la terre, malgré la population qui augmente. Et aussi des contes, une page sur les éléphants, et bien d'autres choses encore... !
Ce travail de formation ne s'oppose pas du tout à l'évangélisation, bien au contraire, car il donne à tous la possibilité de vivre debout, en homme libre et créateur.

P Maurice Oudet. Père Blanc