Voix d'Afrique N°67

Le Sel de la Terre du Mali

 

 

 

Le Fleuve Niger en crue

 

Michel Robin est originaire de Nantes où il est né en 1931.
Depuis 1962, il vit au Mali ; il partage pour nous son expérience de missionnaire

Kolongotomo sur le Niger

Kolongotomo : c'est la plaine à perte de vue, c'est le Niger qui coule largement entre les berges sablonneuses. Le grand fleuve est la seule source de vie ; ses eaux sont canalisées et amenées à des plantations : l'irrigation crée des rizières, des sillons réguliers, des lignes rigoureusement parallèles de touffes vertes. Les champs se suivent, reliés par les canaux, quelques chemins bien tracés quadrillent le terrain sur des kilomètres, presque à perte de vue . Et plus on s'éloigne du fleuve, plus la végétation est rare, plus les buissons sont distants et chétifs, plus les épineux sont rabougris.

Une longue aventure

Michel Robin se rappelle : "Lorsque je suis arrivé, en 1963 , c'était la grande forêt." Il venait d'être ordonné prêtre à Rouen et envoyé au Mali : le Soudan de la colonisation avait retrouvé son vieux nom, celui de l'ancien empire, le Mali. Une nouvelle page était tournée : celle de l'histoire politique, mais aussi celle de l'histoire de la mission. Bamako devenait archevêché ; à Ségou, un Père Blanc devenait évêque, un prêtre malien, Mgr Sidibé, lui succédera en 1974. Michel commence par apprendre le Bambara et prend sa place au milieu des quelques 160 missionnaires qui depuis la fin du 19ème siècle, se sont établis au Sahel. Depuis quarante ans, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts de Bamako !


Chargement de sable pour la construction d’une chapelle

D'une révolution à l'autre

Au début, dans l'enthousiasme de l'indépendance, le pays se lançait dans une première révolution : le socialisme pur et dur. Tout le pays était quadrillé par les cadres et les milices du parti unique ; le marxisme maoïste devait donner à tous les maliens la prospérité et la liberté, selon des plans élaborés dans des comités et les bureaux des ministères. Les missionnaires étaient regardés avec méfiance, tolérés et à peine acceptés, car ils échappaient aux mots d'ordres venus d'en haut. Petit à petit, le Mali s'isolait de ses voisins, et s'appauvrissait rapidement ; au bout de quelques années de déclin, il fallait revoir la copie.

La deuxième révolution tranquille eût lieu. Les paysans devenaient libres d'exercer leur initiative : les champs et les maisons leur appartiennent en propre ; à eux de les mettre en valeur pour améliorer leur condition de vie. Le parti unique relâchait son étreinte, les communes prenaient le pouvoir de gérer tout ce qui concerne le bien être de la population : routes, écoles, dispensaires, irrigation et puits, champs et jardins, tout cela était géré au niveau des villages, avec des responsables élus localement qui doivent rendre compte régulièrement, non pas aux autorités lointaines, mais à la population locale. Les fruits ne se font pas attendre : la culture traditionnelle du coton est améliorée, le rendement des rizières est triplé. Ecoles et dispensaires reprennent vie.

Le Sel dans la terre malienne

L'Eglise marche avec le pays ; avec ses 2 ou 3% de chrétiens, c'est vraiment la pincée de sel, c'est l'humble ferment qui fait lever la pâte. La pâte, c'est le monde musulman : chaque village a sa mosquée ; les instituteurs dans les écoles, mais aussi les commerçants et les chefs sont majoritairement musulmans. Cependant, depuis l'indépendance en 1959, de nombreux jeunes maliens ont été ordonnés prêtres ; ils animent toutes les paroisses sous la direction des six évêques maliens. Les missionnaires sont toujours là, mais les anciens n'ont pas été remplacés : ils ne sont plus qu'une soixantaine.

Un laïcat dynamique

Ce qui fait la force de l'Eglise, c'est l'engagement du laïcat. Les "paroisses" sont très éloignées les unes des autres : elles sont comme des centres de rayonnement d'où partent les prêtres - en moto ou en voiture, mais aussi à pied ou à bicyclette - pour visiter les petites communautés, quelques dizaines de familles ; quelques laïcs partagent les responsabilités : assemblée du dimanche, enseignement du catéchisme aux enfants et aux catéchumènes, visite des malades, préparations au mariage ; chaque communauté reçoit la visite du prêtre, et donc le partage de l'eucharistie, une fois par mois au maximum.

Nouveau départ

Michel est reparti au Mali ; à 74 ans il a besoin d'un peu de repos et de contrôles médicaux. "Pourquoi repartir ? à ton âge, beaucoup prennent leur retraite !" "Mais c'est maintenant chez moi, au Mali ! Ici, je connais très peu de gens, alors qu'à Bamako ou à Kolongotomo, tout le monde me salue ; je ne compte plus mes amis, avec qui j'ai partagé l'immense aventure depuis près de cinquante ans.


En 2002, Michel a fêté ses 40 ans d’ordination et 40 ans au Mali.
De gauche à droite :
Les Pères Arvedo Godina, Wim Schakenraad, Jesus Martinez, Michel Robin, Yves Pauwels, Gilles Graffin

Beaucoup de grands parents ont mon âge, j'ai vu grandir leurs enfants et leurs petits enfants. Je repars au Mali, c'est chez moi !" à la suite des premiers pionniers qui sont couchés sous la croix du cimetière, à côté des anciens, venus de tous les pays d'Europe ou d'Amérique, des jeunes Africains prennent la relève, venus du Congo ou du Rwanda, mais aussi du Ghana et du Burkina, la mission continue : " C'est vous la lumière du monde ; c'est vous le sel de la terre !"

Voix d'Afrique