Voix d'Afrique N°66

 


Nous avons rencontré Jean Paul Guibila, jeune missionnaire d'Afrique, originaire du Burkina Faso.
Il partage avec nous son aventure.

Le rêve d'un gamin

- Eh ! Jean Paul, tu l'as vu ? Un nouveau père est arrivé à la mission. Il est noir !
- Il est noir ? Il ne peut pas être un père.
- Je ne sais pas. En tous cas, il vit avec les autres prêtres, à la mission.

Les deux gamins de l'école primaire du Nord Burkina Faso décident d'aller voir. Il partent en courant et arrivent essoufflés devant la maison des pères ; ils épient à l'ombre d'un manguier, mais pas pour longtemps. Le Père supérieur sort pour aller à son bureau ; il est accompagné par un jeune Africain. Ils parlent français entre eux. Ce qui intrigue le plus les deux garçons, c'est que ce dernier semble être vraiment chez lui avec les autres missionnaires.

"Allons le voir !". Les enfants frappent à la porte. Un grand sourire les accueille. Le nouveau venu les salue dans leur langue locale.
- Je suis Ignace, et je vais rester avec vous pendant deux ans.
- Mais d'où venez vous ? de quelle région ? Vous n'êtes pas du Burkina ?
- Non ! Je viens du Ghana. Je m'appelle Ignace Anipu.
- Mais vous n'êtes pas prêtre ?
- Non, pas encore ; je suis encore étudiant, en stage dans votre paroisse. Mais plus tard, je serai ordonné.

Ils sont interloqués, Jean Paul et son ami : pour la première fois, ils voient un Africain, noir comme eux, qui vit avec les autres missionnaires blancs et va travailler avec eux.
Cela donne à réfléchir : ainsi donc, on peut être missionnaire et Africain !
Jean Paul n'a que dix ans en 1981 ; il est encore à l'école primaire, mais il commence à rêver : "Si Ignace est missionnaire, pourquoi pas moi ?"

Ordinations au Burkina Faso

Un jeune de caractère

L'idée fait son chemin. Il demande à aller au petit séminaire, à la fin de ses études primaires.

Il est déjà grand et dépasse de la tête tous ses camarades. Il a la voix sonore, et n'a pas peur de l'employer. Lorsque surgit quelque problème avec les enseignants, les bons pères, il est vite repéré ; et ce qui devait arriver arriva : "C'est un rebelle !" et il est renvoyé chez lui !

Mais le désir continue à s'approfondir. Il va au collège d'état, puis au lycée. Il sait ce qu'il va faire : il sera missionnaire. Aussitôt après son baccalauréat, il part pour Ouagadougou pour les études de philosophie, première étape vers le sacerdoce ministériel.

Formation internationale

Arrive le premier grand départ : il est envoyé pour l'année spirituelle à l'autre bout de l'Afrique, à Kasama, en Zambie.

De l'hémisphère Nord, au bord du Sahel, il passe dans l'hémisphère sud, dans les collines de l'Afrique des forêts. De l'Afrique francophone, il arrive en pays anglophone. Les frontières dans lesquelles il avait l'habitude de vivre éclatent : il rencontre des jeunes qui arrivent de toutes les parties du monde, animés par le désir de vivre l'Evangile et de porter la Bonne Nouvelle au monde africain. Pendant un an, il prie et réfléchit, il partage et prie encore pour y voir clair dans son désir profond, et dans l'avenir qu'il décide de prendre.

Au Congo

A son tour de partir en stage : il avait demandé Nairobi ou Dar-es-Salaam, pour travailler avec les enfants des rues, ou Beira, au Mozambique, pour vivre avec une population qui sortait à peine de la guerre. Il avait bien précisé ses desiderata : tout, sauf l'Afrique francophone… et c'est là qu'il est envoyé, au Congo.

Première épreuve d'obéissance : la mission ne t'appartient pas, c'est toi qui lui appartient. Mais il ne le regrettera pas.

Le Diocèse de Kasongo a déjà une vieille histoire. C'était le pays du fameux esclavagiste du 19ème siècle, Tipo-Tip. Avant l'arrivée des Blancs, les villages étaient régulièrement razziés : hommes, femmes et enfants étaient capturés et envoyés en longues colonnes à travers les brousses jusqu'à Bagamoyo, sur l'Océan Indien, pour être convoyés vers l'Amérique, au-delà de l'Océan. Ceux qui n'étaient pas pris dans les razzias fuyaient dans la forêt. Déjà !

Deux siècles plus tard, l'histoire se répète. Les guerres et les ambitions déchirent le pays. Un dictateur est renversé, l'armée prend le pouvoir, une révolte se déclanche, appuyée par une autre puissance politique étrangère. Alertes, fuites, paniques, massacres, viols, incendies, vols et meurtres deviennent ordinaires, quotidiens. Seule musique d'espoir : la cloche de la mission ; dans la forêt, les villageois en fuite l'entendent comme un appel à espérer. "Les Pères sont toujours là, avec nous. Tout n'est pas perdu ! "

Les missionnaires n'ont pas d'autre projet : être avec les hommes et les femmes qui souffrent, tenaillés par la peur. Jean Paul apprend le fondement de la mission : la solidarité et la compassion.

Après deux ans de stage, il est envoyé à Nairobi, au Kenya, pour continuer ses études en vue de la prêtrise. Il retrouve des jeunes, africains, européens, asiatiques ou américains, qui partagent le même idéal.

"Je suis avec vous… "

Jean Paul a été marqué par sa première expérience congolaise : il approfondit sa réflexion. Il prend un peu de recul pour évaluer les rencontres africaines, y découvrir les grâces et les écueils. "Voilà, je suis avec vous jusqu'à la fin du monde". La promesse du Christ devient précise, concrète, actuelle. Le prêtre est le signe vivant de cette présence auprès des pauvres.

Après son ordination, il repart au Congo : c'est devenu "chez lui", les pauvres sont ses frères.

Cependant la paix est longue à venir ; les villageois essaient de s'installer, mais ils savent qu'ils sont toujours à la merci d'envahisseurs d'un camp ou d'un autre, des bandits, des maquisards, des polices régulières ou rebelles. Ils sont pris entre le marteau et l'enclume.

Les missionnaires passent leur temps à visiter, écouter, écouter et encore écouter, pour partager la souffrance et faire luire l'espoir : "Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde". Il est avec nous dans sa Passion, le long calvaire des incertitudes du lendemain. Beaucoup sont traumatisés par des expériences de mort et de peur. Telle gamine, tel jeune garçon ont vu leurs pères battus à mort, leurs sœurs violées, leurs frères décapités, leurs maisons incendiées. Comment parler du Christ dans ces conditions ? Le silence, l'écoute respectueuse, l'attention aimante sont la seule attitude possible. En se disant avec des mots et des larmes, la blessure doucement se cicatrise. "On ne peut combattre le feu que par le feu !" pensent les victimes.

Jean Paul et ses confrères organisent quelques rencontres, pour partager, réfléchir et prier. Sans hâte, petit à petit, comme le germe d'une plante fragile, la paix fait son chemin et grandit avec une force obstinée. Et le dicton devient : "On ne peut combattre le feu qu'avec de l'eau", l'eau de la réconciliation, l'eau de la grâce sortie du cœur du Christ en croix. Se réconcilier avec soi-même d'abord, pour ensuite aller vers l'autre, lui prendre la main, donner et accueillir ensemble le pardon.

C'est à cette école que Jean Paul et ses frères missionnaires apprennent à prier. "Père, que ton Règne vienne… pardonne-nous comme nous pardonnons !"

Témoignage recueilli par "Voix d'Afrique"

 

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