Voix d'Afrique N° 87

Culture
“TROIS FEMMES PUISSANTES”
Prix Goncourt 2009


Qui est Marie Ndiaye ?

Marie Ndiaye  naît le 4 juin 1967 à Pithiviers, dans le Loiret, d’un père sénégalais et d’une mère française. Son père quitte la France pour l’Afrique, l’année suivante. Elle grandit en banlieue parisienne, où sa mère l’élève seule, avec son frère Pap NDiaye. Dès l’âge de 12 ans elle commence à écrire. Elle est en terminale quand elle est remarquée par Jérôme Lindon, fondateur des éditions de Minuit, qui publie son premier roman Quant au riche avenir (1985).

A la suite de ce premier livre, elle reçoit une lettre d’un lecteur qui n’est autre que Jean-Yves Cendrey, pas encore écrivain. Il deviendra son époux et le père de ses trois enfants.

En 1988, Marie NDiaye publie Comédie classique (POL). Puis ce sera La Femme changée en bûche (Minuit), En famille (Minuit, 1991) ou encore La Sorcière (Minuit, 1996). Elle reçoit le Prix Femina en 2001 avec son roman Rosie Carpe.

A côté de son œuvre romanesque, Marie NDiaye compose des ouvrages pour la jeunesse, comme La Diablesse et son enfant ou Le Souhait (Ecole des loisirs, 2000 et 2005) ; et aussi des pièces de théâtre. Sa pièce Papa doit manger figure au répertoire de la Comédie-Française.

En 2007, elle part vivre à Berlin avec toute sa famille, trouvant, dit-elle, « monstrueuse la France de Sarkozy », à cause de « cette atmosphère de flicage, de vulgarité... »

Elle reçoit le prix Goncourt 2009 pour Trois Femmes puissantes (Gallimard).

Elle qui rejette l’étiquette d’africaine, de métisse et même d‘auteur francophone, retrouve cependant le chemin de l’Afrique, où se déroule, pour une bonne part, Trois Femmes puissantes.

 

Le livre

Trois récits, trois femmes qui disent non. Elles s’appellent Norah, Fanta, Khady Demba. Trois femmes puissantes. Aucune des trois n’est pourtant projetée dans une situation enviable. La première, Norah, a grandi en France avec sa mère et sa sœur après que son père les a abandonnées pour retourner vivre en Afrique avec leur jeune frère. Trente ans plus tard, il la convoque dans le village africain où il a fait fortune dans le tourisme, pour lui demander son aide. Norah va quitter Paris, sa famille, sa carrière d’avocate pour cette visite à son père. Ces retrouvailles plus que malaisées entre le père et la fille se révèlent devenir, pour elle, une épreuve de vérité qui met en péril son couple, sa relation avec sa propre fille, sa mémoire, sa raison même - sa vie toute entière.

Fanta, elle, a quitté son Sénégal natal pour suivre son mari, Rudy, en France. La voilà désormais qui se morfond et s’étiole dans une province française sans grâce, dans une vie ordinaire, étroite, médiocre - du moins est-ce ainsi que Rudy voit les choses, et c’est par la seule voix intérieure de ce dernier, pétrie de culpabilité et d’amertume, qu’il nous est donné de connaître Fanta.

Enfin, voici Khady, jeune Africaine, plus simple et plus terrienne. Chassée par sa belle-famille après la mort de son mari, elle est contrainte à l’exil, la solitude, la pauvreté, le désespoir. Elle va errer, se prostituer pour manger, et voyager jusqu’à la côte d’où on lui a promis de l’embarquer clandestinement vers l’Europe. Son histoire est peut-être la plus belle, et elle, la plus obstinée, la plus fière de ces trois femmes aux prises avec le monde qui s’ouvre à elles et en quête d’un monde qui leur appartient.

La parole
à Marie Ndiaye

Sur son roman

Où est la puissance de ces Trois femmes ?“Dans mon esprit, malgré toutes sortes de difficultés, chacune a une force intérieure inaltérable. Même celle qui semble la plus fragile ne doute jamais, au cœur des difficultés les plus terribles et humiliantes, du fait qu’elle est un être humain unique. Elles ont toutes un noyau indestructible qui en fait des femmes puissantes, même si, d’un point de vue social ou professionnel, elles n’ont aucun pouvoir.”
(Nathalie Crom, Télérama)

Quelle est votre relation avec ce continent, d’où votre père est originaire ?
C’est une relation un peu étrange et assez lointaine. J’y ai fait un premier voyage relativement tard, vers l’âge de 20 ans, à la fin des années 80 donc, et un second il y a trois ans.(...) C’est très peu. De ce fait, ma relation à l’Afrique est un peu rêvée, abstraite, au sens où l’Afrique, dans ma tête, est plus un songe qu’une réalité. En même temps, je suis attirée, incontestablement, mais de manière contradictoire, parce que j’aurais pu sans peine faire des voyages plus fréquents là-bas. Mais il y a peut-être de ma part une sorte de crainte, je ne sais pas précisément de quoi.
(Nathalie Crom, Télérama)

Marie Ndiaye refuse l’image de « métisse » ou d’Africaine que de nombreuses personnes ont d’elle : « Cela renvoie une image qui n’est pas la mienne. Mon père est rentré en Afrique quand j’avais un an. Je n’ai jamais vécu avec lui. J’ai grandi en banlieue, je suis 100 % française, avec les vacances dans la Beauce... On pense à tort que j’ai la double nationalité, la double culture. Mais je ne suis pas gênée que l’on dise de moi au Sénégal que je suis Africaine. » (Wikipédia)

« Je regrette depuis toujours de ne pas avoir de double culture alors que j’étais dans une situation idéale pour l’avoir », a-t-elle expliqué à Jeune Afrique édité à Paris. « Je n’ai pas eu une enfance africaine, je ne l’aurai jamais. À 42 ans, il est trop tard pour acquérir une double culture. Aujourd’hui, je comprends ce que c’est de ne pas en avoir, de ce que représente un métissage tronqué dont on n’a que les apparences ». ( Jeune Afrique)

« La seule chose qui change quand on a une origine africaine, c’est qu’on est noir, c’est visible. Mais c’est tout.[...] J’ai été élevée dans un « univers 100 % français ». Dans ma vie, l’origine africaine n’a pas vraiment de sens – sinon qu’on le sait à cause de mon nom et de la couleur de ma peau. Bien sûr, le fait d’avoir écrit des histoires où l’Afrique est présente peut paraître contradictoire. Je suis allée deux ou trois fois en Afrique, c’est un lieu qui m’intrigue, me fascine aussi, car je sens que j’y suis radicalement étrangère. Quand j’y suis et que les gens voient mon nom et la couleur de ma peau, ils pensent que je suis des leurs. Or, par mon histoire, c’est faux. J’ai souvent rencontré des Français qui ont été élevés en Afrique et qui sont plus africains que moi. Alors qu’eux, en Afrique, dans le regard des autres, ils restent étrangers… Ironiquement, c’est en France que je peux paraître étrangère. » (Les Inrocks) Inrockuptibles)

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