Voix d'Afrique N°60



PYGMÉES au BURUNDI

 



Bernard LESAY est originaire de Lille où il est né en 1931.

Missionnaire au Burundi depuis 1959, il consacre ses vieux jours aux Batwas, les fils de la forêt, des Pygmées, réalisant ainsi son rêve d'aller vers les plus pauvres.

 

LES PAUVRES PARMI LES PAUVRES
Depuis des dizaines de siècles, les Batwas ont l'habitude de tout recevoir de la Forêt équatoriale, qu'ils appellent leur mère : les fruits et les viandes pour leur subsistance, le bois et les feuillages de leur habitat. Ils ignorent les cultures et les maisons : un abri de branchages leur suffit, la chasse et la cueillette font toute leur vie. Isolés de tous, préférant à la guerre la fuite loin dans la forêt, ils n'ont pas vu venir les agriculteurs : leurs forêts étaient défrichées pour laisser la place aux cultures et aux pâturages. Le rapport de force était trop inégal : ils ont fui, se sont cachés, ils ont tout perdu, leur environnement, et jusqu'à leurs traditions et leur culture.

ILS NE SONT PAS OUBLIÉS
Les missionnaires sont arrivés, au début de la période coloniale ; ils ont orienté tous leurs efforts vers la population des agriculteurs-éleveurs, dense, nombreuse et bien organisée qu'ils ont trouvée , les Hutus et Tutsis ; ils formaient 99 % de la population. Les conversions étaient nombreuses. Bernard LESAY , lorsqu'il arrivait en 1959 dans sa première 'mission', se voyait confié 40000 chrétiens et autant de catéchumènes : même à trois missionnaires, entre les catéchèses d'adultes et d'enfants, les baptêmes et les mariages, les préparations aux sacrements et les visites aux malades, toute leur énergie était prise par cette société et la rencontre avec les marginaux était considéré comme un luxe.

PLUS LOIN
Mais les missionnaires sont ainsi faits : ils regardent toujours plus loin, en dehors des frontières trop vite établies. Les marginaux, au Burundi, ce sont les Batwas : à peine 1% de la population, habitants de la forêt, maniant plus volontiers l'arc et les flèches que la houe et la pioche, vivant selon leur style bien particulier dans des huttes de branchage, ils sont tenus à l'écart par la tribus majoritaire. Comme les autres "Pygmées" habitent les forêts d'Afrique équatoriale, ils sont tenus à l'écart. Quelques rares enfants fréquentent l'école : ils sont mal acceptés et se font rudoyer par leurs camarades: "Tu sens mauvais, va-t-en !" Il leur est interdit de boire à la même source ou au même robinet que les autres. Ils auraient toutes les raisons de se révolter : mais que faire lorsqu'on n'est qu'une centaine de mille au milieu des 6 ou 7 millions de burundais ?
Leur seule fierté est d'être les "fils de la forêt " ; leur seule tradition est d'être "chasseurs d'éléphants" ; mais la forêt a presque disparu et les animaux sauvages, les éléphants étant les plus vulnérables, sont en voie d'extinction. Ils vivotent en marge de la société, un peu comme les gitans en France ; pas de maison, une hutte de branchages leur suffit, qu'on peut ériger en quelques heures. Ils sont habiles à faire des poteries d'argile et des nattes, mais ils le sont moins pour les vendre à leur juste prix. Leur complexe d'infériorité est tenace : ils n'osent pas se défendre lorsqu'ils sont attaqués, et considèrent comme une charitable aumône les quelques pièces qu'on leur donne pour leur artisanat.
Mais c'est à eux aussi que le missionnaire est envoyé ; ils devraient même avoir une place privilégiée dans son cœur. Bernard Lesay, à 72 ans, peut réaliser son rêve : partager les soucis, les espérances et les efforts des Batwas. Il est accompagné par un jeune missionnaire Ougandais, Elias Mwembebezi qui y consacre sa vie.


P Elias Mwembebzi Voir Interview

DES MAISONS POUR LES FILS DE LA FORÊT
Il faut commencer par le commencement : un habitat décent. Les Batwa comprennent qu'ils ne peuvent pas continuer à déménager de place en place dans la forêt, car elle a été presque totalement défrichée. Ils ne peuvent pas non plus rester en marge de la société burun-daise : la maison est signe d'appartenance à un village. Bernard et Elias leur font prendre conscience de cette nécessité, au cours de nombreuses rencontres et de longues palabres. Petit à petit la mentalité commence à évoluer, à travers échecs et succès : les batwas n'ont pas appris à prévoir le lendemain ; ils vivent totalement le temps présent, sans aucune mémoire du passé et sans prévision pour l'avenir. Quelques familles se décident à envisager de construire des maisons ; elles se mettent ensemble pour faire les briques sèches. Cela représente un effort nouveau et considérable, car il faut apprendre comment les faire ; et il n'y a pas tellement de temps pour les mouler, les faire sécher et bâtir les murs : les pluies peuvent survenir pendant neuf ou dix mois de l'année, ce qui ne laisse que deux ou trois mois pour la construction. C'est également un effort continu qui occupe pas seulement un jour ou deux mais toute la semaine puisqu'il faut au minimum 3500 briques pour une maison.

UNE O.N.G. POUR UNE RÉVOLUTION
Une petite ONG est créée pour coordonner et financer les projets, élever les murs, couvrir de tuiles, aménager les portes et les fenêtres : cela demande de collecter des fonds et de les gérer au mieux. Autour de Gitega, une grande ville du Burundi, ce sont 165 maisons qui ont été érigées… avec un financement prévu pour 150 ! C'est une révolution, un changement radical de l'image de marque des " fils de la forêt ". Les tabous commencent à tom-ber : des Hutus ou des Tutsis, tribus majoritaires, trouvent une occasion de se faire recevoir par les Batwas, et les Batwas, à leur tour, commencent à visiter les familles hutu ou tutsi. Des jardins et des champs sont défrichés : signe de propriété, des bananiers sont plantés. Le style de vie devient plus stable, le régime alimentaire plus équilibré…
Et les enfants commencent à aller à l'école : quelle audace ! Les autres écoliers regardent avec mépris les garçons et les filles venus de la forêt : le professeur ne peut pas s'occuper d'eux d'une façon spéciale. La mission crée donc un internat pour les deux dernières années de l'école primaire ; les enfants n'ont pas à perdre du temps en chemin pour aller à l'école, ils l'emploient à étudier, avec l'aide de quelques moniteurs bénévoles. Le résultat ne s'est pas fait attendre : depuis quelques années, un petit groupe a émergé et a été sélectionné pour continuer les études au collège de Gitega. Parmi eux, quelques uns ont suivi le catéchuménat et ont été baptisés pendant la nuit pascale.

ARTISANS DE PAIX
Il s'agit véritablement d'une révolution, mais d'une révolution tranquille … et silencieuse : on ne parle du Burundi que pour donner des nouvelles de guerre et de mort ; qui pense à parler de cette immense espérance pour les Batwas ? C'est toute l'Eglise du Burundi qui va vers les plus pauvres ; une petite congrégation religieuse a été lancée par les évêques burundais, regroupant des prêtres et des frères qui ont reçu l'appel du Bon Pasteur d'aller vers les brebis perdues ou ignorées.
Dans le Burundi, déchiré par la guerre civile et les conflits tribaux, le petit groupe des Batwas est peu- être appelé à devenir comme un catalyseur, un agent de réconciliation. "Heureux les artisans de Paix, ils seront appelée Fils de Dieu. "

Interview de B.Lesay, Missionnaire d'Afrique
pour " Voix d'Afrique "

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