Voix d'Afrique N°65

Il est fidèle, celui qui nous appelle

 




Jean-Pierre Lepoutre, Missionnaire d'Afrique, raconte son aventure au Burkina Faso, quarante cinq ans après ses années de formation à Kerlois, Maison Carrée, Thibar et Carthage..

Kerlois, Maison Carrée, Carthage.

Jean-Pierre, Edouard, Joseph, Gérard et les autres, nous étions une bande de jeunes de 18 ans, venus de tous les coins de la France, animés par un désir d'aventure à la suite du Christ : le désir de vivre et travailler en Afrique, de devenir "Pères Blancs".

C'était en 1951, quelques années après la fin de la guerre. L'imposante maison était solide, mais froide et pas chauffée ; qu'importe. Nous étions fiers de porter déjà la chéchia rouge, avant de recevoir la gandourah (robe arabe blanche) et le burnous. Nous portions des chaussons dans les sabots de bois que nous laissions à la porte de la chapelle. Nous nous vouvoyions et nous nous appelions "frère" comme il sied à des ecclésiastiques en herbe. Nous faisions nos premiers pas en philosophie scolastique : St.Thomas d'Aquin, Maritain étaient nos nouveaux docteurs ; le manuel de philosophie était en latin : "Cursus philosophicus, a Carolus Boyer" ! Heureusement nous avions d'excellents professeurs pour nous guider à travers un domaine bien mystérieux. Sports, travaux manuels de jardinage et d'entretien au jardin et dans la forêt, grandes promenades dans la campagne bretonne.

Chaque matin nous nous re-trouvions à la chapelle dès 5 h.05 : nous nous lancions dans l'expérience de la prière silencieuse prolongée. Après la messe à 6 h., nous avions juste le temps de faire le lit et d'arranger nos chambres ; le petit déjeuner était à 7 h. Les cours commençaient à 8 h. pour toute la matinée. La nourriture était simple mais abondante. Le soir, le souper se terminait régulièrement par la "crémosine", une sorte de bouillie épaisse et sucrée : bonjour les féculents !


Etudiants de Kerlois en 1953

Ensemble nous sommes partis pour Maison Carrée, le noviciat, puis Thibar, en Tunisie, pour la théologie. En 1955, nous sommes partis ensemble pour le service militaire, certains chez les tirailleurs, d'autres chez les spahis ou les zouaves, bref tous les régiments de l'armée encore coloniale : deux ans d'épreuve, de vie au milieu des tunisiens et des appelés venus de France avec la classe 53. En 1957, nous avons repris les livres de théologie pour être ordonnés prêtres en 1960. Et c'était la grande dispersion : en Afrique de l'Ouest, ou en Afrique de l'Est ou du Nord, aux études à Rome ou à Strasbourg.

Au Burkina Faso

Quarante cinq ans après, Jean-Pierre Lepoutre raconte son aventure au Burkina Faso.
Il fallut commencer par apprendre le "moré", mémoriser, faire des exercices, commencer à converser avec les burkinabè qui ne manquent pas du sens de l'humour et n'ont pas peur de rire du jeune blanc qui essaie de s'exprimer. L'épreuve est rude, mais les anciens sont bien passés par là, alors, pourquoi pas moi ?

Mgr Louis DurrieuLa première nomination, le premier poste, la première mission est à Ouahigouya, la capitale provinciale et siège de l'évêché. La paroisse et l'évêché partagent les mêmes locaux. Jean-Pierre et l'évêque sont à la même table. Mgr. Louis Durrieu a été chef de bataillon pendant la guerre et supérieur général des Pères Blancs pendant dix ans : c'est dire qu'il avait l'habitude de commander, et Jean-Pierre, le jeune vicaire, a eu quelque peine à vaincre sa timidité ; mais l'évêque a vite fait de rompre la glace et d'établir des rapports de confiance. Après quelques années, il est nommé "curé" responsable, avec deux autres missionnaires, d'une paroisse très étendue ; les villages étaient jusqu'à 80 km. de la mission.

Les Tournées

Les petits groupes électrogène, très pratique dans les villages sans électricitéLa vie est rythmée par les tournées dans les villages : rencontres avec le catéchiste, visite des familles et des chefs, veillées d'enseignement aux catéchumènes, confessions des chrétiens encore très minoritaires - Jean-Pierre a calculé qu'en 1964 il avait écouté 1964 confessions ! - eucharistie, conversations avec les uns et les autres, parfois tard dans la nuit. La langue n'est plus un problème ! Les gens, chrétiens ou non, sont encouragés à recourir aux divers symboles chrétiens: bénédiction de maisons après la foudre, bénédiction des mères et des enfants, bénédiction des champs et des semences, des puits et des sentiers. L'eau bénite est répandue généreusement ; ce ne sont pas des actes de fétichisme, mais des célébrations du Dieu Créateur, dispensateur de vie, présent par le Christ dans tous les événements de la vie des hommes.

Les catéchistes


Les catéchistes sont la cheville ouvrière de la Mission

Les catéchistes sont la cheville ouvrière de la mission. Soigneusement sélectionnés d'après leur jugement et leur ouverture d'esprit, ils reçoivent avec leur femmes quatre ans de formation : catéchèse, bible, doctrine chrétienne, mais aussi agriculture, hygiène, puériculture, et tout ce qui pourra faire d'eux des meneurs efficaces des communautés où ils seront envoyés. Etablis dans les villages, ils pourvoient à leurs propres besoins ; ils sont reçus comme les envoyés du père.

Réconciliation au souffle de l'Esprit

Après un temps de service à Lille pour l'animation missionnaire, Jean Pierre repart. La Haute Volta est devenue le Burkina Faso, le "pays des hommes intègres."

L'Esprit souffle à Ouahigouya. Par quelques coopérants venus de France, quelques expériences de "prières charismatiques" sont tentées. Les chrétiens sont amenés à une démarche très fructueuse. Ils apprennent à pardonner et à demander pardon. Les rencontres sont ferventes et prolongées. Ils sont invités à de longues retraites, 8 jours en silence, pour la réflexion et la prière.

Le plus spectaculaire, c'est la réconciliation entre chrétiens, et entre prêtres, catéchistes et fidèles. Bientôt, ils sont des centaines à entrer dans cette démarche. "Soyez pardon comme votre Père est pardon". Des catéchistes se regroupent pour prier ensemble et s'aider mutuellement : ce sont les "Compagnons de Jésus ". Missionnaires et prê-tres diocésains approfondissent le sens de leur vocation et de leur unité. La communauté trouve dans ce mouvement de l'Esprit un renouveau de charité et de vie.

Jean Pierre partage lui-même l'expérience de la communauté. Depuis des années, il fumait comme un troupier, de vingt à trente gauloises sans filtre par jour. Il a demandé à être guéri. Pendant une réunion de prière, il reçut la grâce : remplacer le tabac par la prière… et çà marche !

" Il est fidèle… "


Jean Pierre est reparti au Burkina Faso. Il s'occupera de la gestion du centre " Mater Christi " pour la formation d'animateurs et animatrices religieux (voir Voix d'Afrique n° 53, décembre 2001).
L'aventure lancée à Kerlois en 1951 a continué, avec des étapes inattendues, des surprises, des découvertes. Cinquante quatre ans après, Jean Pierre avec Joseph, Gérard, Edouard et les autres en sont témoins : Il est fidèle, celui qui nous a choisis et envoyés.

Gérard Guirauden
Un ancien de Kerlois 1951.
Rédacteur en chef