Voix d'Afrique N°56

"La Mission", comment ça marche ?


J' en rêvais depuis des années, j'y étais nommé à la fin de mes études de théologie, j'y arrivais le 27 octobre 1960 ; elle a été mon milieu de vie, mon lieu de travail, mon sujet de réflexion et de conversation avec mes amis pendant quarante ans. Demandez à un poisson de décrire l'eau : c'est la même chose que de demander à un missionnaire de décrire la mission.

"La mission " c'est d'abord un territoire, des centaines de kilomètres carrés, l'équivalent d'un ou deux départements français ; c'est la brousse, savane ou forêt, avec des pistes, des sentiers, sable et poussière, cahots et " tôle ondulée " pendant la saison sèche, boue et flaques d'eau pendant la saison des pluies ; la mission, c'est des villages ou des hameaux, d'importance variable, des huttes et des maisons de pisé et toit de chaume, un enclos pour le troupeau, quelques greniers en argile rouge, des volailles qui picorent dans la poussière autour de mortiers en bois. De temps en temps, au détour d'une piste, une construction plus grande, quelques maisons à l'ombre des acacias ; une croix indique l'église ; la hutte pour le missionnaire est proche, ainsi que la maison du catéchiste et sa famille : c'est la succursale. Sur l'ensemble du territoire, on en trouve une vingtaine, beaucoup plus parfois, jusqu'à une centaine, à vingt ou trente kilomètres l'une de l'autre. Les missionnaires les visitent régulièrement pour quelques jours ; l'idéal serait une fois par mois, mais bien souvent c'est tous les deux ou trois mois.


Préparation de la tournée:
caisse chapelle, couverture et nourriture
pour 3 jours sur la moto

Ces visites régulières forment l'essentiel du programme des missionnaires ; ce sont " les tournées ", ou les safaris ; toute la vie est organisée autour de cela, comme le pilier de l'activité missionnaire. Nous formons une équipe de trois ou quatre, vivant ensemble dans le centre appelé " mission " : la maison des pères ou frères, le garage et quelques ateliers, quelques abris près de l'église centrale ; non loin de là se trouve la maison des religieuses missionnaires ou autochtones, un dispensaire et une école.


La boule de maïs partagée avec le catéchiste

Le calendrier du missionnaire est fort simple : du 1er janvier au 31 décembre, deux semaines sur trois, soit trente à quarante fois par an, les prêtres prennent leur moto ou leur voiture (… autrefois c'était à bicyclette et, tout au début, à pied) et partent pour la succursale. A une distance variable selon l'étendue de la mission, entre 20 et 120 km. Jeudi après-midi ou vendredi matin, il prépare ses bagages : la caisse chapelle, un lit de camp et une couverture, quelques affaires de toilette, un peu de linge de rechange, quelques conserves de nourriture et un pain, quelques pilules de quinine (… on ne sait jamais !) et d'autres remèdes d'urgence, une boite à outils et c'est parti (en espérant qu'on n'a rien oublié !). Le voyage, selon les distances et l'état des routes peut durer entre 1 heure et une journée. Dès l'arrivée on s'assoit avec le catéchiste pour s'informer de la vie du village, les deuils, les soucis, les joies et les fêtes, tous les événements qui se sont déroulés pendant les semaines écoulées. Pendant quelques jours, le missionnaire partage la vie des villageois, rassemble et instruit à l'église catéchumènes ou jeunes chrétiens, visite les villages, consulte quelques chefs, console les malades, félicite pour une naissance ou une guérison ; il partage le repas de boule de maïs, une tasse de thé ou un gobelet verre d'eau. Pas de programme bien précis dans ces visites : la seule horloge, c'est le soleil qui se lève régulièrement à 6h. du matin et se couche à 18 h. Après le repas du soir, c'est la veillée autour du feu avec les voisins ; les sujets de conversation ne manquent pas : la vie en France, les progrès, les guerres lointaines, mais aussi les événements petits et grands, les voisins, le village, le pays, les gouvernements ; à l'occasion, un ancien rappelle un événement passé, raconte un ancien mythe, un conte reçu de la tradition traditionnelle, les enfants rythment quelques fables ou comptines. La prière du soir est chantée par quelques chrétiens qui se trouvent là. Mille étoiles brillent dans la nuit maternelle, la lune veille fidèlement… Avant d'aller dormir le missionnaire révise encore l'homélie du lendemain dans la langue locale du pays.

Le dimanche, quelques chants du coq, quelques cris d'enfants, les premiers battements du tam-tam sonnent le réveil. Petit à petit les gens arrivent, des groupes se forment près de l'église ; les habits sont propres et bien repassés ; une petite chorale commence à répéter des chants sous un manguier, le catéchiste ou un chrétien instruit les enfants ; quelques chrétiens prient déjà, assis sur des nattes étalées à même le sol ; quelques hommes, quelques femmes viennent s'agenouiller pour le sacrement de la réconciliation. La chorale fait une dernière répétition. Le soleil est déjà haut lorsque tous entrent dans l'église ; l'autel est en terre ou en brique ; quelques chaises, quelques bancs, quelques nattes sont occupés, les femmes à droite, les hommes à gauche, les enfants devant. Les chants et les cantiques rappellent parfois les anciennes mélodies de France ; le rythme est plus marqué, les harmonies plus riches ; tout le monde chante à pleine voix. Avant le concile du Vatican, le latin tenait une grande place, mais les chants étaient en langue locale. L'homélie est écoutée attentivement ; sa longueur varie selon le " don des langues " du missionnaire. Suivent les baptêmes des bébés des familles chrétiennes. Quelques personnes viennent rencontrer le père dans la maison, pour parler d'un mariage qui est envisagé, des difficultés rencontrées entre voisins, de quelques malades qui attendent une visite, etc… Déjà le soleil baisse à l'horizon, rougeoyant ; avec le catéchiste on fait une revue de la journée et on planifie les semaines à venir. S'il n'est pas trop tard, on replie les bagages pour rentrer à la mission ; souvent ce sera pour le lundi matin.

Une fois de retour, les missionnaires se réunissent pour partager, planifier, consulter, décider sur la vie de la mission ; il faut inscrire dans les registres les baptêmes, les sacrements des malades, les enquêtes de mariage, mettre par écrit un rapport, lire et répondre au courrier, réparer éventuellement quelques bobos sur la bicyclette ou la moto, et prendre le temps de souffler un peu jusqu'au jeudi suivant, où il faudra de nouveau repartir pour une nouvelle tournée.


Dans une église en brousse

Les instructions et les homélies

Aujourd'hui.
Près d'un siècle d'efforts sur ce modèle ont fini par produire des fruits. Aujourd'hui beaucoup de succursales sont devenues paroisses, avec des prêtres à demeure ; des chrétiens prennent en main l'animation de leur milieu ; de nombreux prêtres africains ont repris le flambeau des mains des missionnaires. Les distances entre succursales sont moindres : dans bien des stations on est passé à "la mission de proximité". Les missionnaires sont plus libres pour d'autres tâches : la rencontre avec ceux qui n'ont pas encore été atteints parce qu'ils vivent plus loin, le dialogue avec l'islam ou avec les religions traditionnelles africaines, la formation des laïcs, les problèmes de justice et développement, une réflexion partagée sur la présence de l'évangile dans la vie de tous les jours. L'effort porte sur la qualité des relations plutôt que sur le nombre des convertis. Il s'agit de rencontres, parfois fortuites, de prendre le temps de s'asseoir, d'écouter, de partager soucis et peines, espoirs et joies de tous les jours, de " vivre-avec ", d'enseigner mais aussi d'écouter, apprendre le silence pour mieux recevoir la parole des pauvres. Une telle attitude est sans doute moins structurée que les activités des premiers missionnaires : elle répond à l'appel pour l'Afrique du troisième millénaire.

Pour autant il ne faudrait pas penser que l'époque est révolue des tournées, du travail de base des visites régulières et des instructions ; il faut encore partir en tournée, instruire, rassembler. Les distances restent encore considérables et les prêtres africains sont encore peu nombreux : mais l'appel se fait entendre de plus en plus de privilégier les relations personnelles et la formation en profondeur avec les africains, de mettre l'accent sur l'approfondissement de la foi et l'engagement des laïcs au service de l'Evangile.

A travers les générations, les urgences changent, évoluent, les tâches sont modifiées, mais l'appel premier demeure : "Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups… dans quelque maison où vous entriez, dites d'abord : " Paix à cette maison … demeurez-y mangeant et buvant ce qu'on vous donnera. " (Luc 10 :3-7)
G.Guirauden, M.Afr.