Voix d'Afrique N°97.

La mission : l’autre si différent
et pourtant si proche de soi


Le Père Jean Paul Windbarka Guibila est né le 19 novembre 1971 à Sabcé, au Burkina Faso. Il fait son serment missionnaire le 26 février 2000 à Nairobi. Ordonné prêtre le 30 juin 2001 à Kongoussi, il part en mission en R.D.Congo. Après un séjour au Canada, il est actuellement formateur et animateur vocationel à Guadalajara, au Mexique.


« C’est pour vivre et annoncer cet amour possible, même entre inconnus
au-delà des frontières et des pays, que je me suis fait prêtre. »

Peu de temps après mon arrivée à Guadalajara au Mexique, en août 2011, j’ai eu la chance d’assister à l’ordination sacerdotale, suivie de la messe d’action de grâces, de notre jeune confrère Ismaël Mendez. Déjà au départ de notre maison de Querétaro pour le lieu de l’ordination, je sentais le regard de beaucoup de passagers rivé sur moi. Arrivé sur place, les plus “courageux” avançaient vers moi en souriant et m’embrassaient. Je sentais la chaleur humaine dans leurs gestes, même si je dois avouer que je n’étais pas de prime abord à l’aise dans ma peau.

Après la cérémonie d’ordination, ayant remarqué que j’avais concélébré, les fidèles affluaient vers moi, soit pour me saluer, soit surtout pour demander à se faire photographier avec moi. Les plus petits, avec leur sourire de curiosité infantile, semblaient vouloir me dire « laisse-nous te toucher. » Je me prêtais volontiers aux jeux de ces derniers soit en les prenant, soit en les serrant contre moi pour prendre des photos qu’ils réclamaient d’eux-mêmes ou que leurs parents sollicitaient. Chaque prise de photo se terminait par une bénédiction. Mais « qui suis-je, moi, pour être tant sollicité pour des photos? » La réponse à cette ques-tion, je la trouve dans 3 faits.

Je suis un enfant
de Dieu comme toi

« Il a la même peau (noire) que toi. »En me promenant à l’endroit de l’ordination, une vendeuse m’apostrophe et engage une conversation que je semble avoir ainsi comprise dans mon espagnol très approximatif. « Toi aussi, tu es un prêtre ? » - « Oui, je le suis. » - « C’est la première fois pour moi de voir un prêtre africain (elle a l’air étonnée et me regarde). Peux-tu me dire ce qui t’a amené à devenir prêtre ? » - « Accepterais-tu, toi, de me dire ce qui t’a motivée à me parler sans m’avoir connu auparavant? » - « Mais c’est parce que tu es un padre. Alors je sais que je peux te parler sans problème. » - « Eh bien, avant d’être prêtre, je suis un enfant de Dieu comme toi. C’est pour vivre et annoncer cet amour possible, même entre inconnus, au-delà des frontières et des pays, que je me suis fait prêtre. Vois-tu comment cet amour de Jésus nous a réunis toi, moi et les autres aujourd’hui ? » - « Claro padre (bien sûr, père). Merci et que Dieu te bénisse ! »

De par son questionnement et sa simplicité, cette dame venait de me faire prendre conscience de ma vocation missionnaire et du sens à donner à ma présence au Mexique. Dios la bendiga tambien ! (Que Dieu la bénisse aussi !) Comme le dit le psalmiste, « l’amour parfait chasse la crainte. »

Le baiser
de la communion fraternelle

Une autre chose qui m’a frappé fut de voir les fidèles baiser très souvent la main du prêtre quand ils le saluent. Après que trois personnes m’eurent baisé la main, je décidai, à partir de cet instant, de cacher ma main dans ma poche quand je saluais quelqu’un. Ce fut peine perdue ! Je ne savais pas quelle devait être mon attitude. Je suis allé trouver un confrère mexicain et lui demandai la ligne à suivre. La réponse fut cinglante : « Si tu ne veux pas qu’ils te baisent la main, dis-leur de disparaître, sinon, souris et accueille ! » Il avait raison ce confrère, sauf que je n’ai pas retenu la première partie de sa réponse.

Au fond, j’ai lu à travers ce geste symbolique toute l’affection et la considération que les fidèles ont envers leurs pasteurs. En plus, je suis simplement appelé à accueillir cet amour que l’on me manifeste, oui, à l’accueillir tout court sans philosopher là-dessus ni à chercher des formules adéquates pour y répondre.

Cela m’a amené tout au long du chemin de retour et tard dans la soirée à regarder de près la dignité (pas dans le sens de la grandeur du rang social ou ecclésial) du sacerdoce et ce que cela incombe comme service, humilité, dévouement, compassion, proximité avec les gens. Comme prêtre, comment me situer face au peuple de Dieu dans mon quotidien ? J’avoue avoir renouvelé intérieurement mes promesses baptismales et sacerdotales tout en me sentant petit et fragile, mais certain que « sa grâce me suffit. »

« Regarde ton père là-bas »

Entre une conversation à gauche et une prise de photo à droite, le Père Julien Cormier, provincial des Amériques, me fait remarquer qu’un enfant veut me parler. Son papa ne cesse de lui dire en parlant de moi : « Regarde ton père là-bas, va vers lui ! » Je prête donc attention à ce jeune garçon qui n’attendait que cela et j’engage une conversation avec lui. A quelques pas de nous, son père, quant à lui, affichait un sourire béat. Je lui demande en quoi suis-je le père de son enfant ? « Il a la même peau (noire) que toi. » (dixit). Et moi d’enchaîner : « S’il en est ainsi, je vais l’enmener avec moi en Afrique ; mais j’attends qu’il grandisse et qu’il se fasse Missionnaire d’Afrique. » Les sourires d’approbation du père et du fils vinrent conclure ce dialogue.

Messe d’accueilEn réfléchissant plus longuement sur cette interaction, je vois tout simplement la manière, quoi-qu’humoristique, dont le père et le fils se sont intéressés à l’étranger que je suis. En réalité, cet enfant a beau être noir de peau, je demeure cent fois plus noir que lui. En créant les conditions pour accéder au désir de son fils de s’approcher d’un Africain pour la première fois, ce papa était en train d’ouvrir des horizons plus larges à son fils. Par ce fait, il m’invitait aussi à ouvrir mon cœur à l’autre qui pourrait me voir différent. C’est ainsi que je fus, une fois de plus, replongé dans une attitude missionnaire à vivre constamment. Pour être un bon prêtre et un vrai missionnaire, je suis constamment appelé à me faire ami des personnes que je rencontre, en les ouvrant à des perspectives nouvelles et plus larges.

Au demeurant, on me dira qu’après six jours, je ne connaissais rien de la réalité mexicaine, ce qui est très vrai ! Cependant, je voudrais que ces premiers souvenirs et ces réflexions m’accompagnent tout au long de ma mission dans ce pays. Elles viennent non pas de mes analyses intellectuelles faites de jugements et d’idéologie, mais de mon cœur et de mes “tripes”. Les Mexicains sont des descendants d’Adam et d’Ève, donc appartenant à l’humanité. Avec eux et pour eux, je voudrais construire le Royaume de Dieu avec ce qu’ils m’ont donné de voir ces premiers jours : leur ouverture à l’étranger, l’intérêt à l’autre, leur générosité qui se manifeste dans un élan de solidarité et, enfin, leur affection.

Jean-Paul Windbarka Guibila
M.Afr.


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