Voix d'Afrique N°80.....

Niger Une pédagogie d’éveil

Père Josep Frigola Ribas Après avoir fait la plus grande partie de ses études au séminaire de Girona, en Catalogne, le Père Josep Frigola Ribas entre chez les Missionnaires d’Afrique. Ordonné prêtre en 1965, il rejoint la Haute Volta (Bur-kina Faso). Il y passe vingt ans dans trois paroisses du diocèse de Koupela.
Puis, il part au Niger. Il exerce son ministère dans les paroisses de Dogondou-tchi et Birni N’Konni. Depuis quatre ans, il travaille dans l’organisme d’action sociale de l’Eglise Catholique qui, au Niger, est la CADEV (Caritas - Développement), comme conseiller pédagogique du programme Alphabéti-sation - Bibliothèques.
  Il explique, ici, son action et ses convictions.

L’aventure commence au Burkina au début des années soixante-dix. Marcel, quarante ans passés, cultivateur du plateau mossi, me remet, un jour, un bout de papier arraché au cahier de son fils écolier. Mon émotion est grande. Après seulement quelques séances d’alphabétisation dans sa langue, il a réussi à écrire correctement ce qui est son désir le plus profond : « Mam data tuumde » c’est-à-dire « Je veux / je cherche du travail ». Voyant que j’ai bien compris, il éclate de joie car il vient de se donner à lui-même la grande médaille de la libération personnelle !
Ensuite, et après bien des expériences, j’ai mieux compris ce que sont l’épanouissement et la libération personnelle, ainsi que la force du sentiment d’appartenir à la société de ceux qui savent et peuvent jouer un rôle. Se libérer et libérer les autres, voilà ce qui me semble comme la clé de voûte du projet éducatif pour les jeunes et les adultes.

Cela correspond aux principes pédagogiques de l’éducateur brésilien Paulo Freire : réveiller toutes les forces de libération et toutes les attentes que beaucoup de gens portent en eux. Ils doivent devenir les acteurs principaux de leur propre forma-tion et se mettre debout. Programme aussi exigeant pour eux que pour nous !

Dès le début des indépendances, beaucoup d’Etats africains ont cherché des stratégies d’alphabétisation de masse rapides, capables de suractiver le développement du pays. A la suite de l’Unesco, dès 1965, ils ont fait le choix de l’alphabétisation fonctionnelle des adultes en langues nationales. C’était un grand pas. Mais cela visait surtout les masses rurales adultes et les programmes ne voyaient que des aspects considérés utiles au développement : l’éducation civique, l’hygiène et la santé, les activités économiques rentables… Les problèmes pratiques des gens étaient un peu délaissés.

L’alphabétisation qui déçoit.
Ce qui devait permettre aux ignorants et aux exclus d’intégrer rapidement la société mo-derne, a terriblement déçu tout le monde. Les résultats n’ont été concluants ni dans la quantité ni, encore moins, dans la qualité. Les différentes campagnes d’alphabétisation fonctionnelle de masse, appelées parfois « alpha-intensive » ou ‘alpha-commando’, n’ont pas abouti à de meilleurs résultats. Ce constat a été fait un peu partout dans le monde. C’est pourquoi nous pouvons nous poser quelques questions.

Les langues héritées de la colonisation sont devenues langues officielles et, à travers elles, les puissances occidentales continuent d’exercer leur domination géopolitique et culturelle. Cela se fait, la plupart du temps, au détriment des langues locales ou nationales. Or, tous les experts le disent : il est plus logique et plus efficace d’apprendre d’abord à lire et à écrire dans sa propre langue. Il faudra bien qu’un jour elles soient valorisées dans des programmes bilingues couvrant tous les cycles de l’éducation de base.

Pendant longtemps, on s’est entêté à concevoir des programmes uniquement pour les adultes. Les jeunes et, à plus forte raison, les adolescents, en étaient presque exclus. Parce que les jeunes n’ont pas encore de fonction dans la société, qu’ils n’ont pas un travail rémunéré, ils sont, la plupart du temps, exclus des programmes d’éducation non formelle. Il est donc urgent de renverser cette tendance et de leur accorder la priorité.

Le Forum international sur l’éducation non formelle de Niamey, en janvier 2007, a mis le doigt sur le manque de volonté politique à ce niveau. Les pays de l’Afrique de l’Ouest ne consacrent même pas 1 % de leur maigre budget éducatif national à l’éducation de base non formelle. Cela correspond assez bien à la proportion des nantis et des défavorisés dans le monde : 80 % de la population ne dispose que de 20 % des ressources et, dans ce cas, à l’intérieur d’un pays, 60 ou 80 % d’analphabètes ne reçoivent qu’une subvention de misère pour leur éducation.

Niger : la langue haoussa
Après bien des années au Burkina, je suis parti au Niger. Pour poursuivre l’aventure de l’éducation de base, il me fallait connaître convenablement la nouvelle langue. En fait, j’avais eu la chance de faire une année d’études du haoussa à la Sorbonne. Le dicton est bien connu :
« Au pays des aveugles, le borgne est roi. ». On m’a bien vite demandé d’organiser des cours et un stage de formation intensive pour l’apprentissage de cette langue. Les étudiants n’étaient autres que des prêtres et des religieuses du diocèse. Malheureusement, l’extrême mobilité du personnel, la difficulté de l’apprentissage d’une telle langue et, je crois aussi, la diminution du zèle pour s’insérer dans le milieu ont rendu ce travail presque aussi pénible que de prêcher dans le désert. En mars 2007, nous avons clôturé notre 14e stage. Nous étions deux professeurs (le titulaire et le moniteur) pour deux jeunes confrères élèves !

L’éducation de base non formelle.
L’éducation de base non formelle ou, en d’autres termes, l’alphabétisation des jeunes et adultes, la promotion féminine et la récupération des déscolarisés, a pris une ampleur inimaginable. De nombreux essais et expériences ont permis de mettre sur pied un programme. Nous l’avons baptisé « Waye Kai », ce qui veut dire « éveil et réveil ». Ce programme d’alphabétisation et de bibliothèques, soutenu par la « CADEV » (Caritas et Développement) du Niger, est reconnu officiellement.

Le cycle complet comporte six niveaux ou six campagnes d’éducation qui durent chacune de 5 à 7 mois. Les trois premières se font en langue locale et les trois autres sont destinées à l’apprentissage du français, comme langue seconde. Les plus courageux peuvent aller jusqu’à l’obtention du certificat d’études primaires. Au-delà de l’étude de la langue, le programme comporte l’étude des mathématiques et celui des sciences naturelles et sociales, toujours utiles dans la vie des gens.Actuellement, nous travaillons en cinq langues nationales et en français. Au cours de la campagne 2005-2006, nous avons enregistré et suivi environ 250 groupes qui totalisaient près de 3 000 « apprenants ».

Il va sans dire que tout ne marche pas toujours comme sur des roulettes. Par manque de moyens et d’une politique cohérente, nous devons sacrifier la quantité en faveur de la qualité et réduire aussi l’étendue du rayon d’action pour nous concentrer sur les régions moins favorisées par le gouvernement ou par d’autres institutions. Deux centres socio-éducatifs, grâce à Waye Kai, se consacrent à la formation de formateurs. Il s’agit de Birnin Konni, créé en 1995 et de Dogondoutchi, créé en 2002. Le premier « fait des merveilles » écrit l’hebdomadaire « Le Répu-blicain » du 7 février 2007. Des adultes de 25 à 45 ans parviennent à obtenir le certificat d’études primaires au bout de leur cycle d’éducation de base non formelle. En effet, cela a été une première au Niger et leur a valu un « Témoignage de satisfaction » de la part du Gouverneur.

Et… mon travail de prêtre dans tout cela ?
Je suis convaincu qu’éduquer est une tâche primordiale à tous les niveaux. La parole de Nelson Mandela est toujours vraie : « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ». L’éducation est l’un des droits fondamentaux de toute personne. Lutter contre l’analphabétisme, se préoccuper des laissés-pour-compte qui ne sont rien dans la société, c’est faire, à mon avis, une tâche initiale, ainsi qu’atteindre une zone de fracture sociale.

Notre unique Mission, c’est le développement intégral de l’homme, car « la gloire de Dieu, c’est l’homme debout ». Paulo Freire, chrétien convaincu, a dit, en 1971 : « Vous devez avoir, au départ, foi en l’homme, en sa capacité de création et de changement. Il vous faut aimer. »

P. Josep Frigola Ribas
M. Afr


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