Voix d'Afrique N°92.

Je suis
à votre disposition

José María Alcober Brenchat M.Afr.

Je suis né en 1940 dans un petit village de l’Aragon (Espagne). Devenu Missionnaire d’Afrique, c’est le départ, en 1965, pour le diocèse de Bunia, en R.D.C. J’ai passé 20 ans dans des paroisses rurales, puis 5 avec une équipe œcuménique pour la traduction de la Bible. Ensuite, c’est Kisangani, dans une paroisse de quartier…
Après tout ce temps, je me suis trouvé, en l’an 2000, au sud de l’Espagne, ici à Séville, que je ne connaissais pas du tout. C’est assez différent de ma région natale. J’y étais un peu perdu en arrivant, je dois l’avouer.
Avec les Pères qui formaient alors cette communauté, et comme c’était l’habitude, j’ai commencé à collaborer avec la paroisse qui est toute proche de notre maison ; mais j’ai pris aussi d’autres activités : retraites, exercices, etc.

Un jour, quelques jeunes, que j’avais vus occasionnellement dans la paroisse, sont venus me voir à la maison et m’ont demandé de les accompagner pour une semaine de rassemblement et de partage qu’ils organisaient tous les étés. À la date qu’ils me proposaient, j’étais déjà engagé pour un camp de travail avec d’autres jeunes ; je n’ai donc pas pu aller avec eux.

Mais je leur ai demandé qui ils étaient, ce qu’ils faisaient... Ils m’ont expliqué qu’ils faisaient partie d’un groupe de jeunes des Équipes Notre-Dame. Ils avaient une certaine relation avec les équipes de couples fondées par le P. Caffarel en France vers les années 1940, mais, dans leur cas, leurs équipes ne comprenaient que des jeunes et étaient indépendantes du mouvement des couples. Ils ont ajouté qu’à ce m-ment, ils étaient très peu nombreux (3 ou 4 équipes seulement, à Séville, composées de garçons et de filles entre 18 et 30 ans). Ils m’ont confié la difficulté qu’ils avaient, n’étant pas liés à une paroisse ou à une ‘congrégation’, à trouver des prêtres qui veuillent bien les accompagner… sans les diriger !

Ce point m’a beaucoup frappé. Cela m’a même scandalisé. Dans tous les presbytères, on entend des lamentations sur les jeunes : les jeunes ceci, les jeunes cela, les jeunes ont abandonné la foi et l’Église, etc. Et voilà des groupes de jeunes qui en veulent, mais qui ne trouvent pas de prêtres qui soient corps et âme avec eux !

Je considère mon ministère auprès de ces jeunes de Séville comme une tâche missionnaire. N’est-ce pas être “missionnaire” que d’aller vers ceux vers qui personne ne peut (ou ne veut ?) aller ?

L’important c’est d’abord “d’être avec”Je n’ai pas hésité une seconde. Je leur ai dit : « Je suis le moins indiqué pour vous accompagner. Je suis vieux ; je viens de passer toute une vie en Afrique ; je ne connais rien et je n’ai aucune expérience de votre vie de jeunes européens. Mais, tant que vous n’aurez pas trouvé une meilleure solution, si vous le désirez, je suis à votre disposition. »

Ils m’ont pris au mot. Depuis lors, je chemine avec eux. Bien que j’insiste en leur rappelant que j’ai déjà 70 ans, ils ne m’ont pas encore envoyé promener. Selon eux, nous, les missionnaires, avons une ouverture d’esprit, une compréhension, une proximité, une disponibilité et une patience qu’ils ne trouvent pas toujours ailleurs.

Depuis 2 ans, il y a aussi un Jésuite (que certains de ces jeunes avaient connu quand ils étaient au collège) qui les accompagne. Loué soit le Seigneur ! Les 3 ou 4 équipes du début ont disparu, comme c’est normal pour des groupes de jeunes : on termine les études, on se marie, on commence une vie professionnelle, etc. J’ai béni des mariages et j’ai baptisé des enfants de ces premiers équipiers. Actuellement, ici à Séville, il y a une vingtaine d’équipes de jeunes.
Certains de ces jeunes ont fait du volontariat missionnaire en Afrique, à Calcutta, en Amérique Latine. Les Équipes commencent à essaimer en dehors de Séville.

À partir de mon engagement avec les jeunes, j’ai commencé à accompagner aussi plusieurs équipes de couples, dont quel-ques-uns de ces jeunes étaient les enfants. Avec cela et avec d’autres petits engagements (retraites, causeries de formation pour laïcs), je n’ai vraiment pas le temps de m’ennuyer.

Je reçois beaucoup des jeunes.
Que m’apporte cet engagement auprès des jeunes ? Je viens de dire que je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Les jeunes m’obligent à sortir de moi-même, à bouger, à casser la routine, à me questionner et à questionner certaines habitudes. Le fait que des jeunes t’offrent leur confiance, et même leur amitié, c’est un cadeau impayable. Ils empêchent mon cœur de se scléroser trop vite. Je leur en suis très reconnaissant ! Ils m’aident, d’une part, à croire en moi-même (par la confiance qu’ils me font) ; d’autre part, ils m’obligent à une certaine humilité (puisqu’ils n’ont pas peur de t’interpeller et de te mettre en question ; par moments, ils ne peuvent pas se passer de toi et, immédiatement après, ils peuvent ne plus compter sur toi pendant des semaines).

Commencer sans regret un nouveau chapitre. Les jeunes m’ont aidé aussi à vivre quelque chose que, au moins en ce qui me concerne, je considère important : on peut courir le risque de vivre le départ d’Afrique avec une certaine sensation d’échec, quels que soient les motifs de ce retour. On risque de continuer à ‘rêver’ de l’Afrique, de vivre de la nostalgie de ce que l’on a fait et vécu en Afrique, avec pour conséquence de vivre ce qui nous reste à vivre avec une certaine mélancolie désabusée et morne. En ce qui me concerne, cet engagement auprès des jeunes m’a aidé à prendre conscience qu’il y a des moments où il faut savoir mettre un point à la fin d’un chapitre, pour en commencer un nouveau, différent du précédent, mais aussi intéressant.

Je ne regrette rien de mes 35 ans consacrés à l’Afrique. Avec leurs bons et leurs mauvais moments, je suis content et je suis fier de les avoir vécus. Merci à l’Afrique, et merci aux Africains avec qui j’ai eu l’énorme chance de partager la majeure partie de ma vie, et qui l’ont marquée. On m’a dit plus d’une fois : « Même si tu ne parles pas de l’Afrique, on sent que tu viens de là. » Merci aussi à tous ces jeunes et à tous ces couples, à tous ces laïcs de l’école de théologie pour laïcs, avec lesquels je suis en contact depuis mon retour d’Afrique. Ils rendent possible le fait que je sois raisonnablement heureux ici, et que je me sente réalisé dans ma vocation de messager de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ.

José María Alcober Brenchat M.Afr.



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