Le pape Jean-Paul II
et l'Afrique

 

L'Église catholique vit avec un grand sens de l'histoire. La Pologne, le pays qui a donné le pape Jean-Paul II, a une longue histoire de souffrance, d'humiliation et même d'annihilation. Il n'est pas étonnant que le pape polonais ait eu une grande sensibilité pour les gens opprimés et un amour particulier pour l'Afrique, le continent oublié. Plus que la plupart des visiteurs en Afrique, il a été particulièrement conscient des siècles d'esclavage et de colonisation qui ont traumatisé l'âme de l'Afrique. Pendant sa visite au Sénégal en 1992, à l'ancien centre d'esclavage de l'île de Gorée, ce sanctuaire africain de la souffrance noire, il a demandé pardon pour "les aberrations horribles de ceux qui avaient réduit en esclavage leurs frères et sœurs que l'Évangile avait destinés à la liberté".

Il était convaincu que seulement le Christ et son Evangile libérateur pouvaient guérir les blessures de l'histoire, restaurer au peuple africain un sens de dignité et d'identité, de même qu'un orgueil légitime pour sa culture. Il voulait que l'Afrique retrouve sa véritable place dans la famille humaine. A l'occasion de sa visite en 1995, le journal italien La Stampa donnait le commentaire suivant: "Après la chute du mur de Berlin, le pape semble déterminé à détruire un autre mur, celui du silence et de l'oubli… le mur qui sépare l'Afrique du reste du monde, l'indifférence des pays de l'Ouest face au rôle qu'ils ont joué dans la destruction du continent entier."

Jean-Paul II savait pourtant, qu'en dépit d'une histoire d'oppression et d'exploitation aux mains d'un Ouest chrétien, les semences de l'Évangile avaient trouvé en Afrique une terre fertile. Il était convaincu que l'Église africaine avec sa vitalité et son dynamisme pouvait fournir une contribution majeure à la mission de l'Église. Plusieurs images reviennent à l'esprit au souvenir des visites de Jean-Paul II dans 43 pays africains: entre autres, sa rencontre avec Nelson Mandela en Afrique du Sud, avec les jeunes musulmans à Casablanca, à l'invitation du roi Hassan, à Khartoum avec les chrétiens persécutés du Soudan pour leur redonner courage. Mais le but principal de ses 14 voyages était de lancer un défi aux Églises locales pour qu'elles deviennent des agents d'évangélisation, à leur tour, missionnaires pour le monde, même si elles étaient encore perçues en Europe comme des Églises de mission. Avec cette intention en tête, il appela, pour la première fois dans l'histoire, les représentants de l'Église catholique du continent pour un synode sur l'Afrique.

Le pape a souvent été critiqué pour être centralisateur. Et pourtant, il savait que l'Église devait laisser tomber son masque occidental pour s'enraciner dans les différentes cultures du monde. En appelant les divers synodes continentaux, il a créé un espace dans lequel les évêques des Églises locales pouvaient traduire les intuitions de base du concile Vatican II dans leurs propres contextes pastoraux. Au moment du synode, certains ont regretté qu'il ne se soit pas tenu en Afrique, plutôt que dans la Rome lointaine. Cet endroit particulier pour un synode continental souligne la nécessité pour l'Église locale de garder des liens solides avec l'Église universelle. Rome permettait au pape et à la curie romaine d'écouter la voix de l'Église africaine, montrant ainsi au reste de l'Église qu'elle était devenue adulte.

Cette Assemblée spéciale pour l'Afrique du synode des évêques, qui s'ouvrit par une splendide liturgie dans la basilique St-Pierre, a été marquée par deux événements qui mirent en lumière d'une façon particulière les faiblesses et les forces du continent et de ses Églises locales. L'ouverture du synode coïncidait avec le début du génocide au Rwanda. Ce massacre insensé dans un des pays les plus catholiques du continent fut un point d'interrogation sur la façon dont l'Afrique avait été évangélisée. Plus tard le même mois, le système aberrant de l'apartheid était démantelé sans effusion de sang. Certains chrétiens jouèrent un rôle de premier plan dans ce processus pacifique. La bible chrétienne qui avait été utilisée pour réduire les noirs en esclavage pouvait aussi apparaître comme un pouvoir de libération. Ces deux événements forcèrent l'Église à repenser son approche de l'évangélisation.

De façon évidente, quelque chose avait manqué dans la façon qu'avaient eu les missionnaires d'apporter l'Évangile en Afrique. Le synode identifia deux domaines dans lesquels l'évangélisation n'avait pas réussi. Il n'y avait pas eu de véritable dialogue avec les cultures et les religions africaines. Dans l'esprit et le cœur de la plupart des chrétiens africains, les rituels et les pratiques traditionnels avaient continué à côtoyer les croyances chrétiennes. L'étonnant abus de pouvoir, à la fois des régimes coloniaux comme de ceux qui les avaient suivis, démontrèrent combien peu les réalités politiques et économiques avaient été transformées par la vision évangélique. Les pères du synode identifièrent l'inculturation, la justice et la paix comme des éléments de la mission d'aujourd'hui.

Du synode surgit aussi une vision rajeunie de la mission. La clé pour une évangélisation du monde était celle du dialogue: dialogue avec les cultures et les religions, dialogue avec toutes les forces de la société, oui, dialogue même à l'intérieur de l'Église dont la vie devait se modeler selon les valeurs de la famille africaine.

Puisque l'agenda avait été, pour une grande part, déterminé par la curie romaine, on eut peur que les évêques ne fussent muselés. Mais le pape n'est pas intervenu. Il s'assit patiemment et écouta attentivement. Il a pris un long moment après le synode pour soupeser les résolutions et les textes tels que présentés par un groupe d'évêques. Bien qu'il ait mis de côté certaines résolutions des évêques, le document qu'il a finalement porté en Afrique comme chartre de l'évangélisation avait le potentiel pour mener vers une révolution pastorale.


Trois confrères sur la via Aurelia, près de notre MG, en direction de la place St-Pierre le soir du 8 avril, jour des funérailles de Jean-Paul II. La ville et le diocèse de Rome avaient placardé des affiches. Celle de la ville disait : " Merci. Rome pleure et salue son pape. " Celle du diocèse : " Merci Saint-Père. Ton diocèse. " De g. à dr., Simon Gornah (Ghanéen, étudiant au PISAI), Aloysius Ssekamatte (Ougandais, étudiant à la Grégorienne) et André Savard (Canadien, Économe général adjoint).

Jean-Paul II, du fait qu'il a été autrefois acteur, a toujours gardé le sens de l'art dramatique. Il n'a pas simplement publié le document du synode. Il le porta personnellement au peuple africain, de la même façon qu'un missionnaire apporte la Parole de Dieu. Alors qu'il traversait tout le continent, du nord au sud, de l'est à l'ouest, il fit ressortir divers aspects du document synodal.

Il commença par signer le document, non pas à son bureau de Rome, mais lors de son premier arrêt au Cameroun où il présenta l'image de l'Église comme celle d'une famille. L'Afrique du Sud venait tout juste d'abolir sans violence le système d'apartheid et elle apparaissait comme un rayon d'espoir pour le reste de l'Afrique. Elle fut choisie comme endroit idéal pour souligner que la lutte pour une société juste et pacifique était une "partie intégrale de l'évangélisation". Le peuple d'Afrique du Sud était un exemple vivant démontrant que "les difficultés expérimentées en plusieurs endroits d'Afrique pouvaient être surmontées", comme avait dit le synode. Contre les tentations de découragement et de fatalisme, "L'Église a le devoir… de renforcer chez tous les Africains, une espérance de libération authentique". Il incita les Églises à s'engager dans la lutte pour la démocratie, pour la dignité et les droits humains, pour la réconciliation. A temps et à contre-temps, il continua à rappeler au reste du monde sa responsabilité face aux problèmes de l'Afrique et son devoir de soutenir le continent dans sa lutte contre la pauvreté et sa mise en marche du développement humain. Face aux effets désastreux des politiques commerciales néo-libérales sur les économies africaines, aujourd'hui encore, les paroles du pape et ses appels urgents demeurent d'actualité.

Au parc Uhuru de Nairobi, devant un million de personnes, le pape envoya l'Église africaine en mission au cours d'une de ces cérémonies colorées - vibrante de tambours et de danses - qui furent si typiques de tous ses voyages africains. "Le synode est terminé… le synode ne fait que commencer!" Ce furent là ses derniers mots de la soirée. Il avait remis le document synodal entre les mains des évêques, prêtres, catéchistes et laïcs, pour qu'ils le portent dans les petites communautés chrétiennes pour les transformer en agents d'évangélisation. Avec une appréciation particulièrement juste de la véritable force de l'Église africaine, le pape confia les fruits du synode, d'une façon particulière, aux catéchistes "qui, depuis les débuts, comme toujours maintenant, sont les instruments de la fondation et de l'expansion de l'Église".

Est-ce que l'Église a passé le message ou a-t-elle simplement remisé le document sur les étagères? La réponse varie d'un pays à l'autre, d'une paroisse à l'autre. Peut-être le pape a-t-il senti que le synode n'avait pas eu tout l'impact qu'il aurait dû avoir quand - quelques mois avant son décès - il appela pour un deuxième synode sur l'Afrique. Pour réaliser combien le pape Jean-Paul II avait gagné les cœurs des Africains - aussi bien chrétiens, musulmans, qu'adeptes de la religion traditionnelle - il suffit de voir comment ils sont demeurés rivés à leurs écrans de télévision le jour des funérailles pour un dernier au revoir à l'homme qui avait toujours su défendre la dignité de chaque être humain, leur donnant un rayon d'espérance.


Wolfgang Schonecke
Assistant Général 1986-1992
Cologne, Allemagne


Brefs extraits d'Ecclesia in Africa

L'Église Famille de Dieu
donne sa pleine mesure dans les
petites communautés ecclésiales vivantes
… et s'autofinançant

Les Pères du Synode ont reconnu d'emblée que l'Église Famille ne pourra donner sa pleine mesure d'Église que si elle se ramifie en communautés suffisamment petites pour permettre des relations humaines étroites. Ces communautés devront être des lieux de prière et d'écoute de la Parole de Dieu, de responsabilisation des membres eux-mêmes, d'apprentissage de la vie en Église, de réflexion sur les divers problèmes humains à la lumière de l'Évangile. On s'y efforcera de vivre l'amour universel du Christ qui surpasse les barrières des solidarités naturelles des clans, des tribus ou d'autres groupes d'intérêt (n° 89).

Les Pères synodaux ont souligné qu'il est nécessaire que toute communauté chrétienne soit en mesure de pourvoir par elle-même à ses propres besoins. L'évangélisation requiert donc, outre des moyens humains, des moyens matériels et financiers substantiels. ... Il est urgent que les Églises particulières d'Afrique se fixent pour objectif d'arriver au plus tôt à pourvoir elles-mêmes à leurs besoins et à assurer leur autofinancement. Par conséquent, j'invite instamment les Conférences épiscopales, les diocèses et toutes les communautés chrétiennes des Églises du continent à faire diligence pour que cet autofinancement devienne de plus en plus effectif. Par ailleurs, j'adresse un appel aux Églises-sœurs du monde … pour que puissent être consenties aux diocèses dans le besoin, des financements destinés à des projets capables de produire des ressources en vue de l'autofinancement (n° 104).