Voix d'Afrique N°77.....

DU CONGO
AU SAHEL

Jean Bipendo est missionnaire d’Afrique, originaire du Congo.
De passage à Paris, où il poursuit ses études,
il a bien voulu partager son cheminement missionnaire

Le Congo, un paradis
L'Est du Congo est comme un paradis terrestre, des forêts, des ruisseaux et des rivières abondantes, des rizières fertiles, des champs de coton à flanc de coteaux : c'est le pays de Jean. En plus de ces richesses naturelles, le sous-sol est également généreux. Son père avait longtemps travaillé dans les mines de diamant et d'or avant de prendre se retraite. La famille avait tout pour être heureuse. Jean fréquente très tôt l'école primaire locale, puis le collège et la paroisse tenue par les missionnaires. Il ne pense guère à devenir prêtre : cela lui vient peu à peu, comme une semence qui germe lentement. Il a l'habitude de voir les Pères visiter les familles, prendre leur temps pour s'asseoir avec les pauvres : ils connaissent tous les enfants, appellent chacun par son prénom. Chacun peut aller à la paroisse : il est sûr de trouver bon accueil, un verre d'eau, un ballon pour taper dedans, un coin d'ombre pour bavarder.

Missionnaire africain ?
Jean termine ses études secondaires, dans la filière scientifique. Il doit penser à son avenir. Pourquoi pas missionnaire, comme les Pères qui animent sa paroisse ? Mais est-il possible de prendre leur chemin quand on n'est pas européen ? Il pose la question à un prêtre . " Mais bien sûr que tu peux être missionnaire ! Il y a tellement d'Africains qui n'ont pas encore entendu la Bonne Nouvelle. à toi de voir ! " Et c'est vite vu. Sa demande est acceptée et il part pour Bukavu. La philosophie est un domaine tout nouveau, mais il s'accroche. Il est appelé à franchir une nouvelle étape, celle qu'on appelait autrefois le noviciat, à Fribourg, en Suisse.

Premier dépaysement
Quel dépaysement ! Au cœur des Alpes suisses, la neige n'est jamais loin. Jean n'a jamais rencontré un tel froid ! Jamais il n'a glissé sur le verglas. Jamais il n'a perdu l'équilibre sur des routes enneigées. Il est loin de sa forêt congolaise, des rivières toujours bruyantes, des forêts toujours peuplées d'oiseaux, de papillons et de mille autres insectes trottant, sautant, volant sans aucun repos. Guidé par un accompagnateur, Jean explore un autre domaine : lui-même, son cœur, sa relation à Dieu et aux autres. C'est là sa richesse personnelle, unique. Et il entend la voix du Christ : " Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis… " Quelle découverte?! Jusqu'à présent, il avait pensé que le choix de la vie missionnaire dépendait de sa décision propre. Il s'offrait à Dieu. Aujourd'hui la perspective est inversée. Il réalise qu'il s'agit d'une décision qui le dépasse. "?Avant que le monde fut créé, il vous a choisis… " Il répond, humblement, à cet appel.

Chez les Peuhls
Il est envoyé au Burkina Faso, chez les Peuhls. Nouveau dépaysement ! C'est le Sahel, la terre ocre, le sable tourbillonnant, la végétation rare et le soleil accablant. C'est une autre Afrique ! Ce sont d'autres Africains, des nomades. Ils vivent dans de pauvres huttes de boue séchée et d'herbe, avec pour seule richesse quelques troupeaux de vaches. Ils vivent de leur lait. C'est la base de leur alimentation. Ils cultivent peu, surtout du mil. Ils grattent comme ils peuvent quelques arpents de terre en espérant qu'il pleuvra suffisamment pour donner quelque récolte. Lorsqu'ils considèrent que la terre est épuisée, ils ramassent leurs nattes et leurs poteries, ils regroupent leurs bovins et partent pour une autre destination, en espérant qu'il y aura un peu plus de pâturage pour leurs bêtes et un peu plus de pluie pour leur mil. Ce sont des nomades, toujours en voyage.

L'Islam
Le Sahel  dans la région de DoriIls sont musulmans depuis des siècles. Jean connaissait cette religion depuis son Congo natal. Sa mère était musulmane et ne s'était convertie au christianisme qu'au moment de ses fiançailles. Au Congo, l'Islam était celui de Tippo Tip et des envahisseurs esclavagistes contre qui Livingstone, Stanley et les armées coloniales avaient bataillé. Au Sahel, l'Islam fait partie de la tradition. Jean, le missionnaire africain, est une énigme pour les Peuhls : "Comment peut-on être Africain, à peau noire, sans faire les prières musulmanes, sans faire le ramadan ni les prostrations rituelles cinq fois par jour???" Après un stage de deux ans, Jean retourne en France pour terminer ses études de théologie ; après son ordination, il est heureux de repartir au Sahel, chez ses vieux amis.

Immersion
Il continue la tâche qu'il avait commencée pendant son stage, l'étude de la langue. Partout où il va, il a dans sa poche un carnet où il inscrit scrupuleusement un vocabulaire nouveau, des expressions, des proverbes, des tournures de phrases. Il questionne, se fait corriger, améliore sa connaissance de la langue locale. Il ne s'agit pas seulement d'élaborer un dictionnaire et une grammaire, mais d'entrer dans la mentalité même des gens, de discerner leur sagesse, d'étudier leurs traditions. Après quelques années, il confesse en toute modestie qu'il peut les comprendre et se faire comprendre.

" C'est moi qui vous ai choisis "
Ce qui l'anime dans tous ces efforts, c'est cette conviction, cette parole qui a surgi dans son cœur depuis son noviciat à Fribourg : " Ce n'est pas vous qui m'avez Mine d’or au Nord de Dorichoisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. " Chaque jour il rencontre des amis ou des inconnus qui deviennent à leur tour des amis, il se laisse accueillir sur les nattes pour partager la calebasse de lait, parler des événements, de la vie de la famille, d'un deuil ou d'une naissance, d'une fête ou d'une épreuve. Le soir, il rentre chez lui pour mettre en ordre toutes les notes qu'il a emmagasinées dans son calepin, il réfléchit et il prie pour toutes les rencontres qu'il a eues. " Je peux tout en Celui qui me fortifie " : il se répète cette phrase de St Paul. N'est-ce pas là la source de toute la dynamique missionnaire ? Et il se souvient encore de la réponse de Marie à l'Ange : " Qu'il me soit fait selon ta parole ! "

Aujourd'hui Jean est à Paris, à l'Institut Catholique. C'est là qu'il a été envoyé pour approfondir la question du dialogue interreligieux. Il compte bien repartir pour retrouver chez ses amis les peuhls, la présence de Celui qui l'a appelé de la forêt congolaise pour proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres du Sahel.

Gérard Guirauden


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