Missionnaires d'Afrique
France

Voix d'Afrique N°72 Septembre 2006.....

LA MISSION ...
...................................................UNE JOIE

Père Alexis Hellard



Nous avons rencontré le Père Alexis Hellard à la maison de retraite de Bry-sur-Marne. Il nous a parlé de son histoire missionnaire. Nous la partageons avec nos lecteurs : elle est une belle leçon d'optimisme.

 

L'origine en Bretagne

Alexis Hellard, c'est d'abord un grand sourire. Il est plutôt menu. Il passerait inaperçu si ce n'était le grand regard bleu qui brille de la joie de la rencontre. Lorsqu'il vous souhaite la bienvenue, vous avez l'impression qu'il vous attendait depuis des jours. Il descend les marches de la maison de retraite de Bry sur Marne, d'un pas ferme mais lent; il refuse d'utiliser l'ascenseur : " Il faut bien remuer la carcasse ! " Il porte allègrement ses quatre vingt onze ans. Mais d'où vient ce rayonnement ?

C'est la joie du pauvre. Alexis est né en 1915 dans une famille de manœuvre de Saint-Brieuc, l'avant-dernier de six enfants. Il fallait travailler dur au lendemain de la première guerre mondiale et se contenter de peu. La prière en famille était le rendez-vous quotidien, autour de la maman, pieuse comme on en a le secret en Bretagne. Il suit ses frères à l'école des Frères de Lamennais ; il n'est pas le meilleur élève, car le curé de la paroisse l'appelle souvent pour servir la messe, aider lors d'un enterrement, sonner la cloche ou ranger l'autel. C'est là qu'il a commencé à penser devenir prêtre, et pourquoi pas, missionnaire comme ce cousin dont on parle tant dans la famille. Il sera missionnaire en Afrique.

Le premier grand voyage

Et c'est le premier voyage, de Saint-Brieuc à Saint-Laurent d'Olt, de la Bretagne au Rouergue. Il a à peine dix ans lorsqu'il traverse la France, de Rennes à Tours, de Tours à Vierzon, de Vierzon à Saint Flour, et enfin à Saint-Laurent d'Olt. Les apprentis missionnaires étaient élevés à la dure. Pas de chauffage ! Le dortoir est glacial. On ne traîne pas entre la chapelle et les salles de classe. Il n'y a pas de terrain de football car la maison est bâtie sur un promontoire au dessus du Lot, mais les promenades sont toujours une aventure nouvelle. Tout se fait avec ardeur et enthousiasme : études, repas, jeux, disputes et fêtes se suivent d'une année à l'autre, avec l'Afrique à l'horizon.

Formation "à la dure"

Les Pères Blancs, en ce temps là, ne voulaient pas prendre de risque : pas la peine de passer le baccalauréat, car les jeunes risquaient de faire défection en cas de succès, et puis la mission n'a pas besoin de bacheliers ! (les choses ont bien changé depuis!). Après deux ans de philosophie, Alexis traverse la Méditerranée. Le Noviciat de Maison-Carrée, près d'Alger, reçoit cent quarante huit candidats, venus de tous les coins d'Europe et d'Amérique, avec un seul projet : être disciples du Christ pour évangéliser l'Afrique. Le climat humide provoque une bronchite, et lorsqu'il part pour le scolasticat de théologie en Tunisie, le supérieur se plaint auprès du maître des novices : "S'il vous plait, ne m'envoyez plus de cadavres !"

La maladie et la guerre.

Alexis est réformé et ne fera pas le service militaire. Il pèse quarante huit kilos ! Il est ordonné prêtre. Il demande l'Afrique Noire . Il est nommé en Kabylie. Obéissance ! Il a à peine le temps d'apprendre la langue berbère lorsqu'il tombe malade : double pneumonie, trois mois d'hôpital. Il se rétablit si bien qu'il est mobilisé après le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord. Doué pour les langues, il parle l'anglais sans accent et se retrou-ve aumônier militaire. Il suit les troupes d'Oran à Bizerte, puis en Sardaigne et à Toulon, jusqu'à Colmar. Il célèbre la messe, écoute, conseille, toujours avec le grand sourire qui ne le quitte jamais.

La carte de l'Ouganda

Voyage en Ouganda

Il est enfin démobilisé et rentre à Maison-Carrée en 1945. Il essaye sans succès de se lancer dans la comptabilité. Il est envoyé en Ouganda, réputé pour son climat relativement sec et tempéré. C'est le baptême de l'air : Alger, Constantine, Benghazi, le Caire, Khartoum, Asmara, Djibouti, Mogadishu et Nairobi, quel voyage ! Mais il n'est pas encore arrivé : le voyage pour Kampala, capitale de l'Ouganda, se fait par voie ferrée?: trente deux heures de cahots et de fumée au milieu de la brousse et des forêts. Enfin, il est à pied d'œuvre. Première étape : l'étude de la langue locale, les dix classes de noms, la grammaire, ses règles et ses exceptions, les nuances de la prononciation. Alexis se fait vite une réputation de missionnaire doué pour les langues. Puisqu'il est doué, il pourra aller apprendre encore un autre dialecte, dans l'Ounyoro. Décidément, rien ne lui fait peur !

Uganda : Le sanctuaire national des martyrs catholiques à Namugongo
Le sanctuaire de Namugongo où furent martyrisés les saints martyrs de l’Ouganda

La mission florissante

Cinquante ans après l'arrivée de la première caravane de missionnaires, la mission est florissante. C'est le fruit du martyre de Charles Lwanga et ses compagnons, soixante ans plus tôt. Les chrétiens sont nom-breux, les catéchumènes continuent d'affluer, les églises sont pleines. Alexis passionne son auditoire par son enseignement. Il se sert des images de la méthode "Bernadette" avec beaucoup de succès ; les gens en redemandent, et même les païens endurcis se laissent apprivoiser. Les prêtres africains commencent à prendre la relève et le premier évêque africain, Mgr Kiwanuka, est installé à Masaka. Comme il connaît bien la langue anglaise, la langue de l'éducation, Alexis est nommé responsable des écoles. Il passe son temps à visiter les classes, rencontrer les instituteurs, distribuer le matériel scolaire et les salaires, toujours avec le sourire.


Tam-tams et chorale lors du centenaire de la foi en Ouganda

Tout à tous

Après un bref congé en France, il est nommé à Entebbe, la nouvelle ville près du lac et de l'aéroport. Sa paroisse est un ensemble de populations très mélangées : Ougandais, bien sûr, mais aussi des Britanniques expatriés et des commerçants indiens goanais. A la veille de l'indépendance du pays, l'Ouganda semble retrouver une nouvelle vie ; il aspire à plus de liberté ; la colonisation est terminée. Alexis, toujours avec son grand sourire, est devenu l'homme des relations publiques. Pauvres et riches, broussards ou hauts fonctionnaires, Africains de souche, Indiens ou Européens, catholiques ou anglicans, trouvent chez lui un ami qui les comprend, parle leur langue, prend le temps de s'asseoir avec eux. Qu'est-ce qui le fait vivre ? Qu'est-ce qui est à la source de son éternel sourire ? L'Eucharistie. C'est tout simple : comme le Corps du Christ est donné pour être mangé, ainsi le missionnaire trouve sa joie à être mangé. Aucune œuvre spectaculaire ! Alexis a le talent de donner à tous ceux qui le rencontrent l'impression qu'il est unique, qu'il l'attendait et qu'il est prêt à passer tout son temps avec lui.

Il organise et consolide les conseils locaux de chrétiens et le conseil paroissial. Alexis est animé par une simple mais profonde conviction : chaque chrétien, quel que soit son âge, son éducation, son style vie, est unique ; chacun porte en lui une qualité, une grâce nouvelle, inédite, dont toute la communauté peut bénéficier ; nul n'est inutile ! Il suffit simplement de susciter les initiatives, les coordonner, les reconnaître ; c'est ainsi que grandit le Corps du Christ, de l'autel aux foyers.

L'épreuve

Visite du Pape Paul VI en OugandaLe Pape Paul VI vient visiter l'Ouganda : le Père Hellard a la joie de lire en français l'épître de la célébration présidée par le Pape. Il n'oublie pas cet événement. Aussi, il continue malgré les soubresauts politiques, car il est proche des pauvres. Il s'essaye dans les constructions, non pas en faisant appel à des finances venues de généreux donateurs d'Europe ou d'Amérique, mais en suscitant l'initiative et la générosité des communautés locales ; il réussit à mobiliser les gens pour édifier quelques églises, couler des planchers de béton, organiser des kermesses pour collecter localement les fonds nécessaires. Monseigneur Kiwanuka l'appelle pour être son Vicaire Général. Mais le pays est livré aux désordres, aux brigandages, à l'insécurité.

La peur envahit petit à petit la société ougandaise. Le Supérieur Régional des Missionnaires d'Afrique propose à ceux qui le désirent de rentrer chez eux : tous les Pères Blancs, comme un seul homme, choisissent de rester. C'est dans cette ambiance qu'Alexis passe l'épreuve. Il accompagnait un de ses confrères dans un voyage vers Monbasa, lorsqu'ils sont arrêtés par les rebelles qui s'emparent des clés de leur voiture ; le Père Lépine, compagnon du Père Hellard, revient vers la voiture pour récupérer quelques bagages ; il est abattu à bout portant et meurt dans les bras d'Alexis. L'épreuve est rude. Alexis revient en France, épuisé. Après un séjour en hôpital pour soigner une angine cérébro-spinale, il repart pour Nairobi.

Nairobi, la métropole

La capitale du Kenya est comme un mélange de toutes les nationalités. Le Père Hellard s'occupe des chrétiens francophones, quelques centaines de paroissiens venant de dix neuf pays différents. Le milieu est tout autre, mais l'Evangile reste le même ; il engage des catéchistes pour les enfants, mobilise le laïcat pour animer la petite communauté qui risque de perdre son âme dans la grande métropole.

La retraite

Il faut se rendre à la raison : Alexis approche de ses quatre vingts ans. Il demande à se reposer à la maison de retraite de Bry-sur-Marne. Sa santé est fragile, mais son sourire ne s'éteint pas. Son pas est plus lent, mais ses yeux brillent de la joie de chaque rencontre. C'est toujours le soleil d'Ouganda qui rayonne, comme une force indestructible, comme une lumière : "La lumière du Monde, c'est vous!"

Voix d'Afrique

Le Père Alexis Hellard est actuellement dans notre résidence de Billère (Pau)(17-04-2015)



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