Voix d'Afrique N°74.....

UNE VIE EN OUGANDA

Dès les débuts de la Société des
Missionnaires d’Afrique, de nombreux
missionnaires sont venus de
l’Aveyron.
Mgr. Livinhac est un des plus
connus.
Le Père Félix Géraud a suivi sa
trace, jusqu’en Ouganda. Il nous
raconte son cheminement et son
aventure.

 

Un immigré en Algérie

Le Maghreb, Félix le connaît bien. En 1939, c'était la guerre en France, et ses parents pensent que le jeune garçon sera plus en sécurité en Algérie ; un ami réside au cap Matifou, pas loin de Maison Carrée. De l'autre côté de la baie, Alger la Blanche étend ses hautes arcades le long du port. Félix est impressionné par les imposantes bâtisses des Pères Blancs à Maison Carrée, la Maison Mère, la résidence de retraite des anciens missionnaires, appelée " sanatorium ", et le noviciat ; des allées de palmier courent à côté des vignes de l'Harrach. La Méditerranée est toute proche. Félix est spontanément attiré par les populations maghrébines. Voisins, ouvriers, villageois arabes ou kabyles, il les rencontre chaque jour, commence à apprendre quelques rudiments de leur langue.

L'école de la rencontre

Il vient des montagnes de l'Aveyron et a grandi à Béziers, où sont père était cheminot. Il va donc partir pour l'Algérie où il poursuit ses études au collège de Maison Carrée. Les Américains débarquent en Algérie ; c'est avec eux qu'il commence à apprendre l'anglais. Félix Géraud est un homme de contact ; il aime la rencontre, que ce soit avec les fellahs algériens ou les soldats américains. Petit à petit, l'idée de devenir missionnaire grandit au contact des musulmans. Il veut être prêtre pour vivre avec les Kabyles. Mais il n'avait pas étudié le latin au collège.

La guerre est terminée, et les Pères Blancs l'envoient d'abord à St.Laurent d'Olt pour apprendre le latin. C'est là que sont ses racines ; c'est tout près de là qu'il est né, à Séverac-le- Château. C'est aussi le premier séminaire des Missionnaires d'Afrique en France, la première fondation de Lavigerie pour recruter des missionnaires pendant :la deuxième moitié du 19ème siècle. Il est appelé à Kerlois, en Bretagne, pour les premières années de philosophie, puis il traverse encore la Méditerranée pour le " noviciat ". Son premier projet lorsqu'il avait choisi cette vie était de continuer à vivre avec les Kabyles. Mais il est orienté dans une autre direction. Comme il connaît assez l'anglais, et que les Missionnaires d'Afrique forment une société internationale, il est envoyé en Hollande puis en Ecosse pour étudier la théologie. Il partage la vie de nom-breux jeunes étudiants venus de Hollande, d'Allemagne, de Grande Bretagne, du Canada. Lorsqu'il est ordonné prêtre en 1957, il n'est pas surpris de se voir nommé en Afrique de l'Est, en Ouganda.


1988 : Félix, Peter et Georges

A la suite de Livinhac et de Lourdel

De l'Aveyron natal, il a gardé l'accent et la chanson. De l'Algérie, il a appris la joie de la rencontre. Dans les rudes climats du nord de l'Europe, il a fait l'expérience de l'appel à partager l'Evangile, sur les traces de la première caravane, de Livinhac et de Lourdel, les fondateurs de l'église de l'Ouganda. Apprendre la langue n'est guère un problème. Une fois les rudiments assimilés auprès de ses aînés missionnaires, il pose ses cantines dans l'Est du pays, pas loin des frontières avec le Rwanda et le Congo (alors colonie belge). Il restera vingt ans à Nyarushange, dans le diocèse de Mbarara. Il fait un peu partie du paysage ! Il enseigne, célèbre, anime la grande paroisse. Au début du 20ème siècle, un catéchiste ougandais, Yohana Kitagana, a commencé le travail d'évangélisation ; cent ans après, on se souvient encore de son passage et de ses travaux.

Premières années

Le premier problème est d'ordre géographique. Le territoire de la mission est divisé en deux par une grande plaine marécageuse. Il entreprend de la drainer et d'y construire quelques pistes et des ponts, de sorte que la moitié de la population, qui résidait sur l'autre versant de la vallée, puisse venir à la mission pour les instructions, les baptêmes d'adultes et les grandes fêtes. Autre avantage, les marécages, une fois drainés, deviennent des jardins et des champs pour améliorer la vie quotidienne des Ougandais. Avec sa communauté missionnaire, il rassemble, il enseigne, il libère. Les premières années de l'Ouganda indépendant sont marquées par un éveil à la démocratie, très vite troublée par les disputes, les jalousies, les révolutions, la dictature. Mais la vie continue. Les missionnaires catholiques ont rencontré dès les débuts les problèmes œcuméniques ; les anglicans et les colons britanniques auraient préféré que les deux églises se partagent leurs zones d'influence. La concurrence a été de règle pendant des décennies. Les sujets de frictions étaient fréquents. Après Vatican II, les relations sont devenues respectueuses, voire cordiales.


1989 : Félix Géraud avec son remplaçant, le nouveau curé de Nyarushange

Seforosa

Seforosa est une bonne paroissienne qui n'a pas eu beaucoup de chance. C'est une " pauvre ". Elle ne sait ni lire ni écrire, mais elle sait tenir sa maison et prier. Son mari la rudoie souvent. Elle souffre de migraines graves. Or un jour, dans un rêve, elle a la vision qui rappelle celle d'Ezechiel : un temple d'où coule une rivière qui vient jusqu'à elle. Une voix lui ordonne : " Va te laver à la fontaine et tu seras guérie ". Elle obéit et la voilà guérie ! Elle invite quelques uns de ses proches à y aller. Un voisin souffre de poliomyélite et se traîne péniblement avec des béquilles depuis plus de vingt ans. Il va à la source et on l'y plonge une fois, deux fois, trois fois. A la troisième fois, il demande un bâton, et il sort tout seul, courant et bondissant de joie, comme le paralytique de Capharnaüm de l'Evangile. Les pères n'interviennent pas. Lorsque les autorités du parti politique unique viennent faire une enquête, Seforosa leur dit tout crûment : "Amin a vidé tous nos magasins et nos hôpitaux ; il est impossible de trouver des remèdes pour soulager nos souffrances. C'est le Seigneur et sa Mère qui viennent nous aider !" De fait, ils sont nombreux ceux qui trouvent à la fontaine de Seforosa la santé. Le mouvement dura un peu plus d'un an.


1989 : Félix Géraud à Nyarushange

Souffrances, guerres, deuils

La tension politique grandit sous la dictature d'Amin Dada. Il faudra une guerre pour qu'il soit chassé. Oboté le remplace, chassé à son tour par Museveni. Dans le Rwanda voisin, c'est le drame innommable, le génocide, les souffrances et les deuils de milliers de familles. Félix Géraud assiste impuissant à la crise. L'Eglise est concernée par les luttes tribales, car les Ougandais de l'Est du pays sont parents des Hutus et des Tutsis, et le risque est grand de voir les luttes passer la frontière jusqu'en Ouganda.

Une nouvelle paroisse


2004 :
L’église de Namutyobora

Aujourd'hui, Félix est en ville, à Mbarara, où il fonde une nouvelle paroisse. Eglise, presbytère, couvents, annexes et écoles doivent être construits. Mais surtout, il rassemble les chrétiens, enseigne les catéchumènes, rencontre les pauvres et les riches. Sa longue expérience dans la région lui donne une compétence inégalée en langue rushiga, dialecte courant au sud-est de l'Ouganda.

La moisson est abondante

Aujourd'hui, Félix fête ses quatre-vingts ans et ses cinquante ans de sacerdoce, de vie missionnaire en Ouganda. Il est venu célébrer avec ses amis et sa famille. Bientôt, il reprendra l'avion. La semence jetée par Livinhac et Lourdel, et les anciens des premières caravanes de 1878 porte fruits. Après les Saints Martyrs, d'autres témoins Ougandais se lèvent maintenant. " La moisson est abondante ! "

Voix d'Afrique

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