Voix d'Afrique N°101.

Formes contemporaines d’esclavage
en Afrique


« De riches familiers paient
pour exploiter ensuite des enfants »

Le 125e anniversaire de la campagne anti-esclavagiste que nous célébrons cette année coïncide avec quelques anniversaires remarquables en Afrique. Cette année, certains pays africains ont célébré, ou vont célébrer, leur 50e anniversaire d’indépendance du gouvernement colonial : ainsi le Ghana, la RDC, le Burundi, la Tanzanie, pour n’en mentionner que quelques-uns. Beaucoup de leaders et orateurs ont préféré appeler cet événement “l’anniversaire doré de l’autodétermination”.

Arrivant à ce point de l’histoire, on peut espérer que les citoyens de ce continent expriment leur jubilation, mais la ques-tion demeure : l’esclavage est-il du passé ou menace-t-il encore aujourd’hui ?

La Cour pénale internationale Un tour d’horizon montre que la tristesse et la pâleur de beaucoup de visages africains ne reflètent pas l’indépendance. Libérée de l’esclavage antérieur et de la récente domination coloniale, l’Afrique contemporaine et le reste du monde continuent de souffrir de nouvelles formes d’esclavage. Ce n’est pas rare que des êtres humains soient vendus comme une quelconque matière première. La différence est qu’ils ne sont pas enregistrés à la bourse. La mort récente de migrants illégaux en Tanzanie, le naufrage de bateaux se dirigeant vers l’Europe et d’autres événements similaires soulèvent la question de savoir qui est impliqué dans ce commerce odieux.

Une de ces formes d’esclavage est le recrutement “professionnel” de domestiques pour les marchés étrangers. Des entrepreneurs astucieux ont réalisé un commerce lucratif en recrutant des personnes, spécialement des femmes, destinées au travail domestique dans les villes et/ou dans des pays étrangers. À l’aéroport international de Nairobi, les récents cris et menaces concernant le rappel de ce genre de visas ont montré le nombre important de personnes impliquées. Les récits de leurs mauvais traitements au travail font beaucoup réfléchir.

La Cour pénale internationale et d’autres institutions sont toujours occupées avec la question des enfants soldats. La plupart des guerres de libération en Afrique ne se font pas sans eux. Qu’en est-il de l’abus des enfants qu’on met au travail, facilité par un ensemble d’agents, de parents, familiers et institutions ? Avec le récent effondrement économique et le coût élevé de la vie, beaucoup trouvent l’éducation très chère. De riches familiers paient pour exploiter ensuite des en-fants, sous prétexte d’assister financièrement la famille : « Laisse-moi la placer dans une meilleure école en ville. » On la retrouve ensuite travaillant comme jeune domestique et, plus tard, comme prostituée dans les rues. À côté de la prostitution dans les rues de Nairobi, il est courant que des employés qui travaillent dans des compagnies, souvent des femmes, terminent au lit avec le propriétaire, pour un pourboire ou à cause d’une menace.

Quant à l’autodétermination, certains de nos leaders ont fait du leadership postindépendance un moyen d’enrichissement poureux et leurs familles. Les événements du Printemps arabe et d’autres le confirment. Une fois élu pour un service public, on utilise les fonds disponibles pour son profit et on se rappelle les citoyens qu’on devait représenter seulement à l’aube d’une autre élection. Pour une telle personne, la réélection passe par la corruption des électeurs – une pratique devenue si commune que certains pensent qu’elle est acceptable. Cette manipulation des électeurs est une forme d’esclavage. Ce qui leur appartient de droit leur est donné seulement comme une incitation, qu’ils reçoivent à genoux.


Autre forme d’esclavage : l’asservissement religieux

L’asservissement idéologique et relationnel est plus caché et difficile à accepter. À côté de ce que nous lisons dans les magazines au sujet des relations, il en existe de multiples autres formes. Ainsi, n’ayant pas le courage de quitter un chemin, on y continue insatisfait. On a constaté des travaux de mauvaise qualité à cause de l’attribution des contrats aux mêmes compagnies. Ceux qui les établissent ont développé une telle dépendance dans la relation (confiance aveugle) qu’ils ne peu-vent pas considérer de meilleures alternatives. En beaucoup d’institutions, le rapport entre le travail effectué et le salaire reçu laisse beaucoup à désirer. Alors que certains sont justement rétribués, d’autres sont simplement payés, non pas pour ce qu’ils font, mais à cause de leur relation avec l’autorité de l’institution. Devant une telle situation, le silence est une forme d’acceptation d’un asservissement ; si c’est un acte de charité, qu’il soit authentique ; sinon, que chacun reçoive ce qu’il mérite.

Au plan personnel, il y a “l’asservissement du caractère”. Parce que missionnaires, nous sommes toujours encouragés à nous adapter. Cependant, on peut entendre souvent cette affirmation : « Il ou elle est simplement ainsi ». Nous pouvons conclure que ni la personne ni son voisin n’aiment ou n’admirent ce trait de caractère ; mais, incapables de le défier, ils l’acceptent, ils “rengainent”. Est-ce si différent de l’asservissement puisque la personne y est enchaînée alors que le voisin est prisonnier du comportement dégoûtant de cette personne ?

Une autre forme d’esclavage est l’asservissement religieux. Le professeur John Mbiti a parlé des Africains comme étant « notoirement religieux ». Oui, c’est très vrai et, d’une façon, très positif ! Il y a très peu d’Africains qui déclarent ouvertement qu’ils sont athées ou agnostiques. Mais, malheureusement, cette “religiosité innée” positive est une source d’asservissement pour beaucoup d’Africains. Beaucoup sont “esclaves” de leurs “croyances religieuses et de leurs leaders”, non seulement dans les nouveaux mouvements et sectes en croissance mais aussi dans les communautés de foi bien établies, chrétiennes et musulmanes, sans oublier celles au sein de la religion traditionnelle africaine. Des personnes sans scrupule exploitent cela pour asservir leurs semblables, spécialement les pauvres, pour satisfaire leur cupidité charnelle et économique. L’asservissement religieux est donc une autre forme d’esclavage que nous devons traiter actuellement. Le cardinal Lavigerie considérait l’évangélisation de l’Afrique comme un long processus d’éradication de l’esclavage spirituel, intellectuel et physique. Nous devons témoigner d’un christianisme qui libère la personne et qui ne l’asservit pas !

La liste des formes d’esclavage est très longue. Ces exemples sont des phénomènes communs dans nos champs d’apostolat. La campagne anti-esclavagiste du cardinal Lavigerie est loin d’être terminée ! Quel meilleur tribut pouvons-nous payer à Dieu, à notre fondateur, au monde africain et à nous-mêmes que de lutter pour la libération totale et la joie authentique de la personne humaine ?

Mucunguzi Africano M. Afr.
Maison de formation de Nairobi


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