Voix d'Afrique N°93.

Enfants sorciers à Kinshasa


“ Nous ne sommes pas des sorciers ! ”



L
a République Démocratique du Congo (RDC) a connu le fléau des enfants soldats. Elle doit aujourd’hui faire face à un autre problème, tout aussi inquiétant, celui des enfants sorciers. Sa capitale Kinshasa : huit millions d’habitants au bord du fleuve Congo et 25 000 enfants abandonnés. Les trois quarts d’entre eux ont été chassés par leurs familles pour ce seul motif : ces gamins sont de petits sorciers… Le phénomène, apparu dans les années 90, a pris des proportions inquiétantes, alimenté par les nouvelles Églises indépendantes, dites du Réveil, dont les pasteurs assoient leurs réputations sur de prétendus exorcismes. Accusés d’être des suppôts de Satan, des enfants sont chassés de leur famille et violentés, avant de fuir dans la rue. Ont-ils vraiment le mauvais œil, sont-ils vraiment à l’origine de malheurs, d’accidents, de désagréments survenus dans leur famille ou leur quartier ? Faut-il croire la rumeur publique qui accuse et condamne des enfants qui parfois savent à peine parler ?

Avant 1990, on parlait très peu d’enfants sorciers à Kinshasa. On accusait parfois des vieilles personnes d’être des “sorcières”, surtout si elles n’étaient plus rentables. Aujourd’hui, on s’en prend aux enfants et on dit qu’ils sont sorciers : ils deviennent encombrants et inutiles pour des parents qui ne peuvent plus les nourrir.

Depuis l’indépendance, la RDC a connu beaucoup de crises très fortes : chômage, inflation, guerres répétées, problèmes sociaux, crises économiques et politiques se sont succédé dans ce pays plein de capacités et dont la population demeure l’une des plus pauvres de la planète.

En plus de ces difficultés et de l’appauvrissement général, il y a les crises institutionnelles : services de santé non adaptés, faiblesse du système juridique, incapacité de la société civile, absence de services de base, d’assistance sociale, d’État tout court. Les familles sont souvent désemparées face à la multiplicité des problèmes qu’elles affrontent (accident, maladie, mort, perte d’un emploi…). Viennent alors les accusations. Elles cherchent quelqu’un sur qui faire porter la responsabilité de leurs malheurs et elles le trouvent dans l’un de leurs enfants, qu’elles chargent de tous leurs maux. L’enfant devient alors le centre de violents conflits familiaux.

En plus de la pauvreté et de la misère, le début des années 90 a vu la prolifération des « Églises du réveil ». Les patrons de ces Églises, pasteurs et prophètes, prennent leur distance avec les Églises catholiques ou protestantes. Ils ont fait beaucoup d’adeptes dans tout le pays et leurs prédications font croire que seuls les sorciers sont responsables de leurs misères. Naît alors l’idée de l’enfant « sorcier » ! La démarche est simple : une prophétie ou une vision du pasteur suffit pour accuser un enfant d’être sorcier. Et sa parole acquière une force sacrée.

On cherche des boucs émissaires

« Les reproches faits aux en-fants sont toujours les mêmes : ces enfants se changeraient dans le monde invisible, effectuant des visites nocturnes, « mangeant la chair et buvant le sang » de leurs victimes. Des petites filles sont suspectées de se transformer en femmes pour attirer dans leurs lits des hommes, puis de faire disparaître leurs organes génitaux pour les frapper d’impuissance. D’autres encore se transformeraient en serpents ou en crocodiles. On dit encore que les enfants deviennent sorciers à la suite d’un cadeau « empoisonné », offert en général par une femme : une mère, une grand-mère, une tante, une voisine ou une commerçante. »

Qui sont les enfants les plus vulnérables à l’accusation de sorcellerie ? L’âge propice pour ces accusations va de 3 à 18 ans. Ils sont généralement orphelins de père ou de mère ou des deux parents ; ils ont souvent un handicap physique (grande tête, ventre ballonné, yeux rouges, etc.), ou une maladie physique (épilepsie, tuberculose, etc.) et psychique (autisme, trisomie, bégaiement). Il y a aussi les enfants au comportement insolite, ceux qui sont têtus, agressifs, pensifs, solitaires ou paresseux. Les guerres civiles, les coups d’État ont fait beaucoup de morts. Aussi le nombre des orphelins a bien grandi et les familles proches n’arrivent plus à les prendre en charge.

Les conséquences des accusations

A partir du moment où l’enfant est accusé de sorcellerie, il n’est plus un enfant, il est sorcier.
Pour l’enfant, la première des conséquences de cette accusation est la violence, qu’elle soit mentale (humiliation, mépris, impudence, insolence, etc.) ou physique. Cette violence est acceptée non seulement par la famille ou le quartier, mais aussi par les forces de l’ordre. De fait, il faut lutter contre les personnes regardées comme maléfiques qui, tout en perturbant l’ordre social, incarnent non seulement le mal personnel mais aussi le mal général. Différents mécanismes sociaux, légitimes ou illégitimes, ont été mis en place pour lutter contre le mal. L’abandon, le rejet ou l’infanticide, sont souvent fondés aux yeux de la population qui les exerce et demeurent des solutions possibles pour se « débarrasser » du danger incarné par un enfant. Bien que la mise à mort de l’enfant représente un moyen de « régler le problème », les parents peuvent opter pour d’autres solutions : désigné sorcier, l’enfant peut être amené dans les églises afin d’y trouver une « guérison ».

Le rôle des Églises

A la tombée de la nuit, on retrouve les enfants allongés le long des bâtiments...Les Églises indépendantes sont plus de 7 000 dans la capitale congolaise, et elles sont devenues un rouage essentiel dans le processus qui mène de nombreuses familles à abandonner leurs enfants. Par la caution spirituelle qu’elles donnent aux familles inquiètes, ces communautés ont transformé, en moins de vingt ans, un phénomène restreint en une réalité sociale banale et acceptable. « Dès qu’un enfant est suspecté de sorcellerie, la réaction des parents et des voisins est plutôt violente. « Quand on a soupçonné que notre fils était sorcier, on l’a tapé. Son père voulait le tuer. Il l’a jeté violemment par terre », déclare une maman, adepte d’une Église du réveil. Réprimandes, injures, humiliations, moqueries, privations de repas, brûlures et autres violences physiques pouvant conduire à la mort, comme le supplice du collier, qui consiste à placer un pneu enflammé autour de la poitrine de l’enfant… la gamme des sévices est étendue. Parfois, le gamin est jeté dehors, quand il ne choisit pas spontanément d’aller dans la rue pour échapper aux cruautés dont il est l’objet. »

De leur côté, au nom de Dieu, les pasteurs prophètes des Églises indépendantes proposent de « délivrer » les ‘enfants-sorciers’ contre une coquette somme d’argent. Pour parvenir à faire avouer à l’enfant sa sorcellerie, tous les moyens sont bons : jeûne pendant plusieurs jours, purge à l’huile de palme bue en grande quantité, produit mis dans les yeux, brûlures à la bougie…

Si l’enfant finit par « accepter » qu’il est sorcier, ou s’il est trop jeune pour fuir ou protester, on organise un rituel d’aveu collectif, suivi d’une spectaculaire et lucrative délivrance dans la communauté des fidèles. Si l’enfant survit à ce traitement « spirituel », il sera stigmatisé comme sorcier et rejeté par sa famille

Bien sûr, les consultations, cérémonies, séances de prières et autres rituels destinés à délivrer les gamins ne sont pas gratuits. A tout moment, les fidèles doivent passer à la caisse. Encouragés par leurs pasteurs, tous raclent leurs fonds de tiroirs pour en extraire les derniers francs congolais qui leur restent. Personne ne rechigne.
Beaucoup de ces prophètes-pasteurs sont aujourd’hui les nouveaux riches et les nouvelles figures de la réussite sociale et du pouvoir.

Que deviennent ces enfants ?

Ils mendient à longueur de journée  ou vivent de petits travaux...Chassés par leur famille après leur ‘confession’, ils sont près de 20.000 enfants à errer, pieds nus, sales, dans les rues de Kinshasa. On les appelle «shégués». Seuls ou en bande, ils mendient à longueur de journée ou vivent de petits travaux. Ils doivent se débrouiller jour et nuit pour trouver de quoi se nourrir. Facilement exploités, ils transportent parfois des charges énormes pour des sommes dérisoires. D’autres encore se livrent à des pratiques illégales et dangereuses, comme le trafic ou la vente de drogues et d’alcool. Au dire des gens, ce sont tous des escrocs, des voleurs, des bandits.

Pour les filles, la vie de la rue est encore plus difficile. Souvent, elles doivent se livrer à la prostitution dès 6 ou 7 ans. Cela devient presqu’une obligation. Bien que consentis, les rapports ne sont pas pour autant protégés. A la tombée de la nuit, on retrouve les enfants allongés le long des bâtiments, dans des maisons en construction ou sur les étals des commerçants. Dans le meilleur des cas, ils se couvrent d’un bout de carton.

Et toujours la violence…

Les violences physiques que beaucoup ont connues durant leur ‘désenvoûtement’ continuent souvent dans la rue. Même si la rue est devenue pour eux comme un refuge, ils continuent à être battus et maltraités soit par leurs « camarades » de la rue plus âgés, soit par la population. Les plus jeunes sont souvent frappés à coups de pieds, de bâton, brûlés, afin qu’ils donnent l’argent gagné dans la journée ou afin d’obtenir loyauté et obéissance de leur part, car chaque groupe est contrôlé par un «chef ». Les filles comme les garçons sont souvent exposées à des violences sexuelles. Nombreux sont ceux ou celles, âgés parfois d’à peine 8 ans, qui ont été victimes de viols, souvent répétés, commis par des civils ou par les forces de l’ordre. Les enfants vivent ainsi dans les souffrances, la honte et l’incapacité à décrire ces violences sexuelles. Ces conditions de vie insupportables font que ces enfants n’atteignent que rarement l’âge adulte.

…Même de la part des autorités

Les enfants vivant dans les rues vivent dans la crainte des forces de l’ordre (police ou gendarmerie), censées les protéger. Beaucoup parlent de nombreux cas d’abus, de vols, de menaces et de violences de la part des autorités étatiques. Parfois même ces enfants sont recrutés par ces mêmes policiers pour voler et piller.

« La vie est dure ici dans la rue, nous sommes tout le temps harcelés par les militaires. Ils viennent la nuit, n’importe quand après 22 heures. Ils nous frappent ou nous donnent des coups de pied. Ils réclament régulièrement de l’argent ou des objets qu’ils peuvent vendre, comme des téléphones portables. Seuls ceux qui s’enfuient et ne sont pas rattrapés sont hors de danger. »

Autres dangers

La drogue joue un rôle important dans la vie quotidienne des enfants de la rue ; la consommation de cannabis, valium ou colle est fréquente. L’alcool est également présent. On trouve ces drogues assez facilement sur les mar-chés. Consommer de la drogue donne aux enfants force et pouvoir : « Lorsque tu fumes le cannabis, tu es très en colère et tu deviens une machine de guerre ». Elle représente également une échappatoire à la misère, car elle procure le sommeil la nuit, efface les problèmes, élimine la honte et parfois empêche la faim.

Que fait l’État ?

Cette violence endémique contre les enfants n’est pas légitimée seulement par les populations mais également par l’État qui n’intervient que rarement lors d’un évènement violent collectif et n’applique guère de sanctions légales envers les bourreaux. Parfois les autorités elles- mêmes sont impliquées dans la violation des lois. Face à ces violences, les États se sentent souvent désarmés.

Des Congolais travaillent à réinsérer les ‘enfants des rues’En fait, il faut comprendre que, dans un pays déjà dépassé par de nombreux drames, la tragédie des enfants sorciers n’attire pas une attention particulière chez les dirigeants congolais. « La loi congolaise prévoit des sanctions contre quiconque accuserait un enfant de sorcier, dit un fonctionnaire de Kinshasa, mais vous comprenez qu’il est assez difficile d’avoir accès à ce genre de situation. Tout se passe entre la famille et l’Église… »

« Les députés provinciaux savent bien combien le discours de certaines Églises est devenu dangereux lorsqu’ils accusent les enfants de sorcellerie. Mais malheureusement, aucune solution n’est envisagée à ce jour au niveau institutionnel, particulièrement au sein du parlement provincial ».

Que faire ?

L’accusation de sorcellerie est pourtant illégale. Depuis janvier 2011, grâce au travail acharné de structures civiles comme le Réseau des éducateurs des enfants et jeunes de la rue (Reejer), d’ONG comme Save the Children ou de l’Unicef, un tribunal chargé de faire respecter la Convention relative aux droits de l’enfant a été mis en place. La baisse du nombre de rafles d’enfants effectuées par la police est déjà considérée comme une victoire.

« Au cours des quatre dernières années, Save the Children a réussi à rassembler à Kinshasa et à Mbuji-Mayi, environ 8 000 enfants en rupture avec leurs familles. La difficulté est que, quand une solution est trouvée en aval, en même temps en amont, de nouveaux enfants sont déversés dans la rue (chaque mois, environ 650 enfants débarquent ainsi dans les rues de Kinshasa, 65 bébés y naissent, un tiers des enfants seulement est en contact avec une structure associative).

Il existe un programme social élaboré par le gouvernement provincial et qui prend en compte la protection de l’enfant dans toutes ses dimensions. Mais pour le moment, ce gouvernement local n’a pas encore suffisamment de moyens pour l’exécuter dans sa totalité, notamment pour ce qui est du programme relatif aux enfants accusés de sorcellerie.

Certaines agences des Nations Unies appuient financièrement les divisions provinciales chargées des affaires sociales. L’intervention de l’Unicef et celles des autres acteurs ( structures catholiques dont la Congrégation des Sœurs de Sainte Marie de Kisantu, ONG Save the Children avec d’autres ONG locales) ont permis de récupérer et de réinsérer environ 8 000 en-fants, depuis 2007, dans des familles ou des centres d’accueil.

Les instruments juridiques existent, tels la Chartre Africaine des Droits et du Bien-être de l’enfant, la Convention Internationa-le relative aux droits de l’Enfant et en particulier l’article 19 qui requiert que “Les États prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitement ou d’exploitation (...) “
Mais il y a loin des textes à la réalité !

Voix d’Afrique
d’après des sources diverses



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