Voix d'Afrique N°81.....

LES EMEUTES DE LA FAIM

Le savoir-faire des hommes remplit les greniers.?Mais rien ne se fait sans l’aide de Dieu qui donne la pluie.Tout le premier semestre de cette année a été marqué par les émeutes de la faim dans de nombreux pays. Pour ne parler que de l’Afrique, le Burkina Faso, le Cameroun, le Sénégal, la Mauritanie, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, et le Maroc ont connu des manifestations de colère. Si la crise alimentaire ne pose essentiellement, dans les pays déve-loppés, qu’une question de pouvoir d’achat, ses consé-quences sont plus graves dans les pays du sud.
Le prix du blé a doublé entre février 2007 et février 2008. Le prix du riz a atteint son niveau le plus élevé depuis dix ans. Dans certains pays, c’est le prix du lait et du pain qui ont plus que doublé. Et par-tout, on s’inquiète de l’utilisation industrielle des céréales pour fabriquer des biocarburants.
De nombreuses causes ont été avancées pour expli-quer la situation. Quelle est leur part réelle ? Quel-les seront les conséquences de la hausse des prix sur la sécurité alimentaire et sur l’agriculture dans ces pays ? Quelles solutions peut-on envisager pour gérer cette crise et en sortir ?

Tout n’est pas simple. Les causes sont multiples, les unes structurelles, les au-tres, conjoncturelles. Dans certains pays (Brésil, Chine, Inde), le pouvoir d’achat des gens a augmenté, d’où la consommation alimentaire qui s’accroît. Dans les villes qui grandissent très rapidement, les habitudes alimentaires changent avec une consommation de viande plus élevée. Par contre, la production agricole est moins excédentaire qu’il y a dix ans, et le marché, plus tendu.

Autre raison de la flambée des prix, des accidents climatiques (sécheresse en Australie, typhon au Bangladesh, hiver plus froid en Chine…) ont engendré de mauvaises récoltes. Aussi, la demande augmente et l’offre diminue. De plus, certains pays exportateurs ont anticipé une hausse des prix en limitant les mises en marché (Vietnam et Chine pour le riz). Enfin, les courtiers en céréales tablent sur une hausse de la demande pour les biocarburants et une baisse de l’offre. Comme rien ne régule le marché, les prix sont plus fluctuants. Libéralisation obligeant, les Etats n’interviennent plus et les stocks de céréales sont très bas.

Part des biocarburants dans cette hausse ?
En réalité, ce ne sont pas les volumes actuels de produits agricoles destinés aux biocarburants qui expliquent la hausse des prix, sauf pour le maïs aux Etats-Unis. D’après des spécialistes, la part des céréales destinée aux usages non alimentaires équivaut à moins de 5 %. Celle de l’alimentation humaine représente 55 % et l’alimentation animale, 30 %. Donc, les volumes destinés aux biocarburants sont, pour le moment, faibles. Mais, l’augmentation annoncée de l’utilisation des céréales pour des biocarburants accroît l’intérêt des spéculateurs financiers. Ainsi, l’anticipation de cette hausse de la demande explique, en partie, la flambée des prix.

La hausse du prix du baril se répercute aussi  sur l’agriculturePart de la hausse du prix du pétrole ?
Le pétrole est passé, depuis 2003, de 30 $ à 150 $ (en juillet 2008). Cette augmentation de prix se répercute : les engrais qui, en majorité, requièrent l’utilisation de pétrole ou plus souvent du gaz naturel pour leur fabrication, sont plus chers ; l’utilisation des machines agricoles renchérit aussi le coût de production des matières agricoles, ainsi que les frais liés à leur transport.
Il faudrait inventer une agriculture et une industrie agro-alimentaire moins gourmande en énergie. C’est un enjeu majeur.

Part de la crise financière
Avec la crise de l’immobilier aux U.S.A, les matières pre-mières sont devenues des va-leurs refuges et donc spéculatives. Et cette spéculation sur les matières premières agricoles est nouvelle. L’annonce de la faibles-se des stocks de riz et l’arrêt de leurs exportations par quatre pays ont fait monter le prix de cette denrée. Les pays exportateurs freinent ou arrêtent plus tôt leurs ventes aux pays importateurs, de peur d’être, eux aussi, en rupture et de voir les prix intérieurs augmenter fortement. Dans le même temps, des négociants en profitent pour stocker et accroître leurs marges.

Conséquences de la hausse des prix alimentaires pour les pays du Sud
Les prix des céréales augmentent.?Mais, dans leur sillage, tous les autres produits courants (huile, savon, sel...) opèrent le même mouvement.Ce sont surtout les pays qui importent beaucoup de produits alimentaires qui souffrent de cette hausse, et, dans ces pays, surtout les populations pauvres qui ont peu de marges de manœuvre pour y faire face. Leur revenu est essentiellement consacré à l’achat d’aliments dont le prix est lié à ceux des produits agricoles. En Côte d’Ivoire, le prix du riz a doublé en 12 mois. L’huile de palme, produit essentiel pour l’alimentation dans de nombreux pays, est devenue, elle aussi, inaccessible, principalement en raison de son usage énergétique. Ces hausses pénalisent fortement les consommateurs, d’autant plus fortement que depuis plusieurs mois les niveaux de prix épuisent leurs ressources.

Il est vrai que cette hausse des prix n’est pas la première pour ces pays. En 1994, la dévaluation de 50 % du franc CFA, dans les pays d’Afrique francophone, avait provoqué le quasi-doublement des prix des aliments importés. Mais elle ne s’est pas traduite par des émeutes comme cela a été le cas cette année.
Aujourd’hui, la donne a changé : la marge de manœuvre des populations, après des décennies de crise économique, est très réduite.

On pourrait penser que cette hausse des prix avantage les petits producteurs du Sud. En fait, il n’en est rien et ceci pour deux raisons principales : en effet, les prix à la production augmentent beaucoup moins vite qu’à la consommation ; la dépendance alimentaire des pays en développement s’est accentuée, faisant peser la hausse des prix agricoles avant tout sur la consommation.

“Depuis plusieurs mois, les niveaux de prix épuisent leurs ressources”Conséquences sur le secteur agricole
L’augmentation des prix des produits importés a poussé les ménages à mieux consommer les produits locaux. Il est vrai que, depuis trente ans, les filières de l‘agriculture vivrière commerciale se sont fort développées : elles ont innové, se sont mécanisées et organisées pour offrir des produits adaptés aux modes de vie des citadins et accessibles à leur pouvoir d’achat. Mais, souvent, les politiques privilégient da-vantage un développement agricole par l’insertion aux marchés in-ternationaux. Comment faire pour que la production vivrière puisse se substituer vraiment aux importations ?

Avant de penser à des solutions techniques miracles, il faut travailler aux gains de productivité : augmenter les rendements en utilisant davantage la fumure des champs, réduire les pertes. Cependant, la grande majorité des agriculteurs sont pauvres, n’ont pas accès aux intrants, au crédit, aux assurances ou encore aux conseils. Leur environnement n’est pas favorable et la production agricole demeure une activité risquée.

Le problème est-il uniquement au niveau de la production agricole ?
“Favoriser l’agriculture familiale : valorisation des savoir-faire paysans et des semences locales.”Le secteur vivrier n’est pas limité aux producteurs agricoles. Il faut songer à toutes les activités intermédiaires entre ces producteurs et les marchés : transfor-mation agroalimentaire (extraction d’huile, broyage des céréales ou des racines et tubercules, séchage du poisson, etc.), commercialisation et distribution. D’un côté, c’est par ce secteur que les produits circulent, atteignent les marchés, sont stockés, adaptés à la demande des consommateurs et leur sont distribués. De l’autre, c’est par lui que les incitations du marché sont transmises aux producteurs, pour la quantité, la qualité et le prix requis.

Mais sa forte croissance a attiré quelques gros opérateurs qui spéculent et répercutent mal aux producteurs la hausse des prix à la consommation. Il faut donc des politiques pour que le marché fonctionne mieux, et que s’arrête un total laisser-faire où les plus puissants profitent de positions avantageuses et accroissent davantage les inégalités.

Que faire pour sortir de la crise ?
D’abord, des mesures d’urgence s’imposent : réduire les conséquences dramatiques de la situation de l’approvisionnement des plus vulnérables. Mais, une aide alimentaire d’urgence ne réglera pas le problème.
Cette aide est nécessaire vu la situation catastrophique à la suite de la flambée des prix. Mais elle n’est en aucun cas une solution à long terme, elle peut même s’avérer contre-productive et amplifier la dépendance alimentaire des pays pauvres si aucun changement radical d’orientation n’est opéré ensuite.

Les formes de l’aide d’urgence doivent veiller à n’amplifier ni la déstructuration des circuits commerciaux et des agricultures locales ni la spéculation. Pour mi-nimiser les effets pervers de l’aide alimentaire, il est essentiel de parvenir à ce que l’aide ne soit pas « liée », c’est-à-dire conditionnée à des contrats avec des entreprises des pays donateurs.

Il faut encore aider à une meilleure productivité dans l’agriculture, tant pour la production que la transformation et la commercialisation. Il n’y a pas de solution miracle. Mais on peut travailler pour garantir l’accès pour les paysans à un peu plus d’engrais, de produits phytosanitaires, de routes en bon état, de moyens de transformation, de crédit, de conseils, d’assurance, d’informations sur les prix. On peut aussi réduire les taxations policières sur les routes, le prix du gas-oil. Le développement agricole doit donc devenir une priorité dans l’agenda international.

Si on peut formuler quelques souhaits
L’aide alimentaire d’urgence ne réglera pas tout le problème.Il faudrait, pour ainsi dire, faire naître un « nouvel ordre agricole mondial », élaboré avec les différentes forces concernées : la reconnaissance du droit international à la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit des populations, de leurs États ou Unions à définir leur propre politique agricole et alimentaire. Dans ce cadre, l’accès à l’eau et à la nourriture doit être aussi reconnu comme un droit fondamental et être rendu effectif.

Mettre en place une régulation mondiale des marchés agricoles dans le cadre d’une instance internationale sous l’autorité des Nations Unies.

Continuer à travailler à l’annulation de la dette des pays pauvres et l’augmentation substantielle de l’aide publique.
Favoriser l’agriculture fa-miliale : valorisation des savoir-faire paysans et des semences locales, des capacités locales par des recherches et des appuis cohérents au renforcement des agricultures vivrières et à l’orga-nisation des échanges internes.

Enfin, la crise alimentaire ne peut être résolue au détriment des impératifs écologiques, notamment par la déforestation et le développement incontrôlé des OGM. La crise climatique et l’épuisement des sols sont autant de facteurs qui, au contraire, accentuent la crise alimentaire.

Voix d’Afrique
d’après des sources variées


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