Voix d'Afrique N°105.

Écho du Sahara


La ville de Ghardaia

Pour marquer la nouvelle étape vers l’Assemblée Inter-diocésaine d’octobre, nous avons retenu cette phrase forte de Timothy Radcliffe : « La paix du monde naîtra de la rencontre entre l’Islam et notre Foi ». Avouons que l’enjeu est de taille et que ce défi vaut la peine d’être relevé ! A dessein, dans ce billet, je crois bon de reprendre à mon compte la trame de la réflexion proposée aux membres du diocèse qui est profondément marqué, plus que d’autres peut-être, par cette spécificité : notre existence chrétienne ne prend vraiment de sens que dans nos relations avec les musulmans. Sans celles-ci, nous serions condamnés à rester clôturés dans une bulle jusqu’à y étouffer ! Notre présence évangélique est à la fois stimulée et enrichie par un coude à coude quotidien avec les croyants de l’Islam. Au fil du temps, notre enracinement s’est fait et se poursuit comme par osmose, sans que parfois nous nous en rendions compte. Le P. Scotto, alors évêque de Constantine, l’exprimait ainsi : « Ce que je fais ici, je ne sais pas trop le dire, mais les choses ne seraient pas pareilles si je n’y étais pas » ! Revenons aux trois points de cette étape.

• À quelle conversion personnelle cela m’engage-t-il ?

D’abord à une adaptation permanente. Car c’est chaque jour que « l’autre-musulman » me confronte à nos différences, tout en me faisant réaliser que nous sommes bien de la même humanité. Cela m’empêche de me cantonner sur des positions de foi que je croyais définitivement acquises. Souvent, suite à une rencontre, un témoignage reçu, je me dis comme Jacob après sa vision : « En vérité, Dieu était là et je ne le savais pas » (Gn 28,16). Je ne puis douter de la mystérieuse présence de Dieu dans l’Islam. Et ma prière est le lieu de reconnaissance de cette Présence qui me tient en éveil.

Une autre conversion : c’est la découverte sans cesse renouvelée de la présence de Jésus dans les pauvres, les petits, ceux qui mettent leur confiance en ce Dieu et constituent déjà le peuple des Béatitudes. Eux aussi m’interpellent fortement et sont un perpétuel appel à découvrir à travers eux la présence du Dieu « Le Plus Grand » non seulement dans sa Toute Puissance, mais dans la faiblesse même.

• Quelle conversion
pour l’Église ?

Nous sommes amenés à un décentrage. Si nous voulons approfondir ce que nous sommes, nous ne pouvons nous passer ni des Musulmans ni de l’Islam. C’est grâce à eux que nous consolidons notre propre identité. Il pourrait y avoir une prétention à nous croire au centre, et même à nous identifier, au Royaume de Dieu. Nous ne sommes pas le Royaume, même si nous en sommes, humbles serviteurs et servantes tout ordinaires ! Mais ne relativisons pas notre présence : elle est indispensable, quelle qu’elle soit numériquement. Tout d’abord pour discerner ce Royaume qui nous dépasse, le contempler, le faire grandir. Nous en sommes artisans avec la grâce de Dieu. Mais aussi pour le célébrer. Voilà pourquoi je pense qu’une présence d’Église, même dans sa plus grande insignifiance est essentielle.

• Les moyens concrets
pour vivre notre vocation ?

C’est en premier lieu notre humble vie de présence, d’engagement et d’accueil au milieu de la population musulmane. Une vie à la suite de Jésus qui « a passé en faisant le bien » (Ac.10,38) comme le disait l’apôtre Pierre.
Pour donner tout son sens à cette présence, nous avons besoin de partager en Église notre vécu à la lumière de la Parole de Dieu. Elle est, cette Parole, le « miroir » de notre existence au milieu des croyants de l’Islam. Ce partage est indissociable de l’Eucharistie qui nous fait Pain et Vin, Corps du Christ pour la vie du monde. Tout ce qui peut rendre notre présence plus cohérente, plus vraie et plus évangélique est à mettre en œuvre. Soyons donc attentifs à ce que nous vivons et à ce que nous célébrons.

C’est dans l’approfondissement de la Parole de Dieu, dans le creuset de l’Eucharistie que le quotidien de notre existence - vie fraternelle, prière, engagement, travail, rencontres - trouve tout son sens et fait de nous un humble Pain Vivant « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».


+ Claude Rault
votre frère évêque


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