Voix d'Afrique N°61 Décembre 2003

La Communauté de la Paroisse
Saint Augustin à Buyenzi
(Burundi)

De Gauche à droite:
Paul Gilardeau, Canadien, curé - Armand Galay, Philippin, vicaire - Andrew Chilombo, Zambien, stagiaire 1ère année -
Waly Neven, Belge, vicaire - Patrice Belem, Burkinabè, stagiaire 2ème année-
Jacques Dugas, Français, vicaire.



JE REPARS CHEZ MOI !
" Mais bien sûr que je repars ! Chez moi, c'est là bas !"

Tous les missionnaires font la même réponse : "c'est chez moi, là bas !"
Jacques Dugas vient des bords du Rhône, au pied des Alpes,
il repart pour le Burundi.
Il fêtera l'an prochain ses quatre vingts ans ;
il est au Burundi depuis 1956 !

Premier départ à 18 ans
Son père était artiste peintre : il a orné de fresques de nombreuses églises de la région de Lyon et Grenoble . Dans sa famille l'éducation chrétienne allait de soi. Son frère aîné entre chez les pères maristes. Jacques pense d'abord à une carrière commerciale ; il prépare l'école des Hautes Etudes Commerciales ; puis il réfléchit, prie et prend conseil et décide de devenir Père Blanc (comme on appelait autrefois les "missionnaires d'Afrique") sans en avoir jamais rencontré aucun : il avait seulement lu quelques livres sur Lavigerie et ses compagnons ; tout ce qu'il désirait était l'aventure missionnaire en Afrique et en communauté. Il décide de demander à être admis au séminaire de Carthage à l'age de 18 ans.
Et il part de Marseille en 1942, en pleine guerre ; le bateau met huit jours pour atteindre Tunis. C'est sur la colline de Byrsa, près du tombeau de Lavigerie qu'il commence sa philosophie : c'est la guerre, le débarquement allié en Afrique du Nord. Jacques est complètement coupé de sa famille pendant près de deux ans, première épreuve missionnaire. Noviciat, théologie, six ans d'études loin de chez lui ; il est ordonné en 1950. Il faut croire qu'il a été un étudiant brillant, puisqu'il est nommé pour des études supérieures en théologie, à Rome : il sera dans la formation en Afrique.

Au Burundi
PaysageEn 1956, il est envoyé au Burundi : il commence une longue carrière pour la formation du clergé africain. Lavigerie n'avait-il pas prophétisé que "l'Afrique sera évangélisée par les Africains" ? Il enseigne au scolasticat de Vals pendant quatre ans (c'est là que le séminaire de Carthage se replie après l'indépendance des pays d'Afrique du Nord). Puis il repart pour le Burundi.
Initialement, il partait pour un projet de formation de diacres permanents désiré, à la suite du Concile de Vatican II, par le jeune évêque Burundais Père Blanc, Mgr. Makarakiza. Cependant les autres évêques du pays jugeaient que le temps n'était pas encore arrivé pour une institution aussi neuve, et il fallut s'orienter dans une autre direction. Jacques entreprend alors la formation de candidats au sacerdoce ministériel déjà plus âgés que les candidats classiques, des jeunes hommes qui avaient une expérience de catéchistes laïcs au service de la mission. Il fallait leur permettre d'être au niveau requis pour le grand séminaire. Ce sera le travail de Jacques pendant vingt ans, de formation humaine et spirituelle, de prière et de discernement de leur vocation. Ils sont aujourd'hui encore une quarantaine de prêtres qui sont sortis de ce séminaire des aînés.

Burundi
à l'est du lacTanganyika
278 344 km2
7 000 000 d'Habitants
Colonie allemande
Puis (1918) sous mandat Belge
Indépendance : 1er Juillet 1962
Capitale : Bujumbura

 

L'Eglise au milieu des tensions
Indépendant en 1962, le Burundi passe par des années de tension tribale, de massacres et de coups d'états qu'il serait fastidieux de décrire. L'Eglise tient bon, malgré dix années (1976 à 1986) de persécution plus ou moins ouverte où le Président Bagaza nationalise tout l'enseignement, ferme le séminaire et supprime les visa d'entrée de nombreux missionnaires ; Jacques passe quelques mois au Tchad, à Arlite, puis revient dès que possible.

Espérer malgré tout
au LacDepuis trois ans, Jacques est dans la capitale, à Bujumbura. Ce qui est frappant c'est la ferveur chrétienne. Chaque matin, l'église reçoit trois ou quatre cents adultes pour la messe quotidienne : ce sont des ouvriers, des fonctionnaires, des étudiants qui viennent commencer leur journée par la communion. Ils repartent rapidement pour être à l'heure au collège ou au bureau ; certains reviennent le soir pour le chapelet.
L'Eglise demeure comme la seule colonne stable dans ce pays où règne le chaos. Dans les collèges par exemple, les professeurs sont très mal payés et ne peuvent subvenir aux besoins de leur famille ; ils sont obligés de prendre un autre travail à côté… ou à la place de leur emploi régulier. Résultat : nombreux sont les étudiants qui sont laissés à eux-mêmes ! Souvent des "rebelles" envahissent une banlieue pour razzier les habitants, rafler tout ce qu'ils peuvent trouver pour se nourrir, sous la menace des armes ; après leur départ, c'est l'armée gouvernementale qui envahit les rues et les maisons, accusant les habitants d'avoir aidé les rebelles. Chaque matin on se lève en priant pour que la journée se passe sans rafales, pour que les enfants puissent aller à l'école et étudier correctement, pour que les parents puissent aller cultiver leur lopin de terre et que la famille puisse manger à peu près normalement ; chaque soir on se couche en espérant que les obus de mortier épargneront leur maison. Peur du lendemain, tensions entre voisins, suspicions et angoisses, tel est le pain quotidien des Burundais ; la paix est-elle donc possible ? Il est difficile de na pas désespérer. Le seul point d'appui solide sur lequel on peut se fier, c'est l'église, la communauté des croyants, la parole de Dieu et les sacrements : c'est là que grandit l'amour, tout simplement.



La communauté missionnaire est comme un havre de paix plus forte que la peur : Canadien, Philippin, Belge, Burkinabé, Zambien, jeunes et anciens vivent ensemble ; au milieu des bruits de guerre, ils visitent les blessés et les familles des tués, ils se retrouvent pour partager, prier, discuter et se soutenir mutuellement, animés par une seule conviction : la présence du Christ parmi les pauvres et la certitude qu'un jour la Paix vaincra la peur. L'Espérance est la grande grâce !
"Alors, je repars, bien sûr ! Où veux-tu que j'aille ? Des frères et des sœurs m'attendent, non pas parce que je pourrais faire quoi que ce soit, mais pour être avec eux, vivre leur vie, traverser les épreuves avec eux, dans l'espérance inébranlable qu'un jour, la Lumière poindra."

Voix d'Afrique
& Jacques Dugas.