Voix d'Afrique N°69.....

AMBASSADEUR DU CHRIST

Jacques de l’Eprevier

Voir aussi
Jacques de L’Eprevier M.Afr, 60 ans de sacerdoce

Jacques de l'Eprevier est revenu en France après cinquante et un ans au Malawi.
Il a bien voulu partager avec les lecteurs de " Voix d'Afrique " son cheminement missionnaire..

 

Premier départ

Comment fait-on pour célébrer son premier départ en Afrique ? Jacques de l'Eprevier vise haut : Rome est l'étape vers le Nyassaland, on ne peut pas manquer la Basilique St.Pierre. Mais en 1954 , il n'est pas question de concélébration ! Avec son guide Père Blanc, il cherche un autel : le seul qui ne soit pas occupé est celui de la Pieta de Michel Ange, mais il est protégé par de hautes grilles de fer forgé. Qu'à cela ne tienne ! Jacques s'y connaît en parcours du combattant et a vite fait d'escalader l'obstacle ; les touristes ne sont guère surpris. Toutes les audaces sont permises dans la foule des visiteurs du Vatican. Et c'est ainsi qu'il met aux pieds de la Vierge son aventure missionnaire.

Engagé volontaire

Il n'en est pas à ses premières audaces ! N'est-ce pas dans les gênes familiaux ? Une de ses grandes tantes a été une des premières sœurs blanches, Sœur Marie Claver, fille spirituelle de Lavigerie vers la fin du 19ème siècle ; elle est morte sur les bords du lac Tanganyika. Deux tantes ont suivi la trace et ont été missionnaires de Notre Dame d'Afrique (Sœurs Blanches). En Août 1944 Jacques a 19 ans ; c'est la libération de Paris. Il a déjà l'intention de devenir missionnaire, mais un peu d'expérience militaire ne fera pas de mal. Il s'engage dans l'Armée du Général de Lattre, participe à la libération de l'Alsace, avance jusqu'en Allemagne. En 1945, on demande des volontaires pour l'Indochine, et Jacques s'engage à nouveau. Il est fier, soixante ans après, de rappeler qu'il a présenté les armes à Ho Chi Minh, à Hanoï ; c'était à la veille de la guerre de libération de ce qui reviendra le Viet-Nam.

Formation
internationale

Après deux ans de vie militaire, il demande à entrer au séminaire de philosophie des Pères Blancs en 1947. A Kerlois, près de Lorient, ils sont près de quatre vingts étudiants, anciens militaires, prisonniers, maquisards qui ont été retardés par la guerre dans leur projet missionnaire. Le vieux couvent porte encore les traces de l'occupation et des bombardements : pas de chauffage, l'électricité est bricolée, le vent breton circule librement dans les couloirs et les chambres démunies de toute porte. Heureusement, le burnous de laine blanc fait partie du nouvel uniforme. Les études de philosophie ne sont guère passionnantes, mais on parle déjà de Teilhard de Chardin, et le marxisme est au programme comme courant de pensée dont les missionnaires doivent tenir compte. C'est dire que la formation est orientée sur la pensée moderne Le style de vie est simple mais la nourriture est abondante.

Le grand parc offre tout l'espace pour se détendre après des heures d'étude. Au bout de deux ans, c'est le départ pour l'Algérie, le Noviciat de Maison Carrée. Puis, comme il est doué pour les langues et que les Pères Blancs se veulent internationaux dès la formation, il est envoyé en Hollande pour les études de théologie, puis en Ecosse. Jacques traduit son nom : en anglais, il faut dire "James " (prononcer "Jéms"). La théologie est très traditionnelle, à coup de thèses, de preuves, de définitions abruptes ; les manuels traditionnels sont en latin et rien ne semble annoncer l' "aggiornamento" qui surviendra quinze ans plus tard avec Jean XXIII. Heureusement la vie de communauté, ponctuée de grandes balades à bicyclette, de soirées de bridge et de cigares hollandais, était assez détendue.

Première mission


Mzuzu : le Père de l’Eprevier célébrant la messe dans une chapelle de brousse...
il y a une quarantaine d’années!

Enfin, en 1954, Jacques est ordonné prêtre et nommé à la "Préfecture apostolique du Nyassaland septentrional". Ce n'est pas encore un diocèse. L'Evangélisation par des missionnaires catholiques n'a commencé qu'en 1938 et la Préfecture a été fondée en 1947, six ans avant l'arrivée de Jacques . C'est dire que tout est à bâtir pour la vingtaine de missionnaires : se faire connaître par la population locale, apprendre la langue, construire quelques maisons, commencer des écoles, initier un catéchuménat, sur un territoire grand comme vingt départements français. Le lac Nyassa, vraie mer intérieure (devenu depuis l'indépendance le lac Malawi) s'étend sur plus de cinq cent kilomètres au pied d'un plateau à 1200 m. d'altitude. La population est très pauvre, les pistes sont rudimentaires, souvent coupées par des rivières en crue et des ponts trop fragiles.

Jacques est nommé d'abord au bord du lac, à Vua, fondée depuis trois ans. Il se souvient encore de ce premier voyage à l'arrière d'une petite jeep américaine : de 1200 m. d'altitude, il faut descendre à 450 m., à travers 22 épingles à cheveux, sur une piste étroite au milieu des rochers et des cailloux. Le frère missionnaire qui le guide commente le paysage : "Tiens, regarde sur ta droite, dans le ravin : encore un camion qui a manqué son tournant !... Il ne ferait pas bon passer la nuit par ici : c'est plein de lions et de léopards ! Tiens-toi bien et confie-toi à ton ange gardien !" La maison des missionnaires est au bord du lac : "C'est plus facile pour se laver ! la baignoire est grande et toujours pleine !" La maison est en briques sèches, le toit est couvert de chaume. "On te libèrera une chambre demain ; en attendant tu coucheras sous la véranda, sur un lit de camp." Les lions et les léopards ? "Ne t'en fais pas, cela fait quelques jours qu'on n'en entend plus parler. Tu entendras quelques hyènes peut-être, mais elles n'attaquent pas les blancs ! "

Bambo Jémusi

Il apprend la langue : quelques anciens missionnaires commencent à l'initier aux secrets du dialecte chitumbuka. Le seul livre est le catéchisme traditionnel qu'on doit enseigner et inculquer aux catéchumènes et aux quelques jeunes chrétiens. C'est encore le vieux catéchisme par questions et réponses, dans le style "Qu'est-ce que Dieu ? - Dieu est un pur esprit, etc." Ses vrais maîtres, Jacques va les rencontrer dans les villages. Chaque après-midi, il part à bicyclette sur les sentiers, avec son chapeau, sa pipe, son tabac et le petit carnet où il inscrit le vocabulaire, les règles de grammaire et de construction, les proverbes, les tournures de phrases, les noms des gens et des lieux. Il est envoyé dans plusieurs postes de mission. Dans les villages, il est "Bambo Jémusi" : “bambo”, c'est le nom commun des hommes adultes ; “Jémusi” est une édulcoration du "James" anglais, car les watumbuka n'aiment pas les finales en consonne, la fin de chaque mot doit se terminer par une voyelle : va pour Jémusi !

Ressourcement

Lorsqu'il revient pour quelques mois de repos, après huit ans d'Afrique, il s'inscrit pour quelques cours de théologie pastorale à l'Institut Catholique de Paris. Le Concile de Vatican II est en pleine préparation et 'l'aggiornamento' est à l'œuvre dans tous les esprits. Par expérience, Jacques sait très bien les besoins de l'Eglise d'Afrique. Il suit les cours des Pères Liégé et Daniélou pour revenir aux sources mêmes de la mission, dans les Actes des Apôtres et les Evangiles. On commence à parler d'inculturation : il ne s'agit pas de recettes superficielles pour rendre l'Eglise plus attractive. La réflexion missionnaire s'efforce de retrouver une nouvelle jeunesse en s'abreuvant aux sources de la Parole de Dieu.

Formation
de catéchistes


Un catéchiste avec sa famille

Lorsqu'il revient en 1964, la Préfecture du Nyassa Nord est devenue le diocèse de Mzuzu. L'évêque confie à Jacques la formation des catéchistes. Ce sont les agents pastoraux essentiels. Les prêtres africains ne sont encore que quelques unités. L'école de catéchistes, appelée Centre de formation chrétienne, reçoit une quinzaine de familles de candidats. Pendant deux ans, ils étudient l'histoire du Salut, la doctrine chrétienne, la liturgie, la pastorale des enfants et des adultes. Pendant près de huit ans, c'est toute une nouvelle génération d'apôtres africains qui passent par les mains de Jacques et formeront les forces vives de la jeune église.

Ambassadeur

Lorsqu'il passe la main, Jacques reprend son bâton de pèlerin. Curé de Mzuzu, la petite capitale du Nord du Malawi, il parcourt les quartiers, visite les familles, noue des liens d'amitié dans tous les milieux. Il s'est fait une loi (moi-même qui ai été son vicaire, j'en suis témoin) de visiter les foyers chaque après- midi. Au volant de sa vaillante 4L il s'arrête pour s'asseoir dans les huttes ou les maisons plus cossues, il écoute, partage, console, encourage, avec une seul projet en tête : "Je n'ai ni or ni argent, mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ, lève-toi et marche".

Il est chez lui, au Malawi. Il aurait eu mille raisons de prendre quelques années de repos, mais il ne peut envisager sa retraite que chez lui, au Malawi. Ambassadeur du Christ, il est depuis toujours passionné par l'Evangile, et par la vie, la culture, l'histoire de la population qu'il a rencontrée pendant plus de cinquante ans. Il rencontre une jeune fille, ou un jeune homme : un nom suffit, il mentionne les grands parents, les parents, leurs villages et quelques anecdotes de leurs vies passées. Il n'a jamais fini d'apprendre la langue, il trouve au fil des conversations une expression nouvelle, un proverbe, un mot non encore répertorié. Il traduit pour mettre à la disposition de l'Eglise de Mzuzu des textes de réflexion, des expériences nouvelles, des méthodes pédagogiques qui aideront les petites communautés chrétiennes à approfondir leur foi. Le travail n'est jamais terminé : on peut toujours améliorer, peaufiner, rendre plus clair et plus parlant le message de la Bonne Nouvelle.

Retour en France

C'est comme un exil loin de chez lui : à 82 ans, il en a passé 51 au Malawi. Il préfèrerait rester dans ce pays où il a comme pris racine. Mais il faut se rendre à l'évidence : le Malawi est moins bien équipé pour prendre soin des vieux missionnaires ! Mais l'ambassade continue, car Jacques porte le Malawi dans son cœur.. Sans nostalgie, il évoque ses expériences passées, les expériences cocasses de la brousse africaine, les grands moments de l'évangélisation de son pays. C'est désormais dans le silence de la prière qu'il réalise sa vocation.

J. de L'Eprevier
& G.Guirauden



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