Voix d'Afrique N°94.

Les défis
de notre temps

Lors de mon dernier congé, je fus très marqué par la campagne contre l’Islam et contre les étrangers dans les media et dans le débat politique. Ce n’était pas seulement dans mon pays, mais encore dans beaucoup d’autres pays européens et parfois africains.

“Quel regard portons-nous sur la reconduction  des étrangers aux frontières de nos pays ?”Moi-même, migrant dans un pays africain depuis plus de 40 ans, et de surcroît responsable d’une association sensée être au service de gens en recherche d’un monde meilleur, j’ai beaucoup de mal à adhérer à cette politique d’exclusion ! Beaucoup de membres de ma famille et de mes amis ont émigré, après la deuxième guerre mondiale. D’abord à l’intérieur du pays, puis vers des pays lointains (Canada, Australie et Nouvelle Zélande). Tous ont cherché à se construire, ailleurs, un avenir meilleur. Qu’auraient-ils dit devant un accueil semblable à celui que nous réservons aux migrants d’aujourd’hui ? Or, ceux-ci laissent derrière eux des conditions de vie bien plus précaires que celles de nos proches et amis du siècle dernier.

Mais il y a plus ! Quel regard portons-nous, comme homme, sur cette politique de méfiance, de chasse à l’homme, de fermeture des territoires nationaux ? Puis comment la mettre en harmonie avec ce que nous sommes : croyants en un Dieu unique, un Dieu d’amour, un Dieu qui a créé chacun à son image ? Comment garder une paix intérieure devant cette politique d’exclusion lorsque nous sommes envoyés vers “ l’a-tre “ pour trouver ensemble un chemin vers Dieu qui donnera plus de sens à notre existence ? Le concile Vatican II n’a-t-il pas affirmé que Dieu se révèle par de multiples chemins et que nous ne sommes pas les seuls à détenir la vérité ?

Au fond, ne sommes-nous pas en train de nous enfermer dans un « ghetto » de gens de même croyance, de même couleur et de mêmes idées ? Or nous vivons dans un temps où mondialisation et globalisation prennent le dessus dans tous les domaines.
Le Christ lui-même n’est-il pas venu nous libérer de toutes ces contraintes bien terre à terre ? Si nous prétendons être des hommes de Dieu, de bonne volonté, alors des questions très pratiques nous sont posées :

- Quel regard portons-nous sur la reconduction aux frontières de nos pays des étrangers en situation irrégulière après des années de présence ou de démarches administratives ?
- Comment nous situons-nous devant les camps de rétention construits à proximité des frontières ou des aéroports ?
- Comment nous situons-nous lorsqu’on arrête des gens parce qu’ils sont d’une autre religion que nous ou parce qu’ils lisent un livre saint différent du nôtre ?
- Comment nous situons-nous lorsque les femmes sont exclues de la vie publique et même ecclésiale, lorsqu’elles sont lapidées pour avoir jeté un prétendu regard vers un autre homme ?
- Comment nous situons-nous lorsque des gens, hommes, femmes et enfants périssent dans le Sahel ou dans la mer en route vers un monde meilleur ?
- Comment envisageons-nous que demain des hommes et des femmes du quatrième âge ou des handicapés seront exclus de nos sociétés parce que “ trop chers “ ou “ pas assez productifs “ ?
Où serons-nous dans ces situations, comme croyants et sachant que toute personne a été créée par Dieu à son image ? Saurons-nous prendre position devant ces situations d’injustice et d’intolérance ? Saurons-nous mettre notre propre existence en danger pour le bien-être de l’autre ?

“ We shall overcome “ “ Nous vaincrons “ Martin Luther KingLors de la projection du film sur les moines de Tiberine, j’ai souvent pensé à tous ceux et celles qui ont donné leur vie pour un monde plus convivial entre les humains de différentes cultures, races et religions. Le don de cette vie, comme celle d’autres religieux et de milliers de simples Algériens, a-t-il été pour rien ? A-t-il eu un sens ?

En cette période-là, je traversais souvent, tôt le matin, les banlieues d’Alger où les trottoirs débordaient de jeunes lycéennes et étudiantes allant courageusement vers leurs établissements malgré les menaces et les attentats ? Ces “ va-et-vient “ n’ont jamais cessé à cette époque. Ces actes courageux n’ont ils rien apporté à ce monde ?

Il y a quelques mois, nous étions dans un cimetière pour enterrer deux bébés jumeaux. Nous étions peu nombreux, parents migrants, quelques autres Africains, quelques Algériens, dont ceux qui avaient creusé la tombe. Une fois la terre remise en place, spontanément, nous nous sommes mis à prier ensemble, musulmans et chrétiens, certains à genoux sur la terre fraîche, d’autres debout, mais tous unis dans une profonde communion dans le malheur, et aussi dans une croyance dans un seul Dieu. A un moment donné, nous avons commencé à chanter, à voix basse, le célèbre chant de Martin Luther King : “ We shall overcome “ “ Nous vaincrons “.

En 1944, mon père et mon frère étaient détenus dans un camp de concentration en Allemagne. Mon frère a vu notre père souffrir quand il était torturé par les nazis. Toute sa vie, il a fait des cauchemars à cause de cela ; mais il n’en a jamais voulu au peuple allemand, parce que lui et mon père ont eu la vie sauve, grâce à de la nourriture et aux soins donnés la nuit par une famille habitant à quelques kilomètres du camp. Une belle réalité que nous rencontrons souvent dans la vie et qui nous apprend à ne pas généraliser et à ne pas porter de jugements sur un peuple, mais à voir les engagements de chacun et de chacune.

“Au service de gens en recherche d’un monde meilleur...”Dans le passé, j’ai été amené à faire un bout de chemin avec un jeune homme et une jeune femme, de religions différentes, et que l’amour avait conduit à envisager un projet de vie ensemble. Quelques années après, nous voyons, eux et moi, que ce choix n’a pas été sans conséquences et que le chemin parcouru, ou à parcourir encore, est semé d’embûches. Alors nous vivons ensemble des moments de vérité où il faut vraiment avoir la foi en Dieu, et un sens de l’entente, pour poursuivre ce qui a commencé dans l’élan d’un grand amour débutant. Je pense que ces moments de communion de pensée font que nous trouvons le courage de poursuivre cette approche vers l’autre, même si différent de nous.

L’expérience que nous vivons, chaque été, depuis de nombreuses années, dans un centre de vacances où sourds-muets, mongoliens, réfugiés, migrants, algériens et étrangers, chrétiens, musulmans et non croyants, se rencontrent, se parlent, s’intéressent aux différentes cultures et langues, est un signe d’espérance, d’encouragement, qui nous donne force pour croire à un monde ouvert à tous, sans une mise à l’écart de qui ou de quoi que ce soit, handicapé ou non, intelligent ou non, jeune ou non, noir ou non, musulman / juif / chrétien ou non, jeune ou non.

Nous devons à tout instant essayer d’apporter quelque chose pour un monde plus juste, plus humain, pas seulement en paroles, mais surtout en actes. C’est la philosophie de notre association, “ Rencontre et Développement, CCSA “, qui veut tout d’abord être présente pour celui ou celle qui frappe à notre porte.


Jan Heuft
M.Afr.
Président de R&D (CCSA)


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