Voix d'Afrique N°101.


Au Mozambique
En défendant leur terre,
ils ont fait valoir leurs droits
et reconnaitre leur dignité

Défendre sa terre, c’est défendre leur avenir !


Divers pays ou grands groupes financiers se comportent comme des prédateurs dans les pays du Sud. Souvent, les populations sont impuissantes car tout se règle au niveau des gouvernements. Le Père Norbert Angibaud nous présente l’effort de communautés au Mozambique.

Au Mozambique, « La loi de la terre » a été promulguée en 1998. Selon cette loi, les communautés locales doivent être consultées avant toute transaction avec un étranger. Mais il n’est pas rare de voir que seuls sont consultés les chefs de village ou leurs assistants. Pour les obliger ou les convaincre d’accepter les négociateurs viennent avec des cadeaux, argents, alcool, moto … tout ce qu’il faut pour les amadouer. Tout cela avec l’assentiment et l’appui des plus hauts responsables qui sont les auteurs véritables de ces pressions.

Une multinationale Entvalor voulait acquérir absolument 18 000 ha de terre pour cultiver cannes à sucre et jatropha en vue d’une production d’éthanol. Ces terres étaient situées aux bords du Zambèze et étaient fortement convoitées par les investisseurs en raison de la grande quantité d’eau disponible à volonté en cet endroit. Entvalor avait à Maputo (1200km de Beira) des avocats à son service.

La commission diocésaine de Justice et Paix est allée animer une réunion à la paroisse de Sena (diocèse de Beira) les 1er et 2 avril 2011. Le thème portait sur les « Droits de l’homme » et sur l’application de « La loi de la terre ». L’un des participants à cette réunion, Baptiste Benati, à son retour dans sa communauté, a commencé à divulguer cette loi qui n’était pas toujours bien connue. Il s’est adressé à tous, catholiques, protestants ou autres sans distinction. Le chef du village, croyant que Baptiste était un agitateur de tout le village au nom de l’Église catholique, l’a traduit en justice auprès de l’autorité administrative locale. Mais au procès, ce sont les membres des autres confessions religieuses qui l’ont protégé avec succès contre le chef lui-même.

Ce dernier, plus tard, va virer sa veste et devenir un défenseur des terres de son village contre les investisseurs. Il encouragea Baptiste à continuer à divulguer cette loi pour que tous aient en main un instrument afin de se défendre. La population en effet prenait conscience des dangers et se posait des questions en cas d’usurpations de terres : où iraient-ils ensuite ? Quelle qualité de terres allaient-ils trouver pour remplacer les précédentes ? Trouveraient-ils de l’eau ? Quelles infrastructures seraient à leur service, école, hôpital, routes, magasins pour s’approvisionner ? … Les gens se sentaient mobilisés pour défendre leurs terrains.

Mais un paysan du nom de Manuel, s’est laissé allécher par l’appât du gain immédiat et a vendu sa terre à un commerçant local contacté par cette lointaine multinationale, bonne opportunité pour pénétrer la zone. Alors la communauté locale, s’étant aperçue du stratagème, s’est immédiatement mobilisée pour aller convaincre son compatriote de regarder plus loin que le rapport immédiat, peu porteur d’avenir. Ces villageois ont demandé à la Commission Justice et Paix de les accompagner pour une action en justice. Un avocat (qui travaille occasionnellement avec Justice et Paix) était là pour les défendre car sans une personne de Loi, ce soutien aurait été sans effet devant les tribunaux. Les autorités locales ont dû reconnaître que leur tentative de passer outre les lois était vaine. Selon la loi, la communauté locale devait être consultée. La Radio nationale elle-même a relaté cet événement.

Fréquemment les transactions se font sans aucune transparence, à l’insu des habitants ; d’où l’importance pour eux d’être au courant de leurs droits (la loi de la terre en l’occurrence) et de les faire respecter. Et ainsi de leur permettre de changer de statut ; de passer de l’état d’objets à celui de sujets, acteurs de leur vie. Ils se lèvent pour protéger leur vie.

La veille de Noël 2012, le chef a convoqué toute la communauté du village pour un sacrifice traditionnel, remerciant les ancêtres d’être à leurs côtés pour protéger leur terre. Et quelques jours plus tard, la commission Justice et Paix est retournée, avec son avocat, pour préparer les statuts d’une association qui sera officiellement reconnue. ainsi plus personne ne pourra avoir de visée sur leurs terres. Tout cela montre qu’ensemble, en s’organisant, on peut être très fort, face aux puissants, et même faire reculer une multinationale : Entvalor a dû quitter les lieux pour des rivages plus « favorables »… Il ne suffit pas d’avoir des lois, il faut s’en servir, les mettre en œuvre. Les habitants de ce village n’ont pas accepté d’être les esclaves de gens venus d’ailleurs pour leur voler ce qu’il y a de plus cher pour eux, leurs terres. Cette expérience leur a permis de grandir, de se mettre debout, de devenir davantage maîtres de leur vie.

Norbert Angibaud
M. Afr.


.............. Suite