Voix d'Afrique N°92.

Mgr Claude Rault
s’interroge...

Bien chers amis.

« Est-ce que l’Eglise n’a pas échoué en Algérie puisque les Algériens semblent trouver de meilleures réponses à leurs attentes dans les mouvements salafistes et évangéliques » ?

Cette question, posée par un atelier lors notre dernière Session Diocésaine, a été retenue pour être portée en Assemblée. Sous cette forme, elle apparaît à la fois provocante mais opportune, discutable mais à discuter, gênante ou libérante, hors de propos ou tout à fait légitime.

Elle ne peut être traitée comme si notre Eglise était une société de propagande faisant son bilan afin de mieux affiner sa campagne publicitaire. « Changeons de méthode ! »… non, ce ne peut-être de l’ordre de la tactique!
Elle ne peut être retenue si notre mission est d’aligner des chiffres sur les colonnes des registres de catholicité… que je dois envoyer ces jours-ci à la Congrégation Romaine compétente. Dans ce cas, il ne s’agirait pas d’échec mais de faillite. Secouons la poussière de nos sandales et allons voir ailleurs !

Elle peut cacher une image uniforme de la mission qui demeure tenace, dissimulant quelque frustration de voir fleurir d’autres groupes religieux, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, alors que, disons-le, numériquement, dans la compétition… nous ne faisons pas le poids et ne pouvons prétendre à aucune médaille sur le podium !

Je retiens cette question pour vous partager ce qu’elle me suggère dans mon service de pasteur ici et maintenant.
Qu’y répondre alors ? D’abord que nous ne cultivons pas l’échec, nous sommes envoyés pour « porter du fruit, et un fruit qui demeure » (cf. Jn 15,16). Et je le crois, nous en portons ! Alors… notre « réussite » est-elle du même ordre que celle de sociétés religieuses qui font nombre, tout en essayant de répondre à certaines attentes de nos contemporains ?

Ce questionnement provocateur me fait rejoindre le doute qui habitait Jean Baptiste. Arrêté par Hérode, il croupissait dans sa prison : N’avait-il pas échoué ? Ne s’était-il pas trompé en désignant Jésus comme le Messie à venir ? Il lui avait d’ailleurs fait demander : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11,3). Et Jésus lui avait renvoyé la balle : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont guéris et les sourds entendent, les mort ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Et heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute » (Mt 11,4-6). Mais, dites, Jésus lui-même n’a-t-il pas échoué ? « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »(Mt 27,46) a été l’un de ses grands cris sur le gibet. Où donc étaient les foules qui le suivaient dans la liesse et qui maintenant réclamaient sa mort, parce qu’il avait refusé de répondre à certaines de leurs attentes.

Recadrons cette question dans la perspective de notre vie diocésaine. De fait, ailleurs, des choses se passent, très discrètes mais loin d’être négligeables. Elles méritent toute l’attention des pasteurs et des chrétiens concernés et aussi la nôtre, car nous pouvons, un jour, être nous aussi impliqués par cette nouveauté. Mais n’est-il pas bon de revenir à ce qu’aujourd’hui il nous est donné de voir ? Le Royaume de Dieu est à l’œuvre autour de nous : « …les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont guéris et les sourds entendent, les mort ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres».

Dans cet aujourd’hui qui est le nôtre, soyons plus que jamais une Eglise au service de ce Royaume, où l’Esprit nous précède, et aussi où nous avons la joie d’en être acteurs. Je crois que dans la réponse donnée par Jésus à Jean Baptiste, chacun et chacune de nous peut reconnaître l’œuvre de l’Esprit. A Sa lumière, nous pouvons le dire : des aveugles voient, des boiteux marchent, des lépreux sont guéris, des morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Ces signes-là ne trompent pas. Oui, le Royaume de Dieu est parmi nous, même si la forme qu’il prend aujourd’hui n’est pas celle que nous attendons. Et si je me trompe, je me pose sérieusement la question :

« L’Esprit Saint lui-même n’aurait-il pas échoué ? »

+ Claude
votre frère évêque de Laghouat
Sahara

 


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