Voix d'Afrique N° 51
Côte d'Ivoire

 

Bouaké, Yamoussoukro, M'Batto

Le Père Jean Chardin,
originaire du diocèse de Nancy a été ordonné prêtre en 1951.
Après 10 années au Mali, il est nommé en Côte d'Ivoire.
D'abord 7 ans à Bouaké, où il fonde la paroisse d'Ahounyansou,
puis 13 ans à Yamoussoukro,
Capitale administrative de la Côte d'Ivoire.
Il est maintenant, depuis 8 ans à M'batto dans la forêt tropicale.

Ma paroisse actuelle.

La ville de M'Batto est une sous-préfecture, un peu en marge des axes routiers. Nous sommes en forêt tropicale.
La chrétienté a commencé dans les années 30, si bien qu'il y a une "arrière-garde" traditionnelle qui forme une masse vraiment attachée
à l'Église, et sur laquelle on peut compter, mais aussi avec le poids d'un certain traditionalisme, auquel il est difficile de s'attaquer.
Il y a également, bien sûr, toute la partie plus jeune qui est issue du catéchuménat des 15 dernières années.
Toute la paroisse est d'une seule ethnie : les Agnis qui, avec leurs cousins Baoulés, font partie du grand peuple Akan originaire des régions du Ghana.



Intérieur de l'église de M'Batto, 800 places


La paroisse comprend 30 villages, avec d'assez fortes communautés chrétiennes, de 200 à 600 fidèles.
Avec ses 21 000 baptisés, c'est la plus grosse paroisse du diocèse.
Les célébrations y sont très animées et très vivantes : chorales, tam-tams, danses, font dire à tous les visiteurs
qu'il est intéressant de célébrer chez les Agnis. Plus de 20 villages sont au moins à 30 km du Centre.

Avec le personnel que nous avons, un curé et un vicaire, il n'est pas facile d'organiser un rythme satisfaisant de visites dans tous ces villages.
On nous a confié également un stagiaire qui se prépare au diaconat. C'est peu pour la tâche à réaliser.

Un baptistère comme au V°s.

Lorsque je suis arrivé à Yamoussoukro, il y avait 130 baptêmes par an. Quelques années plus tard, il y en avait 800. Nous sentions un véritable mouvement de conversions chez les jeunes Baoulés. Avec une Sœur, nous avons pris le problème à bras le corps pour organiser les choses, bien former les catéchistes et surtout pour les suivre.
Lors d'une de mes pérégrinations en Orient, j'avais remarqué dans de petites basiliques du V° s. de très beaux baptistères en cuve, à trois marches. J'en ai fait construire un à Yamoussoukro. Avec un rocher d'où jaillissait la fontaine et une magnifique mosaïque de Jésus au Jourdain. J'ai fait là plus de 3000 baptêmes. C'étaient des fêtes inoubliables de voir les jeunes entrer dans l'eau (sur la pointe des pieds !), mitraillés par des dizaines de jeunes photographes. C'est là aussi, la nuit de Pâques, à la fin des baptêmes, que je faisais danser tout le groupe des baptisés autour de l'autel, au moment de l'action de grâce.
Ma prière la plus intense, c'est vraiment lorsque je célèbre avec le peuple de Dieu…


Mosaïque du baptistère de la
Basilique Notre Dame de la Paix


Pas seulement du théâtre sacré !

Les cérémonies belles et vivantes ont un impact pastoral extraordinaire sur les jeunes. À la messe du jour de Noël, cette année, à M'Batto, j'ai fait danser la moitié de l'Église devant la crèche. Je reconnais que ma manière n'est pas tout à fait la célébration hiératique prévue par certains liturgistes. Mais la question est de savoir si l'on fait seulement du théâtre sacré, ou si l'on veut emporter le peuple dans un vaste mouvement de prière…J'avais appris cette dynamique de la célébration, cet enthousiasme qui doit habiter sans cesse le cœur du célébrant, auprès du Père Michonneau vieillissant. C'était dans les années 55, à Colombes.

Le prêtre est un fabriquant de liturgie : sacrements, bénédictions diverses, etc. Je soigne beaucoup, par exemple, les funérailles, car on y touche tout un monde non chrétien à l'occasion de la célébration de la mort. L'Église catholique est à peu près la seule à célébrer la mort avec un contenu. Si ce n'est la foi chrétienne, le contenu d'un enterrement païen est très vide, mis à part évidemment, le rassemblement social qu'il provoque et qui est très important, ce que nous avons nous-mêmes à soigner et à respecter.


25 mars 2001: le P. Chardin a coupé
et cousu lui-même sa chasuble dans un pagne du congrès Eucharistique


Un paroissien pas ordinaire…

Une tâche à laquelle je ne m'attendais pas, mais qui était liée à la responsabilité de curé de Yamoussoukro : j'étais le curé du Président Houphouët. Cela pouvait apporter certaines contraintes, en particulier pour les messes à célébrer "à l'heure du Président". J'ai pu avoir jusqu'à 5 contre-ordres entre le samedi soir et le dimanche matin.
La célébration était "familiale", car sur le site de la Présidence il y avait un véritable village, et un certain nombre de familles que nous avions à suivre. Je n'ai jamais entendu le Président faire une remarque quelconque sur les homélies. Pourtant bien des vérités ont été dites, et qui pouvaient le concerner. Il suivait tout avec une extrême attention.

Il y avait en lui un respect du sacré peu ordinaire. Il recevait son prêtre avant ses ambassadeurs ou ses ministres. J'en étais parfois gêné. À la paroisse, nous avons été les confidents de beaucoup de ses projets, en particulier j'ai pu suivre de A à Z tout le projet de la basilique Notre Dame de la Paix. C'était grandiose, je n'en ai perdu aucun détail. J'ai même eu la chance de pouvoir commander, pour la Basilique, un très bel orgue digital d'Allen Organ.
Le Président ne repartait pas à Abidjan, pour reprendre sa tâche, sans être passé 10 minutes à prier auprès de la tombe de sa mère et de toute sa famille défunte. Les moteurs des voitures devaient tourner en l'attendant.
J'ai toujours eu une profonde admiration pour le Président Houphouët, parce que je connaissais son âme et son cœur. C'était un honneur de travailler à son service.


Justice et Paix

Je me suis toujours senti profondément concerné par les questions de justice et de paix.
Pendant des années, j'ai tempêté contre la classe dirigeante du pays qui s'emparait d'une grande partie des ressources qui arrivent de l'étranger, au détriment de ce qui aurait dû être réalisé pour la population. Je suis profondément indigné contre l'ordre économique mondial où tout le travail de production des biens de nourriture est soumis à des "bourses" entièrement contrôlées par les nations du Nord.
Il n'est pas toujours aisé d'avoir à dire certaines vérités devant un auditoire, comme par exemple devant les membres du Gouverne-ment, ou bien devant les responsables des diocèses. Il y aura toujours un compromis entre la parole radicale du prophète de l'Ancien Testament ou la parole vigoureuse de Jésus, et une manière nuancée de faire passer ce que l'on veut dire, pour aider les gens à réfléchir, Mais est-on sûr d'avoir bien alerté les consciences?
Je ne suis pas sûr d'avoir réussi…


La Basilique Notre Dame de la Paix à Yamoussoukro.

Actuellement, des gens ont voulu dresser le Nord contre le Sud du pays. Si vous parcourez toute le société ivoirienne, gouvernement, services d'État, fonctionnaires, administration, enseignement, etc. Vous constaterez que les cadres musulmans du Nord sont aux côtés des cadres du Sud . Ainsi est la société ivoirienne. Il est machiavélique de s'en prendre à cet équilibre.
Il en est de même au point de vue religieux. Toutes les Églises chrétiennes ont eu l'habitude de vivre en harmonie avec la communauté musulmane, sans pour autant être des aveugles et des innocents sur les tensions qui peuvent se réveiller ici ou là. Celui qui s'en prendrait à cet équilibre "si réussi " qu'a essayé de fonder le Président Houphouët en Côte d'Ivoire, ne ferait que pousser le pays à la guerre civile et à la ruine.


Bricoleur, mais prêtre avant tout…

Le prêtre qui s'occupait de moi en 6ème, au collège, avait convoqué mon père en lui disant : "Jean est incapable de faire des études…(et vlan!). Il a tout dans les doigts. Donnez-lui donc un métier". C'est ainsi que j'ai fait mon métier de missionnaire "du bout des doigts"…
Bricoleur en tout, de la couture à la serrurerie, dessinateur, réalisateur de nombreux édifices religieux. Tout cela m'est aussi passé par les doigts. Mais ce qui fait l'âme de ma vie, c'est ma "tâche" de prêtre. Tout a été ordonné en mon cœur au service du "Corps du Christ" dans toute sa richesse. Dans mon milieu clérical, j'ai la réputation de prêtre frondeur, au franc parler.
Cette année 2001, le vieux missionnaire fête ses 50 ans de prêtre. Il fait ses derniers pas au service de l'Église d'Afrique dans une joie indicible.


P. Jean Chardin P.B.