Voix d'Afrique N°86.

LECTURES

 

DIALOGUE ISLAMO-CHRÉTIEN


Prophètes du dialogue islamo-chrétien

La longue histoire des relations entre chrétiens et musulmans, depuis les origines de l’Islam, a connu bien des étapes difficiles où n’ont pas manqué conflits ou malentendus, propos polémiques ou échanges apologétiques.

Elles ont toujours connu des dimensions à la fois religieuses, culturelles, économiques et politiques. En 1965, la promulgation de la Déclaration «Nostra Aetate» du Concile Vatican II sur les Relations de l’Église avec les religions non chrétiennes a fait, pour beaucoup, l’effet d’une heureuse surprise. Et pourtant, si ce texte reflète une nouvelle manière d’apprécier la foi des musulmans et d’évaluer positivement le contenu de leur Islam, cela est en partie le résultat des enseignements et des publications de certains chrétiens d’avant-garde qui en avaient préparé les voies, plusieurs années auparavant.

Il y a d’abord Louis Massignon (1883 - 1962), disciple du bienheureux Charles de Foucauld et professeur au Collège de France, qui a fait découvrir aux catholiques les richesses de la spiritualité musulmane en la personne d’al-Hallâj, «martyr mystique de l’Islam». Il y a ensuite son filleul, le franciscain marocain Jean Mohammed Abd el-Jalil (1904 - 1979), professeur à l’Institut Catholique de Paris, qui leur a fait connaître «Les aspects intérieurs de l’Islam». Il y a aussi Louis Gardet (1904 - 1986), Petit Frère de Jésus et «philosophe des cultures», dont les études sur la philosophie et la mystique musulmanes ont renouvelé le regard chrétien sur les valeurs de la culture islamique. Il y a enfin le dominicain égyptien Georges C. Anawati (1905 - 1994), spécialiste d’Avicenne et fondateur de l’Institut Dominicain d’Études Orientales du Caire, dont les collaborations de tous genres dans les milieux intellectuels musulmans de son temps lui ouvrirent les esprits et les cœurs : il était à Rome lorsqu’au Concile on y élaborait le texte de «Nostra Aetate». Tels sont les quatre précurseurs dont le témoignage et les publications permettent aux chrétiens d’aujourd’hui de progresser évangéliquement dans les voies du dialogue islamo-chrétien.

Par leur témoignage et leur engagement, ils avaient renouvelé le regard chrétien sur l’expérience spirituelle des musulmans, surmontant ainsi les “nombreuses dissensions et inimitiés surgies entre les chrétiens et les musulmans” au cours de l’histoire.
Avec bien d’autres, ils s’étaient efforcés sincèrement à “la compréhension mutuelle”, tout en agissant, chacun dans son domaine, afin de “protéger et promouvoir (avec leurs amis musulmans) pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté”, sans oublier les dépassements mystiques auxquels tendent les meilleurs d’entre eux.

(Quatrième de couverture)
Prophètes du dialogue islamo-chrétien
Louis Massignon - Jean-Mohammed Abd-el-Jalil - Louis Gardet - Georges C. Anawati
Par Maurice Borrmans M.Afr.
Mars 2009 Le Cerf
Collection « L’Histoire à vif »
272 pages 27,00  euros

* * *


Mulla-Zadé - Abdel-Jalil
Deux frères en conversion
Du Coran à Jésus

Paul-Mehmet Mulla-Zadé (1881-1959) et Jean-Moham-med Abdel-Jalil (1904-1979), deux chrétiens venus de l’islam, ont échangé une riche correspondance.
Né musulman et turc de Crète, le premier a découvert Jésus-Christ grâce à Maurice Blondel à Aix-en-Provence : baptisé en 1905 et devenu prêtre en 1911, il a été professeur de langue arabe et d’islamologie à l’Institut pontifical oriental de Rome de 1924 à 1959, en même temps que conseiller des papes Pie XI et Pie XII en matière de relations islamo chrétiennes.

Le deuxième, né musulman et marocain de Fès, a choisi Jésus-Christ au cours de ses études supérieures à Paris, éclairé qu’il y fut par les lettres du premier : baptisé en 1928, devenu franciscain, puis prêtre en 1935, il a enseigné la langue arabe et l’islamologie à l’Institut catholique de Paris de 1936 à 1964.

Demeurés solidaires des co-religionnaires de leur jeunesse, ils se sont employés tous deux à les faire connaître du monde chrétien pour faciliter la rencontre et la collaboration entre fidèles de l’Islam et disciples de Jésus. Dans leurs lettres, ni polémique ni apologétique, mais respect et estime dans une “cohérence chrétienne“ accueillante aux “chercheurs de Dieu“.

Correspondance rassemblée, introduite et annotée par Maurice Borrmans
mars 2009 Le Cerf Collection :
“Intimité du christianisme”
332 p. 32 euros 

* * *

MONDE PAYSAN

Dieu n’est pas un paysan
Mamadou CISSOKHO

Sous ce titre un peu provocateur et mystérieux, on retrouve l’histoire,
sur plus de trente ans, du mouvement paysan de l’Afrique de l’Ouest
et l’itinéraire personnel d’un de ses leaders les plus représentatifs.

Vers le milieu des années 1970, après la grande sécheresse de 1973-1974, se créent, se rencontrent et commencent même à se fédérer, au Sénégal et au Burkina, un certain nombre d’organisations paysannes, autonomes vis-à-vis de l’État, contrairement aux coopératives officielles de l’époque. A ce moment-là, Mamadou Cissokho est un instituteur qui rendra sa craie pour s’engager dans le mouvement paysan.


Tout son parcours semble soutenu par deux idées fortes :
- le caractère incontournable de l’exploitation familiale, à la fois entreprise économique performante et fondement socioculturel du vivre ensemble.

- La nécessité pour les paysans de s’organiser d’une manière autonome et de devenir un partenaire incontournable dans la définition concertée des politiques agricoles au niveau national, régional et international. D’une manière plus générale, ce livre remet en cause le schéma dominant des actions de l’État et/ou de la « coopération », avec des solutions élaborées au sommet, et plus ou moins imposées, ou des découpages en filières qui détruisent les complémentarités des exploitations familiales. Les paysans et leurs organisations ont besoin de réfléchir et de définir leurs propres visions et actions. Ils ont besoin d’échanges, d’accompagnements multiples, mais en restant maîtres des modalités.Une interrogation traverse le livrre : si les Organisations Paysannes semblent avoir un rôle efficace de plaidoyer, de représentation syndicale et politique, ont-elles une efficacité économique suffisante ? Vont-elles être capables de résister à l’agrobusiness, de relever le défi de la souveraineté alimentaire ?… L’auteur ne cache pas la faiblesse des premiers résultats techniques et économiques concernant le stockage, la commercialisation ou le crédit.

Ce livre peut également être considéré comme une contribution à une sociologie des leaders paysans. Mamadou Cissokho est représentatif de ces leaders « entre deux mondes », avec un père « maître-maçon de première classe, en service aux chemins de fer Dakar-Niger » et une « mère pure paysanne », instituteur au Mali, avant de s’installer au Sénégal, voyageant en 1972 dans sept pays de l’Afrique de l’Ouest pour trouver des réponses à ses questions, imprégné de culture africaine (solidarité, respect des coutumes, des parents, des anciens) tout en étant passé par l’école coranique et française (au Mali et au Sénégal).

Peut-être ses forces principales résident dans sa capacité critique (pourquoi sommes- nous dans telle situation ? Pourquoi certaines interprétations de l’Islam freinent le développement ?) et dans sa volonté de jouer collectif : réfléchir ensemble, échanger, voir à l’extérieur, auto-évaluer…

On peut aussi s’interroger sur ce qui n’apparaît pas ou peu dans le livre.
- Tout à la défense des agricultures familiales et à leur souci de rassembler, MC ne parle pas des inégalités internes à la paysannerie. Des critères comme la superficie, l’équipement, le cheptel, le nombre d’ha par actif ou par membre de la famille, ne sont pas évoqués.
- Le livre propose une réflexion intéressante sur la répartition des rôles à l’intérieur de la famille, la place des femmes et des jeunes, les freins liés aux visions traditionnelles de certains anciens, le choix entre adhésion individuelle et familiale dans les Organisations Paysannes. Mais on reste un peu dans les généralités ou les vœux pieux : « mieux répartir les rôles et les responsabilités, négocier pour tenir compte des choix de chacun, faire naître un élément d’espoir pour les jeunes, arriver à la création consensuelle des règles pour vivre ensemble ».

Lu par Dominique Gentil

ROPPA : Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs d’Afrique de l’Ouest

Dieu n’est pas un paysan
Mamadou CISSOKHO
Mars 2009, Présence Africaine, Grad, 296 p.


  .............. Suite