Voix d'Afrique N°97.

Justice et paix
une réponse œcuménique et mondiale
aux défis contemporains à Manille (Philippines)


Est-il possible que des protestants de divers courants (y compris des évangéliques, des pentecôtistes, des charismatiques…), des orthodoxes et des catholiques se mettent d’accord sur une façon d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ au niveau mondial, dans une communion œcuménique respectueuse des différences et en renonçant à la concurrence et au prosélytisme entre dénominations ? Peut-on imaginer que ces chrétiens travaillent ensemble durant cinq jours sur un document sur la mission long de 24 pages, sans entrer en conflit et chercher à imposer un point de vue ? En effet, les tensions que rencontre l’œcuménisme aujourd’hui, entre autres dans le domaine des ordinations, ne sont-elles pas une source d’opposition et de régression pour une collaboration œcuménique mondiale ?

Aujourd’hui, nous pouvons répondre que cette rencontre est possible, parce que c’est la réalité que nous venons de vivre ensemble. C’est ainsi qu’à Manille, du 22 au 27 mars 2012, 226 chrétiens provenant de tous les continents et d’un grand nombre de dénominations, peuples, nations, cultures et langues, se sont retrouvés pour essayer de répondre ensemble à la question : Comment évangéliser le monde d’aujourd’hui marqué par tant de déchirures ? Ils répondaient à l’invitation de la Commission sur la Mission et l’Évangélisation (CME), du Conseil œcuménique des Églises (COE ).

Cette “ pré-assemblée “ s’inscrivait dans la préparation de la prochaine Assemblée mondiale du Conseil œcuménique des Églises qui aura lieu à l’automne 2013 à Busan (Corée du Sud). Le thème sera : Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix. La déclaration sur la mission qu’ont étudiée les participants à cette pré-assemblée avait été préparée durant de nombreux mois. Le thème en était : “Ensemble vers la vie - Mission et évangélisation dans des contextes en mutation”.

Comme la dernière déclaration du COE sur la mission datait de 1982, il était nécessaire de faire le point trente ans après, en vue de la prochaine Assemblée mondiale. En trois décennies, que de bouleversements dans le monde et au sein des Églises ! Que d’expériences heureuses et malheureuses vécues par les Églises dans le cadre de l’évangélisation et de la mission. Un bilan s’imposait ainsi qu’un renouvellement de la compréhension de la mission et de ses pratiques.

Le texte retravaillé qui a découlé de cette rencontre à Manille ne sera-t-il qu’un document de plus à ranger dans un classeur après le retour à la maison ? Nous ne le croyons pas. D’abord, il fera l’objet d’une présentation et d’un approfondissement de la part des milliers de participants à l’Assemblée de Busan en 2013. Ensuite, sa pertinence provient de la diversité des intervenants, experts et acteurs de terrain, théologiens, pasteurs en activité et militants, appartenant aux différentes Églises.

Enfin, une tonalité fortement engagée pour les droits humains a été donnée d’emblée grâce, entre autres, à l’investissement impressionnant des Églises des Philippines dans la préparation et l’animation de ces journées. Pour beaucoup d’entre nous, l’implication pour la justice et la paix de la part de ces Églises a été une découverte qui ne nous a pas laissés indemnes.

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Manille c'est ceci .............Mais aussi cela

Nous ne réalisions pas à quel point la politique et l’économie des Philippines reposent sur une véritable mise aux enchères des ressources naturelles et humaines au service du plus offrant de l’économie de marché et au bénéfice des autorités au pouvoir et de quelques possédants. Le fossé entre riches et pauvres est abyssal. L’emploi des bulldozers pour vider des quartiers entiers de pauvres urbains afin d’y installer des entreprises capitalistes fait partie des actions de “démolition officiellement programmées pour le bon développement du pays“, sans relocalisation, bien sûr. C’est malheureusement très proche de ce que nous vivons dans beaucoup de pays d’Afrique.

Le dimanche, les participants ont pu parcourir les bidonvilles ou les dépôts d’ordure de Manille (pour une seule décharge, 4500 tonnes quotidiennes d’ordures triées à la main par 4000 personnes vivant dans la précarité). Ils ont été reçus par les commissions des droits humains des communautés locales qui ont souvent payé un lourd tribut en termes d’emprisonnements arbitraires et d’assassinats politiques de militants, laïcs, pasteurs et religieux. C’est un souvenir inoubliable que chacun a ramené à la maison. Personne n’a donc été surpris lorsque le président Benigno S. Aquino III a annulé sa rencontre avec le Secrétaire Général du COE, quand il a appris que les droits humains étaient à l’ordre du jour de nos travaux.

Ce qui fait l’intérêt de la déclaration finale, c’est d’abord la prise en compte des grandes mutations dans le monde et dans le paysage ecclésial qui changent de plus en plus rapidement. Les injustices mondiales, l’exploitation des marginalisés, la crise financière, le péril écologique, les migrations, l’impact de la culture sécularisée et matérialiste sur les religions ont été approfondis. D’un point de vue ecclésial, on a souligné l’importance grandissante des Églises du Sud et de l’Est, la montée des Églises pentecôtistes et charismatiques, l’existence d’un christianisme mondial qui cherche à dialoguer avec les autres religions, l’influence des exclus sur la dynamique actuelle de la mission : ces populations qui sont à la marge ont souvent une créativité particulière et ont vécu dans leur chair bien des crises contemporaines.

Sur le plan théologique, un fort accent a été mis sur le rôle de l’Esprit-Saint dans le cadre d’une spiritualité missionnaire source de transformation. L’insistance a aussi été mise sur la place de la création au cœur du salut, car l’avenir de l’humanité lui est aussi lié. Les Églises, traversées par ce souffle recréateur, sont envoyées pour donner du pouvoir et de l’autonomie aux sans voix et apprendre d’eux. Par conséquent, la dynamique missionnaire insiste sur tout ce qui est source de vie en plénitude pour tous, dans notre monde.

Les Églises s’engagent aussi à combattre tout ce qui fait obstacle à la vie, humainement et spirituellement, dans une ouverture à la transcendance. Pas d’espérance sans humanisation en actes, dans des projets concrets auprès des exclus, et la participation à la recherche de nouveaux équilibres mondiaux. La priorité est donnée à la justice, la réconciliation et l’inclusion : personne ne doit être exclu de la Bonne Nouvelle ou de la communauté, surtout parmi ceux que la société marginalise. Le salut annoncé et apporté par le Christ est intégral, il implique la guérison et la libération de tout ce qui empêche la vie de se déployer. Cela implique que les chrétiens eux-mêmes puisent leur vie et leur dynamisme dans leur relation à Dieu et l’étude communautaire de la Parole. Qu’ils collaborent plutôt que de se concurrencer et de se dénigrer.

Il apparaît clairement qu’à un désordre mondialisé à tous les niveaux ne peut répondre qu’une proposition de vie et d’humanisation à l’échelle mondiale. Or, il existe une force mondiale des chrétiens, une autorité et une énergie transformatrice, surtout quand les Églises pratiquent un œcuménisme solidaire dans la mission et l’évangélisation. Ils assurent une présence ecclésiale dans le monde entier, aussi bien sur le terrain le plus concret qu’au niveau des instances internationales.

En effet, les Églises possèdent des réseaux d’information et de formation uniques au monde. Qu’elles les utilisent pour transformer positivement le processus de mondialisation et lutter contre les idoles de la toute-puissance, de la richesse et de la consommation. Qu’elles annoncent aussi la Bonne Nouvelle avec amour, humilité et espérance, qu’elles proclament la vérité sans chercher le pouvoir pour elles-mêmes ni à s’imposer, tout en rendant compte avec détermination de l’espérance qui les habite. Leur référence reste la vie du Christ, un chemin de passion et de résurrection qui ne permet pas de faire l’économie de la souffrance et du don de soi.

Ensemble, nous avons prié : « Dieu de vie, guide-nous vers la justice et la paix ».



Bernard Ugeux
M.Afr.

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