Voix d'Afrique N°71.....

Laurent Balas, Toulousain né en 1964, après des études en architecture, s'est engagé dans l'aventure missionnaire depuis plus de dix ans. Dix ans riches d'expériences fortes, depuis les forêts du Congo jusqu'au Sahel. Nous l'avons rencontré.

 

La prière
du jeune berger

Dans les dunes aux confins du Sahara, au Nord du Mali, un jeune berger en boubou couleur de terre au milieu des pierrailles, quelques chèvres accrochées à de maigres buissons, un immense ciel bleu traversé ici et là par quelques traînées nuageuses, le vent tiède, la poussière ocre à travers les collines, c'est le Sahel, au nord du Niger, le paysage familier à Laurent venu visiter ses amis touaregs ou peulhs. Le berger s'est arrêté à l'ombre étriquée d'un épineux ; il étale une peau usée, mais propre, se tourne vers l'est, là où le Soleil commence à monter, en direction de La Mecque. C'est l'heure de la prière. Debout, il lève les mains au niveau des épaules, s'incline, se redresse, se prosterne puis s'assoit sur les talons, les mains sur les genoux repliés, se redresse encore. Selon un rituel séculaire, c'est tout le corps qui est pris dans la liturgie, accompagné par un murmure, une douce mélopée qui se mêle au bruissement du vent sur les collines. " Allâhou - akbar ! " " Dieu est grand ! ".

Laurent est pris par cette prière du berger. Cinq fois par jour, c'est tout un peuple qui est appelé et qui répète le chant lancé par toute la création, la Terre, le Vent, le Feu du soleil et des foyers, l'Eau précieuse dans les calebasses à l'ombre : " Dieu seul est grand !" L'homme célèbre, s'humilie pour adorer, se lève encore et debout devant le Créateur, crie son chant de louange. Le chemin a été long pour venir jusqu'ici.

Toulouse,
la ville rose

Tout a commencé à Toulouse, la ville de brique rose, aux rues tortueuses, entre la Garonne et le Canal du Midi, sous les tours de La Daurade, des Jacobins et de St. Sernin. Il se destinait d'abord à être architecte, comme son père, pour construire des maisons autour de jardins au soleil. Il étudie pour cela, à l'ombre du cloître des Jacobins. Mais les cours, les études, les diplômes ne suffisent plus. Avec des amis, il apprend à prier. "Qui cherchez-vous ? " Le Maître lui pose la question. Il n'a pas osé répondre, il veut l'accompagner, tout simplement. Pour aller où ? Laurent va en pèlerinage en Palestine, pour re-trouver les traces de ses pas, puis chez les lépreux en Inde.

Rencontre avec les Missionnaires d'Afrique

Lorsqu'il est appelé pour le service militaire, il opte pour la coopération ; il est envoyé au Zaïre. Jeune architecte diplômé, il enseigne dans un centre de formation professionnelle, sur l'île d'Idjui. Il découvre l'architecture traditionnelle en terre et briques crues, et initie les jeunes zaïrois (congolais) à perfectionner cet art traditionnel.

Et il rencontre les Pères Blancs. Il réalise alors qu'il a habité plus de vingt ans à quelques mètres du foyer de formation des Missionnaires d'Afrique, rue Vélane à Toulouse et qu'il a dû faire six mille kilomètres pour les rencontrer ! La communauté est internationale, ouverte, priante, fraternelle. A son retour en France, il a vingt quatre ans ; la décision est prise : il sera Missionnaire d'Afrique. L'année spirituelle se passe en Suisse, à Fribourg.

La formation en théologie se donne près de Londres, en Angleterre. Dur ! dur ! de se remettre dans les cours, les bouquins, les heures d'étude, après des années au grand air, des rencontres, des soirées au clair de lune autour d'un feu, au son des tamtams, des contes et des fables africaines, des maisons à construire ! Il n'est pas fâché de repartir au Congo après son ordination sacerdotale.

Avec les pauvres

Novembre 1996 : célébration pour les réfugiés avec le P. Laurent BalasIl est nommé à Goma, à la frontière avec le Rwanda. En 1995, l'horrible épreuve du génocide est terminée au Rwanda, mais le sang continue de couler ; les réfugiés continuent d'affluer. Ils sont des centaines de milliers à passer la frontière chaque jour, pour fuir la violence. Un camp attaque l'autre, une tribu menace l'autre de mort, les vaincus s'enfuient dans la peur, les vainqueurs crient vengeance. "Quand les éléphants luttent entre eux, ce sont les fourmis qui sont écrasées" dit le proverbe africain. Ce sont les processions lamentables de pauvres, de vieillards, de femmes et d'enfants, emportant sur leurs têtes ou dans le dos, sur des bicyclettes rouillées ou de lamentables carrioles, tous leurs biens, des nattes et des couvertures, des paniers de nourriture, des boites en carton avec un trésor dérisoire. Ils fuient vers la forêt, hagards, fatigués, faméliques. Les soldats les poursuivent, les terrorisent dans un désordre indescriptible.

Témoin

Laurent s'est fait de nombreux amis dans la population locale, des jeunes chrétiens qui assistent impuissants à cette course des pauvres vers la forêt. Le dialogue autrefois amorcé dans la prière silencieuse, continue comme il y a deux mille ans : " Qui cherchez vous ? - Maître, où habites-tu ? " Il s'arrête pour s'asseoir avec les victimes, dans des huttes de branchages au milieu de la forêt ; une parole, un sourire, une main tendue, et pour un moment les peurs se dissipent. " J'avais faim, j'avais soif, j'avais peur… et tu m'as réconforté, nourri, soigné ; tu as pris ton temps pour être avec moi. " Le moindre bruit lointain les terrorise ; les enfants pleurent de faim et de peur, les mères gémissent doucement, les vieillards attendent tristement ; leur sommeil est léger, leur éveil angoissé. Lorsqu'ils ont terminé leurs maigres provisions, ils se nourrissent de racines et de fruits sauvages. Par dizaines et centaines de milliers, ils rassemblent quelques branchages pour se faire un abri dérisoire. Ils se cachent, fuient à la première alerte, laissant sur place les vieillards, les malades du choléra, de malnutrition, de paludisme. "Où habites-tu ? " La réponse est évidente pour Laurent : “Seigneur, c'est Toi, dans la forêt.” Laurent repart à la rencontre des victimes. Avec ses compagnons, les jeunes Congolais, il encourage ceux qui le peuvent à rentrer chez eux, au Rwanda, les transporte éventuellement, soigne quelques malades, impuissant devant le déferlement de peurs et de violence.

Entre deux feux

Avec Florence Aubenas (de dos à gauche) : rencontre avec des réfugiés RwandaisL'armée rebelle de Kabila envahit le Zaïre de Mobutu et massacre systématiquement tous les réfugiés. Laurent est pris entre deux feux : seul Européen, il n'est pas du côté des vengeurs ; il n'est pas non plus du côté des agressés, des fuyards. Il est dans le camp des pauvres. Il est soupçonné, fait prisonnier, accusé d'espionner, emmené pieds nus dans une clairière et menacé de mort. Par quelque miracle, il est relâché et revient à la mission, sans chaussure, la tête pleine des cris et des lamentations des pauvres pourchassés. Mais il en faudrait plus pour le décourager, lui et ses amis. Ils repartent, encore, et plus loin, plus loin dans la forêt. Ils découvrent ici ou là, guidés par l'odeur de mort, des charniers à peine cachés. Laurent devient alors un témoin gênant. Il accompagne une journaliste de Libération (Florence Aubenas) dans ses courses de l'horreur. Le nom de Laurent Balas est sur la liste noire. Il évite par chance, ou plutôt par grâce, l'arrestation. Il doit finalement s'y résoudre. Il s'enfuit par une fenêtre sur l'arrière cour et parvient enfin à rentrer en France. C'est là qu'il sera témoin, auprès des plus hautes instances européennes et internationales, de ce qu'il a vu, de ce qu'il a vécu avec les victimes innocentes, des injustices, des crimes, de l'enfer.

Vers de nouvelles rencontres

Sa vie était en danger au Congo et dans la région des Grands Lacs d'Afrique de l'Est. Il repart, mais pour le Mali. Il demande à aller à Gao, chez les nomades du Sahel. C'est une autre Afrique, une autre mission. Le pays est en majorité musulman. C'est une nouvelle rencontre. Quelques familles chrétiennes isolées le reçoivent, mais aussi des nomades sous leurs tentes. Il a appris leurs langues, le Bambara et le Songhaï. Il partage avec eux le thé sur la natte, autour d'un foyer fraternel. Au long des veillées, des longues marches, les amitiés se nouent, et à travers elles une rencontre avec l'autre, l'Autre. "Ô Toi, l'au-delà de tout, n'est-ce pas là tout ce qu'on peut chanter de toi ? Quel hymne te dira, quel langage ? … Seul, Tu es indicible, car tout ce qui se dit est sorti de Toi… Prends pitié, ô Toi, l'au-delà de tout, n'est-ce pas là tout ce qu'on peut chanter de Toi ?"

Jeune garçon de GaoLe muezzin appelle encore à la prière : "Allah est grand !", répète tout un peuple. Dans la solitude et le silence, surgit à nouveau la question : "Et vous, qui dites-vous que je suis ? " Le dialogue est prière, riche de tant de rencontres, prière des persécutés sans raison, des victimes de l'orgueil des hommes, de ceux qui n'ont plus le cœur à prier parce que le fardeau est trop lourd. "à qui irions-nous, Seigneur ? C'est Toi qui as les paroles de vie éternelle !"

Gérard Guirauden
Missionnaire d'Afrique




.............. Suite