Voix d'Afrique N°54
Formation En Tanzanie

Une Journée à Arusha...


Le kilimandjaro vu d'Arusha. (5895m)

Le Mont Meru domine la ville de sa masse conique, abrupte ; le soleil du matin fait glisser l'ombre le long de ses pentes : une nouvelle journée commence à Arusha. Les étudiants se sont levés dès l'aurore : trente minutes de silence à la chapelle, suivies de l'eucharistie, rythmée de chants et de tam-tams ; corneilles et pigeons volent d'un toit de tôle à l'autre, martelant bruyamment la tôle ondulée ; des centaines de petits oiseaux butinent parmi les hibiscus, les bougainvillées, les roses et les dahlias, reflets rouge ou jaune vif, ou bleu éclatant, métallisé. Au loin, dans le voisinage, les coqs se répondent, les chiens aboient pour monter la garde. Des enfants en uniforme se hâtent vers l'école : un gong (une vieille roue de camion) les appelle, les cris, les appels, les rires fusent. Quelques vieux camions, quelques guimbardes pétaradent sur la piste toute proche et le Mont Meru semble veiller maternellement sur cette vie qui s'éveille.


Le centre de formation du 1er Cycle à Arusha, au pied du mont Méru

A St.Mbaaga (un des martyrs de l'Ouganda, patron de la maison) le soleil avance rapidement sur les toits de tôle et les murs bruns : les étudiants ont avalé leur petit déjeuner : pain de mie, margarine, confiture, café ou thé au choix, puis ils se hâtent vers le séminaire pour une matinée de philosophie: : près de cinq heures en compagnie de Platon et Aristote, de Kant et Freud, et aussi des penseurs modernes africains. Joseph, Emmanuel, Etienne, Alex , une quarantaine d'étudiants venus de tous les coins d'Afrique de l'Est, en jeans et baskets, chapeau de toile ou casquette de golf, sac de plastique pour quelques livres et cahier, par petits groupes ils vont rapidement comme s'ils avaient hâte d'entendre des discours philosophiques. Deux kilomètres sans raccourci, sur une route de poussière presque noire , pour rejoindre des étudiants africains d'autres congrégations, spiritains, passionnistes, pallotins, assomptionnistes, qui suivent ensemble le programme de trois ans de philosophie, pour apprendre à lire, étudier, réfléchir, s'exprimer, discuter et échanger : ce sont les premiers pas de la formation à la vie de prêtres ou frères missionnaires.


Groupe d'étudiants avec un formateur:
Jean-Michel Laurent.

Ils sont une quarantaine de Tanzanie, mais aussi du Malawi, de la Zambie, du Soudan, du Kenya ou de l'Ouganda : ils ont terminé leurs études secondaires ; ils envisagent de devenir missionnaires, de consacrer leur vie à l'évangélisation de l'Afrique. Un rêve, une utopie, un projet ? Ils sont là pour discerner calmement leur vocation. Leur vie est organisée en vue de favoriser leur expérience : vie en équipe de dix où ils partagent loisirs et travaux, prières et rencontres. Le plus clair du temps est consacré aux études, mais aussi à la prière personnelle ou communautaire, les rencontres entre eux ou avec leur formateur.

Pendant trois ans, ils sont amenés à se poser la question, à y réfléchir longuement dans la prière personnelle et le dialogue: qu'est-ce que tu veux vraiment ? Chaque semaine, ils vont en petits groupes de deux ou trois dans l'agglomération d'Arusha, pour visiter des lépreux, passer quelques heures avec les victimes du sida, faire connaissance avec les tribus masaï ou les communautés musulmanes, rencontrer les enfants des rues d'Arusha, ou les malades dans les hôpitaux, faire le catéchisme aux enfants dans les paroisses voisines. Régulièrement ils prennent le temps pour l'entretien de la maison et ses environs ; ils s'entraînent au football, basket ou volley-ball, ou bien à la course de fond sur les pistes des environs. Ils en ont bien besoin, car le plus clair de leur temps se passe entre les livres et les cahiers, la bibliothèque ou l'ordinateur. Chaque semaine, ils se rencontrent en équipe pour partager leur prière, discuter des détails de la vie matérielle, prévoir le programme de la vie du groupe. Une ou deux fois par semaine, ils rencontrent un des formateurs pour une mise au point personnelle de leur vie, pour mieux discerner leur projet de vie, pour se poser encore et encore la question fondamentale : " qu'est-ce que je veux ? quel est mon désir profond ? "

Les formateurs, prêtres ou frères missionnaires, passent avec eux le plus clair de leur temps : repas, détente, prière : ils ont chacun leur chambre dans le bloc de chaque équipe pour mieux s'intégrer avec la vie des étudiants. Un formateur s'occupe de dix étudiants, cela représente donc une équipe de quatre formateurs pour une quarantaine d'étudiants : Le Recteur Don, est anglais, Patrick, l'économe, est ghanéen, Jean-Michel est Belge et Gérard , Français (l'auteur de ces lignes). C'est dire l'importance de l'internationalité dans la formation des jeunes. Le missionnaire est appelé à planter sa tente hors de chez lui, à rencontrer et à travailler avec des femmes et des hommes de toutes les cultures, à dépasser les frontières de nations et de cultures : étudiants zambiens, malawites, tanzaniens, kenyans, ougandais, soudanais, ils sont appelés à faire l'apprentissage de l'ouverture sur l'autre pour former une communauté vraiment catholique, témoins du Christ qui est venu rassembler " grecs et juifs, esclaves et hommes libres " pour en faire une seule famille.

Cheminement personnel authentique, vie communautaire intense, dialogue fréquent avec un accompagnateur plus âgé, tels sont les piliers de la vie du 1er cycle de formation à la vie missionnaire : après trois ans, ils s'orienteront lucidement vers la vie laïque ou l'aventure missionnaire, l'année spirituelle suivie du stage de deux ans et de la formation théologique de trois ou quatre ans. Neuf ans en tout ! c'est dire le sérieux de la formation des futurs missionnaires d'Afrique.
Combien seront-ils au bout de trois ans ? Environ quarante ou cinquante pour cent demanderont à continuer pour l'année spirituelle (autrefois appelée " Noviciat "), et les autres retourneront chez eux pour faire face avec maturité aux défis de la vie moderne d'Afrique.

Gérard Guirauden