Voix d'Afrique N°79.....

Les refoulés du Nord

 

Lampedusa, Malte,Ceuta et Mellila, … tout le monde connaît. Octobre 2005, quinze migrants meurent par balle sur les grilles et les barbelés de Ceuta. Depuis, chaque jour, des subsahariens se noient dans les eaux de l’Atlantique quand ils veulent rejoindre les Canaries. Or, ils fuient la pauvreté, la guerre et les conflits politiques.Ils ne trouvent, comme réponse, que la répression, voire la mort.
A Gao, au Mali, c’est le reflux. Le Bureau Caritas de la Paroisse catholique les connaît bien, les migrants, ceux qui reviennent après avoir tout perdu, même leurs rêves d’une vie meilleure. Le Père Anselm Mahwera M.Afr. nous raconte.(Photo à dr.)

 

Depuis longtemps Gao a été un lieu de passage très important pour l’Europe, via les pays maghrébins. Pendant longtemps, les gens passaient pour « monter » en Europe, même si, de temps en temps, ils revenaient parce qu’ils avaient été refoulés. Ceux-ci gardaient toujours un espoir : réaliser leur rêve de se trouver, un jour, en Europe.

Presque tous les refoulés que nous avons rencontrés disent les expériences qu’ils sont en train de vivre aujourd’hui, où le refoulement devient une opération systématique et organisée, appuyée par la Communauté Européenne, en accord avec les pays maghrébins.

En effet, depuis quelques temps, une nouvelle réalité de migration se fait jour. Le passage par Gao n’est plus pour « monter » en Europe. C’est le contraire. Les migrants qui se trouvent à Gao cherchent plutôt à retourner chez eux. Ces gens n’ont plus l’espoir d’aller en Europe. Ils le disent : « Il y a un grand mur infranchissable  entre le Maroc et l’Europe ! » Avant, il y avait des ghettos organisés pour accueillir les gens voulant aller en Europe ; depuis, ces ghettos ont fermé leurs portes.

Dans notre paroisse de Gao, la Caritas s’occupe des pauvres, et de ceux qui ont besoin d’une aide d’urgence. C’est là qu’on peut aussi rencontrer ce monde des refoulés, y découvrir leurs misères, leurs souffrances, leur humiliation …

Qui sont ces migrants ?
Ils sont Camerounais, Congolais, Nigérians, Ivoiriens, Libériens, Angolais et Burkinabè. Ce sont souvent des hommes céli-bataires. On ne voit pas beaucoup de femmes et d’enfants à Gao. Mais à Kidal et surtout à Tin Zaouten (ville frontalière avec l’Algérie), on rencontre des familles avec des enfants. Le nombre exact des migrants présents chez nous est difficile à estimer, mais on pense qu’ils sont plus de 100 à Gao, et 300 à Tin Zaouten. Nous en avons rencontrés une bonne trentaine. Mais leur nombre évolue très vite, car certains partent du jour au lendemain vers Niamey ou Bamako.

Il faut distinguer deux groupes de refoulés : Ceux qui ont voulu aller en Europe et ont échoué. Ceux qui travaillaient ou étudiaient au Maroc ou en Algérie et qui, un jour, se sont trouvés entre les mains des pa-trouilles, qui les ont embarqués dans les camions de refoulement.

Quelle est leur situation ?
Là, s’arrêtent leurs routes, là, sarrêtent leurs rêves. (Cimetière à Tinza)Ceux qui arrivent à Gao sont relativement « solides ». Ils ont eu la chance de garder leur argent. Ils arrivent souvent après 4 ou 6 semaines de voyage. (Il faut ordinairement 2 semaines pour voyager entre le Maroc et l’Algérie, 4 semaines entre l’Algérie et la frontière du Mali, et 3 jours entre Tin Zaouten et Gao.) Ils arrivent souvent fatigués, physiquement, psychologiquement, et moralement. Certains sont malades. Parmi eux, il en est qui ont fait de la prison, où les conditions d’hygiène sont lamentables. Certains ont été victimes d’accidents. Ils n’ont, alors, aucun argent pour trouver à manger, ou renouveler leur linge. Quant à la fatigue psychologique, plusieurs d’entre eux sont troublés mentalement ; certains sont devenus très agressifs, à la suite de ce qu’ils ont vécu ou vu pendant leur voyage. Pour eux, c’est un échec.

Ils ont beaucoup investi, beaucoup sacrifié (on parle de 4000 euros – soit 2 620 000 F Cfa). Ils ont honte de retourner affronter leur famille et leurs amis, ainsi démunis. Beaucoup ont perdu tous leurs papiers, cartes d’identités et passeports. Ils sont devenus des immigrés illégaux. Leurs besoins sont multiples. Cela va des frais de transport, aux frais médicaux, en passant par la nourriture et le logement. Il faut ajouter aussi la nécessité qui est la leur, de reprendre contact avec leur famille (lettre, téléphone, etc.)

Comment leur venir
en aide ?

Gao est une ville où il y a beaucoup de pauvres, beaucoup de gens au chômage ; il y a des familles qui arrivent difficilement à se nourrir. Il devient donc très compliqué, pour des immigrés, de trouver une famille capable de les accueillir et de les nourrir.

Gao est éloignée des autres villes ; Mopti est à 600 km et Niamey à 400 km. Les transporteurs n’acceptent pas de les prendre gratuitement sur une telle distance. Auparavant la mairie de Gao donnait des papiers leur permettant de voyager gratuitement ou à prix réduit ; mais, depuis quelques mois, on ne donne plus ces papiers, sans doute suite à des abus.

Ils sont nombreux, et il faut de gros moyens si l’on veut tous les secourir. Nous pouvons aussi être plus modestes, et faire ce que nous pouvons, à notre portée. Un simple exemple, nous avons pu faire partir quelqu’un avec seulement 1 000 F Cfa (1,5  ). Cette somme lui a permis d’appeler sa famille, qui lui a fait par-venir l’argent de son transport.

Ce que fait la Caritas
La paroisse, par son Bureau Caritas, s’intéresse aux problèmes de ces refoulés, mais se trouve souvent handicapée par manque de ressources financières.
Jusqu’à présent, nous assurons d’abord un accueil, qui leur permet de se sentir écoutés. Pour ceux qui sont chrétiens, nous les invitons à s’intégrer à la vie de la communauté chrétienne. Ils peuvent aussi se rendre au dispensaire de la paroisse. Nous les nourrissons comme nous pouvons, et de temps à autre, nous leur permettons de téléphoner afin qu’ils entrent en contact avec leur famille, qui pourra leur procurer une aide.

Et demain ?
Beaucoup arrivent épuisés physiquement et moralement. (Dispensaire de la Paroisse de Gao) S’ils demeurent en ville, sans pouvoir poursuivre leur voyage, leur condition va vite se détériorer. En ville, également, leur nombre croissant, pose de plus en plus de difficultés. On devine aussi les problèmes collatéraux (banditisme, trafic de drogue, etc.)
Dans l’immédiat, nous pensons qu’il faut secourir ces gens de toute urgence, et trouver les sommes nécessaires pour assurer leur subsistance (nourriture, frais de santé, etc.).

Pour l’avenir, on ne sait pas quand ce problème va cesser. Mais on sait que Gao restera toujours un lieu de passage, de transit, pour toutes sortes de migrants. La paroisse envisage la construction d’un centre d’accueil convenable. Il faut également voir comment aider ceux qui sont à Kidal et à Tin Zaouten. On doit aussi sensibiliser l’opinion nationale et internationale, pour que la souffrance de ces refoulés du Maroc et de l’Espagne soit connue et secourue.

Anselm Mahwera M.Afr.
et le Bureau Caritas de Gao.



.............. Suite