Voix d'Afrique N°100.

Témoignage
d’une jeune musulmane


Aïn Sefra (Algérie)



Durant le mois de Ramadhan passé, l’ambassade des États-Unis à Alger et les scouts musulmans algériens ont lancé un concours national d’écriture destiné aux jeunes algériens conviés à rédiger un article portant sur Le dialogue des religions. Le 1er prix est revenu à une jeune lycéenne d’Aïn Sefra, Amel Amier, 17 ans. Le texte qui suit est une traduction résumée de l’original arabe.

Le dialogue des religions comme l’a vu et vécu mon grand-père…

D’après ce que m’a raconté mon grand-père, que Dieu lui donne longue vie, durant la période coloniale, la ville d’Aïn Sefra débordait d’habitants d’origines différentes : les Européens (ou les roumis comme les appelait mon grand-père) et aussi une minorité juive. Les Juifs achetaient et vendaient tout : la graisse, la poterie, les grains, les denrées alimentaires, la laine, etc. Ils avaient un quartier au centre de la ville dénommé ‘le chemin des Juifs’, appellation que les habitants continuent à utiliser jusqu’à nos jours. Mon grand-père m’a parlé d’un commerçant juif qui était très connu dans la ville et les alentours. Son nom était Siméon et les gens l’appelaient Siméon le Juif. Il avait d’excellentes relations avec les habitants et les bédouins nomades. Il prêtait aux gens de l’argent. C’était surtout le lundi, jour du marché hebdomadaire, qu’il faisait affaire avec les nomades.

Sous le soleil du désertMon grand-père m’a raconté qu’au moment où il quitta la ville, il rassembla certains habitants et leur dit les larmes aux yeux : « J’ai beaucoup aimé cette ville et ses habitants. Et j’ai pensé que le seul moyen d’exprimer mon amour et ma reconnaissance à votre égard, c’était ce registre ». Puis il saisit un grand registre et leur dit : « Ce registre contient la liste de ceux auxquels j’ai fait des prêts et les montants qu’ils me doivent. Je vais le déchirer devant vous. » Et il le déchira vraiment à la stupéfaction des habitants. Puis il quitta la ville sans retour. Les habitants racontent encore aujourd’hui ce fait avec admiration.

Au centre de notre ville se trouve un cimetière juif, à proximité du cimetière chrétien. Quand je passe devant et que je vois les tombes, leur état m’attriste beaucoup, car ce sont des repères et des vestiges qui racontent une période importante de l’histoire de l’Algérie.

Mon grand-père m’a dit : « Les gens vivaient en totale harmonie entre eux. Ils se respectaient les uns les autres et respectaient la religion les uns des autres. Le Chrétien pratiquant se dirigeait vers l’église, le Juif vers sa synagogue et le Musulman vers sa mosquée. Quand ils se rencontraient, ils se saluaient dignement et respectueusement ».

Il y avait un centre de formation professionnelle tenu par les Pères Blancs, où ils enseignaient les métiers aux enfants des musulmans. Ils n’interféraient jamais dans leurs croyances religieuses. Dans la classe, on trouvait l’élève français, allemand, africain, arabe, kabyle. Ils étudiaient ensemble, se rencontraient, blaguaient et discutaient de leurs études. Mon grand-père m’a cité les noms de beaucoup d’élèves de la ville qui ont étudié dans ce centre et sont devenus ingénieurs, médecins et cadres de l’Etat.

Du plus profond de mon cœur, j’aurais voulu me trouver dans une classe rassemblant des élèves de toutes les nationalités. Nous aurions échangé des idées, appris les uns des autres et discuté loyalement. Mais je me suis dit : « Ce n’est qu’un rêve qui ne se réalisera jamais ». Quand j’ai présenté cette idée à mon père il m’a dit : « Ce que tu penses être un rêve est un fait réel … chacun peut y parvenir … grâce à sa détermination et à son effort ». Mon père m’a cité des personnes de notre ville qui sont maintenant professeurs d’université, médecins ou commerçants prospères.

Je me suis aussitôt souvenue du président Obama, le président actuel des États Unis, de la façon dont cet homme d’origine africaine a pu parvenir à la plus haute fonction politique. Ce sont des gens de toutes les ethnies et de toutes les religions qui l’ont élu, sans discrimination ni racisme ...

Le Père ComminardiEn 2005 dans notre ville le Père Cominardi est décédé(1). C’était un religieux chrétien qui a vécu parmi nous et tous le connaissaient. C’était le seul Européen au milieu des habitants tous musulmans. Tous l’estimaient et le respectaient beaucoup. Il a consacré sa vie à faire le bien, à aider les pauvres et les prendre par la main. Tous les soirs, il allait à l’hôpital, les bras chargés de journaux, de bonbons et d’autres choses pour les malades. Durant le mois de ramadan, il organisait un programme avec de nombreux habitants : chaque jour ils lui apportaient le ftour(2) pour qu’il le donne aux malades de l’hôpital, et mon père m’a dit que les gens se bousculaient pour s’inscrire sur sa liste des bienfaiteurs.

Petite, j’ai connu le Père Cominardi, lorsque j’ai accompagné ma mère à l’hôpital pour un accouchement. Il nous a apporté des bonbons, a distribué son sourire, son réconfort à ma mère et ses prières pour son prompt rétablissement, comme il le faisait avec tous les malades.

Je m’en souviens aussi, alors que j’étais élève au collège moyen, d’avoir accompagné mon père à la salle du cinéma où avait lieu la cérémonie des quarante jours après son décès. La salle était bondée de gens qui écoutaient les religieux chrétiens venus spécialement à cette occasion. En plus des œuvres de bienfaisance, le Père Cominardi s’intéressait à la recherche dans le domaine de l’histoire. Mon père m’a dit qu’il restait une référence incontournable pour tout chercheur désirant étudier l’histoire de l’âge de pierre dans la région. Il gardait dans son bureau différents vestiges, documents, photos et manuscrits. La rencontre s’est conclue par une prière d’invocation des deux parties, que tous ont écoutée avec déférence et gravité.

Conclusion

Ce que m’a raconté mon grand-père au sujet de la convivialité qui existait durant la période coloniale entre les différentes religions et ce que m’a dit mon père au sujet du Père Cominardi le Chrétien, de sa relation étroite avec les habitants musulmans qui l’aimaient, le respectaient et l’aidaient à faire le bien, m’a appris que, comme hommes, beaucoup de belles choses nous réunissent : nous habitons une seule planète, nous respirons le même air, nous scrutons le même ciel, malgré nos différences de religions, de langue, de couleur, de race et de genre. Nous pouvons vivre ensemble, nous aimer les uns les autres et coopérer pour faire le bien de toute l’humanité.

Amel Amier


1. Le Père est décédé le 30/04/2005. NdR.
2. Repas traditionnel pour la rupture du jeûne musulman.

Voir au sujet du Père Cominardi



.............. Suite